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Une affaire d'engagement

 

Ce numéro hors-série consacré à la Résistance présentée d'abord comme un état d'esprit. Et puis, en début de semaine, cette série d'articles présentée autour de la question - très journalisme en quête de sensationnel - de la fin supposée du capitalisme.

Aucun rapport ? si, en réalité, qui engage cette incuriosité que je repérais dont la presse est la première victime.

Comment ne pas voir que dans cette France qui s'agace de troubles à la SNCF au moment de départs en vacances, il y a le même aveuglement à ce qui engage l'autre ; la même obsession de ses petits troubles et intérêts. Que la remise en question des statuts mais de la sécurité même inquiète moins le grand public que ne l'énerve un train retardé ou annulé tellement plus important que le droit du travail …

Quand je regarde cette photo, je ne puis pas ne pas penser à cette phrase de Churchill affirmant à propos des aviateurs de la RAF de 1940 :

Jamais dans l'histoire des conflits tant de gens n'ont dû autant à si peu

Peu nombreux, jeunes, parfois très jeunes … Ce n'est pas que je prise comme un idéal les situations où il n'est en réalité pas d'autres solutions que le sacrifice, je constate seulement que si les situations extrêmes suscitent invariablement des réponses et des réactions extrêmes, la forme première en est l'engagement - militant ou autre ; que cet engagement est rarement considéré par la majorité encore moins par la bien-pensance bourgeoise. L'opinion aime les choses modérées, qu'elle nomme raisonnables : qui s'engagerait totalement pour une cause même bonne, est toujours perçu d'abord, comme suspect d'inconscience, d'enfantillage … ou d'excès. Hormis dans la grande bourgeoisie, même celui ou celle qui désirerait entrer dans les ordres, sera d'abord perçu comme excessif ou … fou, ou dangereux.

Je m'amuse de penser que c'est ainsi, sans doute, qu'à la dérobée et dès qu'il le put, mon père qui n'avait alors pas même dix-huit ans, échappa à la surveillance de sa mère - qui d’ailleurs devait bien peu se soucier de lui - et se retrouva sur le plateau du Vercors quelque peu avant que les choses ne commencent à s'y gâter. Oh il n'y fit sans doute pas grand chose mais je sais que c'était important pour lui. Il ne voulait ni paraître lâche ni faible et, par dessus tout il dut bien un peu rêver de retrouver son père après la guerre et pouvoir lui dire tu vois, moi aussi ! Il ne pouvait savoir - cela faisait tellement longtemps qu'il n'avait pas eu de nouvelles - qu'il avait quitté le camp d'Impéria et allait arriver à Auschwitz via Drancy d'où il partit par le convoi 75 le 30 mai 44, quelques jours à peine après le débarquement ; il ne pouvait pas savoir qu'il ne le reverrait jamais.

Non ce n'était sûrement pas raisonnable. Pas plus que tous ces artistes considérés comme des parias au pire, des larbins au mieux et qui pourtant donnèrent ses lettres de noblesse à l'humain par leur persévérance. Qu'eût été le théâtre si ce fils de tapissier, par crainte, était rentré dans le rang et avait épousé le noble art de son père ?

Les choses n'étaient sans doute pas plus aisées alors qu'aujourd'hui - mais plus claires cependant : il y avait un ennemi, évident ; dont la perversité et la malignité sautaient aux yeux ; et il était extérieur.

Aujourd'hui, plus insidieux, l'ennemi se tapit au moins autant que le danger pourtant de plus en plus criant. Mais l'ennemi c'est nous-mêmes qui sommes en train de scier la branche sur laquelle nous sommes assis et de ruiner définitivement, ou presque, nos chances de survie.

Et nous ne faisons rien ! ou attendons de l'autre qu'il le fasse à notre place ou au moins avant nous. Parce qu'en réalité nous refusons d'y croire ou faisons comme si … juste avant de partir en vacances. Bref nous regardons ailleurs …

 

 

Alors, oui, une jeune suédoise ; alors oui des actions nouvelles d'occupation de places ou de centres commerciaux ; alors oui des réflexions sur un nouveau mode de production et de consommation … et même des cadres - les frugalistes - qui se projettent à la retraite dès 40 ans en assumant une saine frugalité.

Ce qu'il y a sans doute de plus inquiétant dans cette série d'articles qui s'interrogent tour à tour sur la situation économique, les uns pour y voir un grand tournant, les autres pour n'y voir qu'un de ces nombreux cycles, finalement ordinaires, c'est que bien peu intègrent les périls climatiques ; bien peu envisagent la nécessité de produire et de consommer autrement.

 

L'un y voit le simple fait que l'Europe n'étant plus au centre du monde, profite moins que les autres désormais des bienfaits de la mondialisation ; l'autre fustige les velléités ici ou là de contrevenir aux sacro-saintes lois du libéralisme et d'en revenir au dirigisme, le troisième repère seulement un problème de gouvernance mondiale quand enfin la dernière, sociologue, voit la nécessité de revoir le management des entreprises. Seul Piketty y voit la nécessité d'instaurer - et peut-être d'inventer ou réinventer une économie circulaire. Que de toutes manières il faudra définir.

J'aime assez l'idée - mais c'est bien ceci qui rendra la chose si difficile - que la solution, s'il en est encore une, est entre chacune de nos mains et que nous ne pourrons pas simplement nous contenter d'attendre que d'autres, des jeunes, plus intrépides, plus audacieux, plus inventifs mais surtout moins présomptueusement aveugles que nous, assument le combat à notre place.

J'aime assez l'idée, à l'encontre de cette période qui n'a qu'éthique à la bouche, mais n'y entend que des plus-values à en tirer, que cet engagement n'aura de sens que profondément moral à la fois parce qu'il ne pourra que se justifier par la sincérité de nos intentions, que parce qu'il devra nous impliquer totalement et assurer ainsi un peu de cohérence entre nos pensées et nos actes. Ce que nous négligeons si souvent. A la fois parce qu'il suppose au plus haut point la solidarité que parce qu'il appelle la réciprocité : non seulement avec l'autre mais avec le monde ; non seulement avec la noirceur brute de la pierre qu'avec le souffle à peine sensible de l'esprit qui se cherche.

A les lire presque tous, prend l'envie de reprendre cette formule de Chirac : nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas !

Eh bien si ! ils tentent pourtant de nous le faire croire.

Et montrent avec un insupportable aveuglement combien les grilles de pensée - mais en est-ce encore ? - qu'ils utilisent sont dépassées. Marx, au moins, en son temps, compreit qu'il lui faudrait une économie politique et il la fonda pour comprendre ce qui se passe et ce vers quoi il faudrait aller. Aujourd'hui, de pseudo-experts ou de prétendus chercheurs, spécialistes en tout genre d'un dogme qu'il égrènent avec toujours la même lancinante obstination d'enfants de chœur - comme s'il n'était qu'une vérité inscrite dans le marbre à réciter comme on le faisait autrefois du Notre Père, en boucle, un chapelet à la main.

Cette absence de pensée est un silence sidéral . Lui aussi m'inquiète.