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Galéjade

L'article m'avait échappé. Il ne m'a pas pas véritablement surpris mais j'avoue avoir hésité entre un immense éclat de rire et une réelle curiosité.

De Gaulle décidément ne se sera pas trompé : après lui, ce fut vite le trop plein. En dépit des limites instaurées - les fameux parrainages - le nombre de candidats aux présidentielles n'aura cessé de croître - un maximum de 16 en 2002, 11 lors de la dernière en 2017 ; sans évoquer même, puisque nous en sommes encore là, les candidats à la candidature. Au pays de la démesure, les médiocres sont légion.

Rien d'étonnant à cela ni d'ailleurs illégitime. On a longtemps pu croire qu'aucun candidat n'eût de chance d'être élu s'il n'était pas soutenu par un grand parti : l'exemple de M Debré recueillant à peine 1,66% en 1981 était là pour l'illustrer. Mais l'épisode Macron a démontré le contraire : certes aidé par les circonstances, primaires, torpillage de la candidature Fillon, désaveu de la gauche après Hollande, Macron aura quand même montré qu'on peut être jeune, n'avoir jamais été élu, être un technocrate un peu froid … mais griller la place quand même et n'attendre pas son tour.

De quoi assurément donner des idées …

Que la droite demeure toujours désunie et la gauche s'empêtre à la recherche d'elle-même, sans plus de parti dominant que de réel programme ou de figure emblématique font que la présence de l'extrême-droite au second tour reste scénario crédible qui ainsi offre toutes les espérances à l'autre finaliste.

Zemmour donc :

Je crois bien l'avoir découvert en 2006 sur I-Télé (aujourd'hui CNews) dans une émission hebdomadaire - Ça se dispute - où il dialoguait avec Nicolas Domenach après l'avoir fait avec C Barbier. L'époque - autour de la présidentielle de 2007 - lui convenait bien. J'avais bien repéré que l'homme était de droite mais je ne perçus pas alors ses dérives ultra-droitières soit qu'il sût alors en retenir les coups soit que je ne sus les repérer. Elles n'allaient pas tarder à se faire criantes : entre ses propos non toujours dénués de relents racistes et misogynes, son obsession pour le mâle blanc hétérosexuel, et son obsession pour la décadence, les ingrédients étaient bien réunis pour constituer le salmigondis infect au fumet trop souvent fasciste.

Il faut dire qu'il est sur les médias ce qu'on appelle un bon client : il gonfle l'audience et ses saillies n'y sont pas pour rien. Il en fait trop et parfois même se fait éjecter : en 2011, de l'émission On n'est pas couché, sur France 2, puis d'iTélé en 2014 et de RTL en 2019. Mais quoi, chassez-le par la porte, il entrera par la fenêtre. Il trône désormais, presque seul depuis 2019 dans Face à l'Info où il contrefait à merveille l'atrabilaire aussi ombrageux que mesquin offrant florilège assuré de provocations qui lui valent parfois condamnations mais assurent invariablement l'audience. Il faudrait sans doute s'interroger sur le rôle de ces chaînes d'info en continue qui sont devenues avec le temps le terrain de jeu de prédilection des ultra-conservateurs - à l'instar de Foxnews aux USA : je ne suis pas certain que les tribunes traditionnelles offertes autrefois par le Figaro ou le très droitier Valeurs Actuelles auraient suffi à assurer à de tels sue-la-rancœur la notoriété qu'ils ont acquises.

Dans la composition de ce qu'on ose à peine nommer pensée on trouvera à peu près tous les clichés de la droite non pas conservatrice mais réactionnaire qui poussés à leur paroxysme constituent la doxa de l'extrême-droite-fasciste, l'obsession du c'était mieux avant y réglant la dynamique du propos. Cet homme, jamais ne regarde en avant ni ne voit dans l'histoire autre chose qu'une collision indéfiniment répétée entre forts et faibles rabâchant ainsi les acrimonies d'un darwinisme même plus social ou réutilisant les mêmes paresses frauduleuses que celles perpétrées à l'égard de Nietzsche par E Forster et sa clique de pangermanistes bientôt nazis. Rien ici qui ressemble à une philosophie de l'histoire toute tendue vers le progrès ou vers une quelconque rédemption. Un processus bêtement binaire ; sottement tragique ; absurdement guerrier. Dès lors, véritable leitmotiv obsessionnel tout juste modulé de quelques variations, c'est une ritournelle macabre de la décadence qu'entonne notre pue-la-rancœur : ce, sur tous les plans, moral, politique, économique, géopolitique … Nous ne sommes jamais très loin du grand remplacement et, manifestement, l'Islam, en réalité bien plus que l'islamisme radical, fait-il partie de sa grande hantise, en quoi il voit un ennemi incontournable dont l'irrésistible succès s'appuierait surtout sur la faiblesse d'un Occident qui n'aurait pu ni la force ni surtout la volonté de se battre, ni surtout encore l'ambition de la grandeur. Dès lors, tout ce qui fit autrefois la gloire de la France est-il perçu comme horizon indépassable qu'il faudrait apprendre à désirer derechef : à défaut de pouvoir reconquérir les colonies qui firent notre emprise, au moins raccompagnons ces hordes quasi-barbares à la frontière. Avec lui, quoiqu'on en ait, on n'est jamais très loin des obsessions d'espace vital voire de choc des civilisations. Mais soyons clair d'un racisme pur et net qui a trouvé dans l'arabe un prêt-à-haïr tout disposé à remplacer le juif impraticable ici, au moins par lui.

Toute évolution - ne parlons même pas de féminisme mais seulement d'émancipation des femmes - est-elle perçue comme le symptôme d'une perversion morale qui ne peut aboutir qu'à un effondrement général. Cet homme n'aime pas les femmes ; à peine les mères à quoi il veut les réduire. Une fois posée la supériorité ontologique du mâle, en réalité jamais exposée ni justifiée mais seulement suggérée comme un incontournable axiome, ne reste plus aux femmes que la double fonction instrumentale et servile de l'enfantement et du plaisir à procurer au mâle triomphant. Son homophobie s'en déduit largement et complète le musée tératologique des obsessions ultradroitières. Pas même latentes - n'a-t-il pas déclaré un jour sur les antennes : « Je n'ai rien contre les homosexuels ; en revanche, je lutte politiquement contre les gays. »

L'entendre c'est revenir aux pires heures des années trente où fleurissaient ligues et troubles officines - la Cagoule - où prospérait un antisémitisme sans complexe, certes pas exterminatoire mais discriminatoire assurément ; où Maurras déversait son fiel insidieux ; où la haine de la République, en réalité du peuple pouvait tenir lieu de politique.

Inutile de crier aux loups ! l'heure n'est pas forcément plus grave aujourd'hui qu'hier ou avant-hier. Il est vrai qu'à deux reprises en moins de vingt ans l'électorat aura placé un candidat au second tour et s'apprêterait semble-t-il à le refaire l'année prochaine, et ce avec des scores de plus en plus inquiétants. L'électorat n'est pas nécessairement plus à l'extrême qu'autrefois ; à droite assurément. Il détreste en tout cas que les choix soient confus et que les camps, en dépit des apparences, parlent d'une seule et technocratique voix. Mais la crise climatique s'ajoutant à celle économique s'attardant depuis trente ans, un exercice de plus en plus personnel et solitaire du pouvoir que ces crises ne font qu'accentuer, le brouillage idéologique faisant exploser les repères politiques classiques, laissant la gauche exsangue et la droite très divisée, tout ceci offre un angle mort à la haine ordinaire qu'on ferait bien de ne pas négliger.

La peur n'est jamais bonne conseillère politique : elle est avec la haine qu'elle contribue à nourrir le fonds de commerce de l'extrême-droite depuis toujours.

Il se trouve simplement qu'autrefois on détournait le regard de ces gens-là et se bouchait le nez, gêné, de tant de pestilences ; mais que désormais l'on y prête oreille et parfois intérêt - vague sur laquelle surfent des médias en quête d'audience et aussi peu scrupuleux que n'importe quel marchand d'armes.

Remarquons simplement cet intérêt indéfiniment répété de l'extrême-droite pour la morale et les questions désormais qualifiées de sociétales. Intérêt ? je devrais écrire instrumentalisation. Les relations entre morale et politique sont assurément vaste champ d'étude philosophique et politique mais il faut, systématiquement se méfier quand le politique se pique de se préoccuper des âmes plutôt que des choses. Jamais alors éthique ne mérite mieux son étymologie de lieu où contenir pour dresser ; ni management la sienne où faire tourner en rond équivaut effectivement à domestiquer, dresser, soumettre.

Nul n'a oublié les pousse-au-jouir du Maréchal : ni son vous souffrez et vous souffrirez encore ; ni ces mensonges qui nous ont fait tant de mal. Derrière la collaboration, il y avait bien la Révolution Nationale : la terre qui ne ment pas, le corporatisme à la place du syndicalisme ; l’État fasciste sans parti politique … et l'éloge des mères. Nul n'a oublié qu'après le 6 février 34, quand se forme le gouvernement Doumergue en remplacement de celui de Daladier, Pétain avait demandé - sans l'obtenir - le ministère de l’Éducation Nationale !

La monarchie d'Ancien Régime s'évita le risque d'être totale parce qu'elle trouva toujours, en face d'elle, l'Église qui consacrait sa légitimité et se réservait la menace de l'excommunication en cas de crise. Ceux-ci s'aliènent spontanément spiritualité et morale.

Sans doute est-ce pour cela que je répugne toujours à entendre économistes, patrons, managers, communicants et autres experts s'affairer autour des valeurs, où bien vouloir proclamer celles de leurs entreprises : les remugles de l'entourloupe ne sont jamais loin. Pour ceci, encore plus, que je m'inquiète quand les politiques s'en mêlent. La morale y est vite knout efficace aux coups de quoi le chaland se complaît étrangement. J'accepte l'accusation d'esprit étriqué mais décidément si je veux bien entendre philosophe, homme d'église, éventuellement sociologue ou psychologue parler de valeurs que se taisent les autres aux propos trop insistants et intrigants pour ne pas être manœuvriers.

Quelle tristesse quand même de devoir rappeler que ce sbire est au-delà du supportable.

 


pour exemple le 28/01/2006 en face de C Barbier