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Ciels

Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle
Sur l'esprit gémissant en proie aux longs ennuis,
Et que de l'horizon embrassant tout le cercle
Il nous verse un jour noir plus triste que les nuits ;

 

On aimerait pouvoir gémir mais comme par ironie ou sarcasme légèrement sadique, le ciel parisien s'est entiché de nous provoquer en arborant vêture printanière.

Rapport curieux que nous entretenons avec le monde, décidément ! Que nous nions et instrumentalisons jusqu'à la frénésie ; que, oui sans doute, nous avons désenchanté ; mais dont nous ne pouvons nous passer ; dont nous n'admettons pas, sans maugréer, qu'il se maintienne sans nous ! que nous aimons à notre main, façonné ou soumis et répudions quand il se fait menaçant.

Curieux sentiment au reste : tantôt me manque le monde ; tantôt ce que j'en lis, de ce qui s'y passe et dit, de ce que s'y colère et divague, me donne furieuse envie de fermer les rideaux, de déposer l'espoir comme on le ferait d'un bilan et me retirer définitivement en quelque cellule d'où seul le cloître me ferait encore illusion de respirer.

Cet aller-retour, bien plus qu'inclination ambivalente d'ailleurs, m'intrigue et m'étonne ! qui révèle notre étrange nature d'être inquiet toujours et de chercher un apaisement que nous ne supportons pas !

Je comprends Zeus qui, prenant en main l'ordonnancement du monde s'agace de ne trouver place pour cette curieuse engeance immortelle mais pas divine pour autant qui ne méritait pas une place sur l'Olympe - véritable interstice entre l'être et le chaos - qui sans doute l'eût mieux trouvée - en réalité perdue - - dans la pénombre des labyrinthes d'Hadès.

N'être nulle part à sa place et ne trouver consolation jamais : au delà du spleen, trouver angoisse jusque dans la consolation elle-même.

Cet arrêt forcé que les circonstances nous imposent et que notre vanité nous fait espérer pouvoir maîtriser n'est pas qu'un arrêt brutal de la cité, de son économie et des va-et-vient dans les rues de la ville. Elle est comme une plongée obligée, l'interdiction de fonctionner, l'empêchement de ronronner, le plaisir de la fourmilière pour un moment frustré, la paresse désormais entravée de nous réjouir de simplement bêler avec les autres, et courir sans s'arrêter en une agitation peut-être brownienne mais où, en tout cas, rien n'y ressemble plus au chaos que son ordre supposé. Moment étrange où nous croyant en face du monde, nous nous retrouvons seulement en face de nous-mêmes.

Est-ce ainsi que les hommes vivent ?

Ce n'est pas affaire de regrets, ou de remords ; encore moins de cette nostalgie - qui est douleur - où l'on pourrait s'attarder et qui vous fait cruellement comparer vos rêves d'adolescents avec le sentier parcouru, sinueux, si étriqué … tellement indigent. Ceci n'a rien à voir avec ses bonnes dispositions que l'on prend parfois quand on réalise qu'on s'est laissé engluer dans le réseau resserré d'habitudes ou d'indolences qu'on avait désappris de reconnaître … mais les leçons que l'on tire vite demain on les oubliera : bien obligés, elles indisposent tant !

Non c'est plutôt ici affaire d'impuissance. Je ne sais pas si le mot tragique convient : je n'aime pas en la matière les mots convenus. Mais si le mot est juste c'est en ce qu'il porte encore l'ultime écho du cri de la bête que l'on égorge. La certitude, en regardant son passé et le maigre futur qui demeure possible, en scrutant ses gestes gourds et ses mains hésitantes, en dépit surtout de nos protestations de bonne volonté et intention la certitude oui autant que la honte d'avoir beaucoup raté ; d'avoir été rarement à la hauteur !

Le héros de la tragédie affronte l'ennemi, l'hydre ou les dieux tout en sachant qu'il ne vaincra pas, rien ni personne. Il toise le destin ; n'espère sans doute rien sinon de tomber avec élégance, avec grâce.

Nous n'en sommes pas loin et je crois bien que notre promontoire absurde, sur quoi nous nous hissons avec vanité, juste assez élevé pour entrapercevoir l'infini mais trop fragile pour espérer l'atteindre jamais, est au mieux le monticule de nos vanités, au pire, l'engrenage de nos démesures.

Nous reste de choir avec élégance. De le tenter au moins.

Comment ne pas songer à ce hurlé de nostalgie et d'impuissance évoqué par Camus ?

Ceux qui n'ont pas exigé la virginité absolue des êtres et du monde, et hurlé de nostalgie et d'impuissance devant son impossibilité, ceux qui ne se sont pas détruits à essayer d'aimer, à mi hauteur, un visage qui ne peut inventer l'amour et ne fait que le répéter, ceux-là ne peuvent comprendre la réalité de la révolte et sa fureur de destruction Camus Carnet II

Je n'ai jamais eu dilection pour la destruction et crains de n'avoir plus l'énergie de la révolte.