index précédent suivant

 

 

Visites ou comment sortir à Paris un week-end de vacances …

Pourquoi tout ceci me fait-il songer à B Vian

Épisode n 1 : La Villette

Un semi week-end avec mes petits-enfants et l'envie folle de leur faire plaisir. Jamais autant qu'en cette occasion, je ne perçus combien Paris, celui des touristes en tout cas, celui aussi de tous ceux qui veulent à l'occasion faire telle ou telle visite, exposition ou festival - puisque décidément le verbe faire désigne sans discernement à peu près tout cela, combien était encombrée cette ville. On fait la Tour Eiffel comme on fera le Louvre - combien ce Paris-ci était encombré, surpeuplé ; combien tout alors s'y résumait à de folles attentes ; combien faire revenait dès lors, paradoxalement, à ne rien faire.

Une visite donc au Comic Con à la Grande Halle de la Villette. J'avoue avoir tout ignoré de la chose et n'y eût sans doute jamais pensé sans l'insistance de mes petits-fils. J'avoue, en réalité, n'y avoir rien compris - même après coup.

Mais quoi ? La chose se vante être la grande manifestation, le plus grand festival de la culture pop. Soit, allons y ! Nous y fûmes. Certes ceci n'allait rien avoir à faire avec ce qu'en mon jeune temps on appelait culture pop, mais ce que j'y vis n'avait assurément rien à voir avec un festival, encore moins un événement : une grande halle, seulement, exclusivement hantée par des stands où acheter objets divers, relevant tous des droits dérivés, à la gloire de ces super-héros constituant le seul évangile de cette culture.

Une foule invraisemblable, bariolée, mais pressée, empressée et compressée. Se faufiler dans ces allées aussi étroites que surpeuplées qui séparaient les stands, ou bien les pseudo-exposition, de voitures par exemple, à côté de quoi se faire prendre en photo, relevait de la haute voltige. Je n'y étais pas préparé !

La mauvaise foi - qui prétendra jamais que j'en manquasse ? - pourrait me faire dire que j'ignorais tout de cette dilection pour les films de super-héros. L'honnêteté me pousse à avouer que j'ignorais que la passion s'étendît hors des salles obscures et poussât jusqu'à se déguiser quitte à offenser, ce faisant, à épuiser en tout cas, les règles les plus élémentaires du goût, de la décence. L'agacement m'incite à décrier une manifestation qui, sous le fallacieux prétexte de rencontres en réalité impossibles, ne vous offre que des stands parfaitement mercantiles et ce pour un ticket d'entrée loin d'être symbolique. Au nouvel hypermarché du grand n'importe quoi, non seulement les marchandises sont frelatées, mais en plus l'entrée est payante.

La faune, passablement excitée, au point d'y égarer jusqu'aux dernières lueurs d'une courtoisie autrement enseignée et de vous écraser au moindre frémissement d'un événement qui de toute manière n'aura pas lieu, la faune, dis-je, plutôt composée de jeunes adultes que d'enfants - à ma grande surprise - était fréquemment travestie : tant femmes qu'hommes, avec ce raffinement qui ferait passer une chanson de Richard Anthony pour le summum de la musique religieuse baroque. C'est dire !

 

Tout ici aura été dans le super quelque chose ; dans la démesure ; dans l'outrance ; dans l'excès ; dans l'outrepassement.

La foule, pléthorique ; les couleurs, les accoutrements ; les comportements ; le bruit ; des manifestations, annoncées, dont on ne trouvait pas le lieu ou bien dont on reconnaissait l'espace à la file d'attente interminable qui y conduisait ;si longue qu'elle eût lassé même un adolescent aux prémisses de sa première nuit d'amour.

Le public, lui-même …

Sans doute ce qui m'aura le plus surpris. Qui m'a aidé à comprendre ce que l'expression adulescent signifie. Une horde d'adultes régressifs, ou d'adolescents attardés - comment discerner ? - sous l'œil parfois médusé des rares enfants qui les accompagnaient ; à se demander, au reste, qui tempérait les ardeurs de l'autre ?

Je prétend ne jamais céder au c'était mieux de mon temps : je ne suis pas sûr que les excès des grands festivals pop de ma jeunesse n'excédassent point la génération de nos parents comme je puis l'être ici : au moins ne s'agissait-il point alors d'une exclusive manifestation commerciale. Mais comment avouer qu'en regardant passer devant moi ces grands escogriffes grimés en araignée ou ces femmes, pas toujours jeunes, costumées en super-nana ou autres princesses sulfureuses, je ne pus m'empêcher de songer que c'était sur cette génération de régressifs prostrés devant leurs écrans et leurs rêves de princesses pré-nubiles qu'il faudra compter pour inventer un avenir au milieu des périls qui s'annoncent.

Les Tanguy ont sans doute fini par quitter le domicile de leurs parents mais il sont allés s'avachir sur d'autres canapés, mollement enivrés par des sagas ou des séries dont ils s'empiffreront en boucle ou à la chaîne.

Je ne suis pas certain qu'il y ait ici quelque chose à comprendre ou à expliquer. J'ignore si le goût pour ce type de films a un sens psychologique ou social assignable : je ne chercherais même pas quel processus d'identification console ces jeunes adultes de la turpitude médiocre de leur quotidien. En revanche, ces comportements parfaitement régressifs, en quête de rituels sacrés, où même les files d'attente à l'entrée ressemblent à s'y méprendre, aux parcours initiatiques des frapadingues de tout poil et autre néo-convertis fanatiques sur le labyrinthe de la Cathédrale de Chartres au moment du solstice de printemps, laissent eux à méditer.

 

 

Cette génération, prise en étau entre un passé paradisiaque qui n'existe plus que dans les souvenirs chevrotants de leurs grand-parents et un avenir que tout annonce apocalyptique ou cataclysmique, cette génération qui n'a vu de ses parents que la frénésie de sa consommation et l'empressement obsessionnel à tout faire de plus en plus vite parce que la modernité est dans l'adaptation et la flexibilité, cette génération qui a vu toutes les illusions s'effondrer et les croyances s'évider, cette génération a sa manière est à la recherche sinon de sacré en tout cas de rituels qui en donnent l'allure assurance et la conformation d'une socialité où se reconnaître.

 

 

Épisode 2 : bateau-mouche

Reste de la journée, chose promise chose due, du moins le crus-je : faire un petit tour en bateau sur la Seine et prendre à l'occasion quelques jolies photos dont peut-être même de Notre Dame la mutilée.

Arrivée sur les quais et là, derechef une file d'attente à vous faire désespérer, ressemblant à 'y méprendre à celle de l'Occupation ou des magasins moscovites de la grande période !

Une heure et demi d'attente au bas mot … de quoi transformer le capitaine Haddock en promoteur des Alcooliques Anonymes. Il a bien fallu se rabattre sur autre chose : le manège plutôt charmant en face de la tour … et une promenade dans les allées du Champ de Mars …

Sur les marches, un de ces pseudo-mimes : autrefois, il esquissait quelques gestes pour s'attirer la pièce ; désormais il se contente de se laisser prendre en photo avec l'enfant ou l'adulte qui le demande contre rétribution. D'un peu plus loin, je le croquai ; il s'en aperçut et le bougre vitupéra jusqu'à ce qu'on lui concède piécette en sa besace. Ce n'est pas son âme que le quidam vendait ; encore moins son art. Seulement son image !

Un manège plutôt à l'ancienne manière de chevaux de bois descendant et montant ; les inévitables parents s'empressant de photographier la merveille du monde qui leur fait office de progéniture ; l'alentour bien aménagé … Quelques minutes agréables. Mais pour la promenade ce fut une autre histoire …

Trop simple : l'accès à l'Esplanade quoique gratuit encore - mention généreusement offerte sur les parois la protégeant - est néanmoins filtré par des portes tambour. Attente garantie … mais offerte.

Second renoncement dans la même AM. Sans doute la chose se justifie-t-elle par les menaces terroristes. C'est dire au moins qu'entre l'afflux de touristes empressés et les mesures de sécurité, voir quelque chose à Paris revient à un parcours du combattant. J'avais déjà renoncé à revoir Notre Dame quelques mois à peine avant l'incendie pour les mêmes raisons.

Une furieuse envie de province, parfois.

Chemin de retour, le long du quai : qu'il fait malédiction de marcher à contre-sens de touristes aussi pressés que goujats. Aucun d'entre eux ne laissera jamais le passage : ce fut à moi, presque à chaque fois, de m'écarter, jusqu'à me mettre dans le caniveau, pour laisser à ces honorables jeunes mal élevés, laids et puants, à ces grappes d'anglophones bruyants et d'hispanisants empressés de se prendre en photo - preuve s'il en est que la Tour importera moins que leur présence devant elle - la possibilité de dévaler le trottoir avec la frénésie d'un Coco lapin devant une botte de carottes.

3e épisode :

Ce fut heureusement la petite dernière qui sauva la mise en demandant à voir la Tour de nuit. Voici qui du pont, de loin, fut charmant. La voir clignoter et entendre les bateaux glisser sous le pont l'enchanta. Ce fut bien ici l'essentiel.

 

Enfin quelque chose de possible. Sur le pont les inénarrables photographes usurpant les gestes de professionnels et les jeunes filles ceux des mannequins mais un délicieux petit moment …