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Tentations

A observer les élections US, la tentation est forte de multiples dénis où pourtant la sagesse comme la prudence recommanderaient de ne pas sombrer.

Ce qui est inquiétant tient en ceci que les remises en question de la démocratie fusent ou se diffusent même là où on ne l'eût jamais imaginé ; de la part d'individus dont on aurait pu croire la démocratie chevillée au corps. Signe, s'il en fût jamais, qu'aucune victoire de l'histoire n'est définitive. Chaque crise grave porte son lot de 6 février 34 et celles qui pointent - notamment toutes celles inéluctablement provoquées demain par le dérèglement climatique - sont suffisamment inquiétantes pour qu'on s'attache à mettre la démocratie hors de danger.

C'est toujours une erreur grave que de considérer que le peuple n'est pas compétent pour juger des affaires économiques et politiques. La compétence n'entre pas en jeu ; au reste si seuls pouvaient voter les experts, peu de personnes voteraient. Le peuple vote parce qu'il est souverain ; c'est la citoyenneté qui confère la légitimité du vote. Au demeurant, même s'il est exact que les motivations de tel ou tel vote ne sont pas nécessairement d'une rationalité à toute épreuve, Rousseau n'avait pas tort d'estimer que les opinions sottes, passionnelles etc se répartissant harmonieusement sur l'échiquier politique, elles s'annulaient les unes les autres. C'est bien pour cela que tout regard méprisant ou de discourtoise commisération à l'endroit du peuple est, par définition, antidémocratique. Le peuple n'est ni naturellement bon ou infaillible. Il est souverain, je veux dire, au principe du système et donc ce qui rend le système possible mais ne peut être évalué par ce dernier.

Il est toujours facile de tancer la démocratie pour ses faiblesses et ses égarements. Pour ses dirigeants pas toujours exceptionnels et parfois même odieux. Soit ! Outre qu'il ne soit aucun système qui parvienne à s'éviter le problème - tous nos rois n'ont pas été d'exception ni nos technocrates si fiers de leurs expertises, sans reproches - il faut bien admettre que la sainte logique politique veut qu'en limitant la durée des mandats et en disposant de contre-pouvoirs, la démocratie s'évita souvent le pire. On peut sourire qu'une grande démocratie comme les USA ne parvienne pas à donner rapidement ses résultats ni qu'il n'y ait d'instance impartiale pour les proclamer ; néanmoins ce n'est pas la faillibilité du système qui fait la division du pays mais bien l'inverse. C'est bien la gravité de la situation qui suscite ces dérives extrême-droitières, là comme ici. Sans doute Trump ! Mais il est lui-même déjà une conséquence : celle d'une société qui ne sait plus ni où elle va ni où elle veut aller ; qui, coincée entre son déclassement et un avenir qu'elle sait devoir être sombre, ne se croit pas d'autres alternatives que de se vouer à un vieillard providentiel - Juin 1940 nous en a donné l'exemple. Le ricanement est facile : avoir placé deux fois en moins de 20 ans, un candidat de l'extrême-droite au second tour devrait nous empêcher de donner des leçons.

La doxa pragmatique et libérale, celle-là même qui honnissant la pensée unique a fini par en produire une autre, vide de toute idée ; celle-là même qui accusant toute idéologie d'être pourvoyeuse de totalitarisme a suscité de plus vaste brouillard idéologique qui soit, qui ne permet même plus de distinguer clairement d'entre ordre et progrès, gauche et droite ; celle-là même qui usant et abusant des mots a fini par nommer réformes, les plus odieuses régressions politiques et nous laisser entendre qu'un pouvoir fort serait préférable à la démocratie bavarde et impuissante.

Oui, il m'arrive de penser que ce n'est pas seulement la démocratie qui est en danger !

Mais la République.

Où est la gauche ?

Elle manque. Terriblement.

 


Covid-19 : le conseil de défense, où est décidée la gestion de crise, est prisé par Emmanuel Macron et décrié par l’opposition

Depuis mars, le président a fait de cette vieille instance un lieu clé dans la prise des décisions sensibles. Pour certains, elle illustre le manque de transparence du gouvernement. Par Alexandre Lemarié et Olivier Faye

Le président Emmanuel Macron, le 6 novembre à l’Elysée.Le président Emmanuel Macron, le 6 novembre à l’Elysée. LUDOVIC MARIN / POOL / AFP

C’est une vieille instance, longtemps restée dans l’ombre, qui a émergé de la crise sanitaire. Depuis mars, les arbitrages qui y sont pris rythment la vie des Français. En quelques mois, Emmanuel Macron a fait du conseil de défense et de sécurité nationale (CDSN) le lieu clé dans la prise des décisions les plus sensibles de l’exécutif. Son principal outil de gestion de crise, qui se réunit sur un rythme quasi hebdomadaire.

Jeudi 12 novembre, une nouvelle réunion de ce type est prévue le matin autour du chef de l’Etat, afin d’évaluer les options possibles pour freiner l’épidémie de Covid-19, avant une conférence de presse du premier ministre Jean Castex, l’après-midi. Un rituel. En l’espace d’un mois, ce sera le cinquième conseil de défense convoqué par le chef de l’Etat. A chaque fois pour trancher des annonces fortes, comme le couvre-feu ou le reconfinement.

Installé à l’Elysée, dans le salon Murat, lieu habituel du conseil des ministres, ce cénacle rassemble des responsables politiques, des hauts fonctionnaires, des spécialistes… Avec généralement une dizaine ou une vingtaine de participants. Bien moins que le conseil des ministres. En dehors des inamovibles, comme le premier ministre, celui des armées ou de l’intérieur, d’autres membres du gouvernement peuvent y être conviés pour aborder un sujet précis.

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Depuis le début de la crise du Covid-19, le ministre de la santé, Olivier Véran et le directeur général de la santé, Jérôme Salomon y sont par exemple présents en permanence. « C’est une ambiance de réunion de travail, explique un participant. Les sujets sont pris les uns après les autres : tests, traçage, mesures de gestion. Le président ou les ministres peuvent poser des questions, parfois précises, aux ministres et aux responsables d’administrations. » Avec une constante : à la fin, c’est toujours le chef de l’Etat, qui tranche.

« On peut tout s’y dire. Et cela ne fuite pas »

Ce cadre restreint, à l’abri des regards, est prisé par M. Macron, qui en apprécie le caractère « très opérationnel », selon son entourage. Cela lui permet de prendre des décisions rapides, sans s’embarrasser de la lourdeur des discussions inhérentes au fonctionnement normal d’un gouvernement. « Le conseil de défense, c’est une organisation efficace dans notre système présidentiel. Tu peux aller sur le fond du fond d’un sujet », défend une source gouvernementale.

Le chef de l’Etat en apprécie la confidentialité des échanges ; ses participants étant tenus au secret-défense. « Il y a besoin d’un endroit où on puisse tout mettre sur la table », justifie un ministre. « L’avantage, c’est qu’on peut tout s’y dire. Et cela ne fuite pas », complète un autre. D’autant qu’à la différence du conseil des ministres, il n’y a pas de compte rendu.

Sauf que le recours croissant à cet organe, jugé opaque, suscite des critiques au sein de l’opposition. De gauche à droite, on dénonce un supposé manque de transparence de l’exécutif. M. Macron « décide seul avec quelques conseillers », s’est indigné l’écologiste Yannick Jadot, en plaidant pour la création d’un « conseil de sécurité sanitaire », élargi aux « forces vives du pays ».

D’autres, comme le sénateur Les Républicains (LR), Philippe Bas, accusent l’exécutif d’avoir détourné le conseil de défense de son usage, en l’utilisant pour trancher des questions de santé publique, ou sur la transition écologique, alors qu’il est d’abord consacré, à l’origine, à la stratégie militaire et à la sécurité. Faux procès, selon les macronistes. « La gestion de la crise implique des prises de décisions qui concernent tous les enjeux de sécurité, notamment sanitaire », rétorque un conseiller du chef de l’Etat.

Le secret-défense, « cela n’empêche pas les poursuites »

Mais le plus virulent est sans nul doute Jean-Luc Mélenchon. Ces derniers jours, le chef de file de La France insoumise a multiplié les attaques, comparant le conseil de défense à un « comité secret », autour de M. Macron, qui permettrait à ce dernier de « se protéger judiciairement »« Pourquoi une invention pareille a fini par se substituer quasiment à tous les organes constitutionnels de prise de décision ? », a-t-il demandé, en soulignant « le problème grave que soulève la direction du pays » par un organe « tenu au secret-défense »« Autrement dit, il ne rend compte à personne et n’informe personne des décisions qu’il a prises », permettant aux personnes qui le composent d’être « placées hors de tout recours ».

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Des accusations sans fondement, aux yeux du constitutionnaliste Jean-Philippe Derosier. « Le président de la République n’a pas à se servir du conseil de défense pour se protéger de la justice puisqu’il bénéficie d’une immunité totale dans l’exercice de ses fonctions », corrige-t-il.

Quant au secret-défense, « cela n’empêche pas les poursuites, sa levée pouvant être demandée par un juge », rappelle ce professeur de droit public, en soulignant que l’ex-premier ministre, Edouard Philippe, ou l’ex-ministre de la santé, Agnès Buzyn, sont aujourd’hui « tenus de rendre des comptes » des décisions prises dans le cadre des conseils de défense, au moment de la première vague. « Le code de procédure pénale prévoit des dispositions sur la levée du secret-défense et le conseil de défense n’en fait pas exception », souligne l’exécutif.

Pour les macronistes, présenter le conseil de défense comme « antidémocratique » serait donc un non-sens. « Ça n’est pas une instance d’exception. Ses décisions impactant les libertés publiques doivent toujours être adoptées par le conseil des ministres, souligne le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal. Quand le président a tranché sur le couvre-feu, par exemple, c’est évidemment le conseil des ministres qui l’a acté par décret. »

Le conseil des ministres supplanté

Ces dernières années, alors qu’il était président de la République, François Hollande avait régulièrement recours à cette instance pour faire face à la menace terroriste. Une habitude reprise par son successeur.

Lors du premier conseil de défense organisé après l’attentat contre Samuel Paty, le 18 octobre, chaque ministre présent était invité à venir avec des solutions opérationnelles à proposer. A l’issue, l’Elysée a ainsi pu annoncer des actes « concrets », comme des visites domiciliaires chez des membres de la mouvance islamiste. Depuis, deux autres conseils de défenses ont été organisés sur ce thème. Ou comment donner à voir à l’opinion l’image d’un pouvoir en pleine action, alors que la défiance grimpe quant à la capacité de M. Macron à répondre au défi terroriste.

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Peu à peu, le conseil de défense en vient à supplanter le conseil des ministres, qui devient de plus en plus souvent une simple chambre d’enregistrement, avec un déroulé très codifié et protocolaire. Lors de sa réunion du 28 octobre, M. Macron n’a ainsi rien laissé filtrer de son choix d’annoncer le soir même aux Français le retour du confinement. Seul comptait à ses yeux le conseil de défense sanitaire organisé quelques heures plus tôt. « Le président sait la confidentialité d’une réunion à quarante personnes, ironise un ministre. Il y avait une nécessité de créer un effet de blast. »

Depuis le début de la crise sanitaire, en mars, les conseils des ministres n’ont d’ailleurs jamais retrouvé leur fonctionnement normal, puisqu’ils se déroulent toujours en visioconférence pour certains des participants. De quoi déclencher un trait d’humour de Xavier Bertrand. Auditionné le 22 septembre, devant la commission d’enquête du Sénat sur la gestion de l’épidémie, l’ex-ministre de la santé a lancé : « Le haut conseil de défense, c’est ce qui est en train de remplacer le conseil des ministres, en ce moment, c’est ça ? »