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(Se) recueillir

 

Il m'arrive, plus souvent qu'à mon tour de fréquenter les églises : pour la beauté des lieux souvent ou simplement pour la découvrir, mais aussi avons-le, même si je ne participe d'aucune des obédiences qu'elles desservent, pour cette sérénité que j'y trouve parfois, et pas, justement, dans ces somptueuses cathédrales qui écrasent de lumière et de sons.

C'est le mot recueillement qui m'est venu aujourd'hui alors même que cela faisait déjà plus d'une demi-heure que je m'étais assis là, méditant ou peut-être même pas, regardant autour de moi.

Je m'en doutais bien un peu le terme supporte à peu près la même ambivalence que religion ( relire ou relier). Selon les cas il s'agit de lier ensemble, ou cueillir ensemble, ramasser, rassembler, ramasser (Gaffiot)

C'est bien après tout le sens que la langue lui donne : se concentrer sur quelque chose ou quelqu'un (la mémoire de quelqu'un devant sa tombe par exemple ou se replier sur soi à l'écart du brouhaha pour mieux méditer)

C'est ce même geste de cueillir que suggère tout autant le λόγος grec qui suggère λέγω - rassembler, cueillir, choisir.

Il y a bien quelque chose qui, invariablement, nous ramène au geste antique du tisserand mais tout autant du paysan qui récolte après avoir éparpillé ses semences. Comme s'il ne nous était pas d'autre destin qu'invariablement nous dresser devant toutes ces énergies centrifuges à l'instar du berger s'efforçant de rassembler les brebis égarées. Et je crois bien qu'il y a en tout ceci quelque chose de religieux - non au sens d'une quelconque officine sectaire - parce qu'au-delà de nous-mêmes il est effort pour accueillir l'autre et prendre soin du monde.

Ne pas se disperser dit-on à qui manque de concentration, d'attention ! est-ce un hasard ? Ne rien oublier … ni personne ! Savoir rendre hommage à ce qui fait que tout ceci fait sens, fait monde … tient ensemble.

Je la regardais ce matin croquant la statue d'A Rimbaud sur les berges, non loin d'Austerlitz. L'homme aux semelles devant. Je prenais la photo à côté d'elle - c'est plus facile ! Elle s'enquit de la manière dont je comprenais la chose et se hasarda à une interprétation que je me gardais bien de démentir - d'ailleurs qu'en savais-je ? A cet instant précis, elle se souciait de ce qui n'avait d'importance pour personne et s'évertuait à ce qui fait la noblesse de l'humain : donner un sens ; faire œuvre. Le monde entier à ce moment-là, qu'elle ne reniait pas et à quoi elle ne tournait pas le dos, lui était église : elle s'en isolait pour se rassembler. Se recueillir.

D'autres, certes, sacrifient aux arts, dans les rues ou sur les mêmes berges, à peine un peu plus loin : mais c'est souvent pour glaner quelques pièces ou émouvoir de quelque nostalgie. Même affairés, ils sont nécessaires car aident à mettre quelques rondeurs à l'épaisseur noire des choses. Mais elle, pour quelques instants seulement, sans doute, sans peut-être même le savoir, a fait ce petit pas de côté qui vous fait tout considérer autrement ; ne se préoccupe pas de l'utile, du conventionnel, s'offre - ou nous offre - ce délicieux interstice où l'œuvre peut enfin avoir sa chance. Comme cet autre, penché sur son carnet, à écrire. Qui dira jamais le miracle de ces petits carnets qui recèlent tout uniment le monde et l'envers du monde ; le rêve et tout le sérieux du rêve ; tout ce qui de l'imaginaire fait le concret rougir de honte devant sa triste banalité ?

Ce sont des moments rares et les lieux qui l'autorisent sont toujours à l'écart. On ne se recueille pas sur la place publique. Les Évangiles disent quelque part que les prières ne se peuvent et doivent qu'en silence, au fond de sa chambre et surtout pas se soumettre à quelque inclination ostentatoire. Les peintres, dans leurs ateliers, ou devant leur paysage, sont seuls et le doivent demeurer s'il espèrent parvenir à pousser ces quelques pas qui les séparent de l'œuvre.

C'est tout le paradoxe - toujours le même - que pour s'approcher, il faut d'abord s'écarter quelque peu ; qu'il n'est rien qui se puisse nouer qui ne fut préalablement dénoué.

C'est ne rien comprendre au dimanche ou au shabbat que de les entendre comme jours de repos ! C'est peut-être tout l'inverse : rassembler en soi tout ce qui se disperse, se ressaisir et se mettre en position de pouvoir être à l'écoute de l'éclosion de l'être ; et voir … enfin