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Pèlerins …

Un paysage splendide en montant un peu plus haut là-bas vers la Haute-Loire … on m'avait signalé belle perspective et ferme aménagée, propice à la rêverie et à la promenade.

Comment eussé-je pu résister ?

Le paysage était à la hauteur des attentes, d'autant qu'il me permit de repasser par ce charmant village de Lajo et de revoir son église qui m'avait agréablement surpris.

Ce qu'on ne m'avait pas dit était que l'endroit fût une étape sur le chemin de Compostelle. La région est balisée de ces GR signalant les chemins de grande randonnée reprenant les routes supposées empruntées autrefois vers Compostelle.

J'en nourris quelque doute mais, ne me dira-t-on pas bientôt que ce fût ici basse suspicion d'agnostique ? Non en vérité, simplement le fruit bien trop habile d'historiens en mal de racines chrétiennes ou de promoteurs en tourisme local qui y puisèrent l'opportun bénéfice d'une agitation nouvelle en cette contrée que la doxa parisienne s'était empressée de déclarer déserte.

Toujours est-il qu'à chaque détour de chemin - et jusqu'à la petite halte que je m'offris pour boire un café - le défilé incessant de ces contrefacteurs de spiritualité télescopa mes paisibles méditations, jusqu'à ébranler cet humanisme que je me croyais inébranlable.

Je les avais déjà croisés, en leurs tenues estivales et si modérément pieuses à Aubrac, tandis que je fautais devant délicieuse entrecôte et aligot de circonstance, ces séides de la dernière heure, entraînant jusqu'à leur progéniture qui n'avait sans doute pas tant demandé que cela ; parfois à vélo, mais toujours avec cette allure enjouée et l'allure soutenue malgré la chaleur et l'enflure déraisonnable de leurs sacs-à-dos ; dans l'église elle-même, prosternés dans une posture qui respirait moins la piété que l'abnégation masochiste et humiliante avec quoi ces novices du dogme confondent la foi mais où il cherchent assurément cette sécurité rassurante qui endorme leur conscience apeurée. Je les retrouvais en cette ferme, s'approchant de moi d'un Bonjour qui se voulait avenant ; qui était tellement sirupeux. Ah ce sourire béat - pour ne pas écrire niais, cette intonation doucereuse et faussement chantante imitant le phrasé moins grégorien que pleurnichard de la prêtraille ! ah ces yeux exorbités comme si l'infini les avait pénétrés et qu'ils eussent peine à comprendre que c'était ici leur seule crédulité qui fut mise à l'épreuve ! ah cet accoutrement d'altruisme qui espère moins la vertu que le pardon, exprime moins la contrition que ne calcule la dose d'attrition nécessaire pour garantir le salon. Car ces gens-là ne croient pas ; n'espèrent pas; mais escomptent … quand ils ne comptent pas simplement.

Je l'avoue : je ne supporte ni ces simagrées ni ces simulacres de spiritualité qui suintent le rance.

Que savent-ils ces faussaires de la foi de St Jacques de Compostelle supposée abriter la dépouille de Jacques le majeur, fils de Zébédée, frère de l'apôtre Jean ?

Que savent-ils d'ailleurs du pèlerinage, ces bobos en goguette contrefaisant la gravité en brinquebalant leur bourgeoise fatuité adossée à des bâtons de marche qui leur donnent allure de skieurs égarés ?

Je n'aime pas les contrefaçons mais dans cet engouement pour une spiritualité d'autant plus facile qu'elle semble se cantonner à la sphère physique et ressembler à s'y méprendre aux joggeurs du Champ de Mars et autre boxeurs des berges de Seine que je n'eus de cesse de rencontrer depuis un an, je vois comme une ultime métamorphose du dogmatisme main-street comme ils disent qui avait trouvé dans l'écologie, le végan, le féminisme et l'invective contre l'impérialisme masculin de quoi assouvir la haine de soi que ces manigances trahissent. Ce retour du religieux qu'on nous annonce depuis si longtemps, en réalité est déjà réalisé même si sous des formes aigries, avariées.

Qu'a donc à voir avec l'ascèse, l'humilité et la méditation cette exultation ostentatoire du corps qui engage bien plutôt ce culte de l'effort pour l'effort à quoi l'idéologie dominante, si obsédée de performance et de dépassement de soi veut réduire l'existence moderne car le libéralisme brade plus même qu'il ne vent. Il faut bien essouffler les corps pour apaiser les craintes et attiser les renoncements ; pour étancher les craintes et restaurer la soumission. Pour faire taire ce tout petit filet de voix qui s'obstine à nous rappeler à notre propre dignité.

Je ne puis oublier combien le pèlerin est d'abord celui qui vient de l'étranger ou qui est étranger. Qui pérégrine.

Je ne puis oublier ce geste si ancestral qu'il est archaïque, si universel que sans doute il s'enracine en notre humanité. Séquelle sans doute de la pensée magique : croire qu'en approchant d'un lieu saint, qu'en touchant une relique, un arbre, une source, en s'assoupissant près de ces lieux - incubation - pour recevoir dans ses rêves, les prescriptions divines. Toucher l'objet, le lieu c'est participer au surnaturel, au religieux, aux mystères. C'est se dépasser ou entreprendre de le faire et l'on comprend aisément que la marche accomplira, à la mesure de la peine et de la souffrance qu'elle suscitera, ce lent travail de purification qui mène à l'être.

Rite initiatique … rien de plus. Et la transfiguration, la métamorphose, l'exhaussement, on le sait, doivent faire mal.

Aux antipodes de l'ermite qui entre en lui-même, et dans le désert scrute l'ultime écho de la parole divine, le pèlerin vagabonde. C'est bien tout le problème : il n'arrive jamais, ne se justifie que du chemin et manque de peu de prendre le moyen pour la fin. Avec lui, on n'est jamais très loin du simple tourisme …