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Icône

« Je ne devrais pas être là, je devrais être à l’école, de l’autre côté de l’océan », a lancé Greta Thunberg, la gorge serrée. « Comment osez-vous ? Vous avez volé mes rêves et mon enfance avec vos paroles creuses. Je fais pourtant partie de ceux qui ont de la chance. Les gens souffrent, ils meurent. Des écosystèmes entiers s’effondrent, nous sommes au début d’une extinction de masse, et tout ce dont vous parlez, c’est d’argent, et des contes de fées de croissance économique éternelle ? Comment osez-vous ! »

 

 

Le discours n'a pas véritablement changé même si le ton, plus incisif, révèle une colère à peine rentrée.

Non ce qui a changé ce sont les réactions qu'elle suscite désormais, ici et là. Après une bienveillance de façade qu'on croyait trouver jusque chez les macroniens, subitement le ton change et l'offensive semble lancée.

La raison m'en semble simple : elle ne rentre jamais dans les débats politiques ; mais fait appel à la science. Même si science est ici utilisée comme une référence ex cathedra hors contestation possible, les données mises en avant, l'imminence de la catastrophe ne font pratiquement plus débat … mais contrastent violemment avec l'inaction des politiques en tout cas leur lenteur à réagir. Les données, les chiffres à quoi elle renvoie, sont inattaquables. Ce n'est donc jamais sur ces derniers que porte la critique.

C'est bien ici que le bât blesse : où un Macron, par exemple, qui se flatte d'être la pointe avancée en ce domaine est pris en total contre-pied pour n'avoir au mieux prononcé que de beaux discours et mis en place quelques groupes de travail. L'écart entre imminence et lenteur est sidéral et jette un doute destructeur sur la capacité du politique à répondre désormais aux problèmes.

Seconde raison : la remise en question sinon du capitalisme du moins de la société de production intensive et de consommation à outrance. La jeune fille ne rentre jamais dans des considérations sur le modèle économique ou bien que par allusion - la critique de la croissance éternelle présentée comme un conte de fée - en revanche elle met en avant l'impossibilité désormais de poursuivre sans rien changer et en appelle à un nouveau mode de production comme de consommation. Des mots bien sûr ! Encore que … Qui illustrent au moins que l'on a pris 50 ans de retard parce que ces mots-là, déjà, étaient prononcés en 74 par un Ch Dumont qu'on s'est acharné à prendre pour un doux dingue, sympathique certes mais irréaliste ! Depuis 50 ans des mouvements écologistes montent ou baissent dans les sondages et prennent une part plus ou moins confidentielle dans les résultats électoraux mais quel retard pris dans la réflexion. L'apport de Marx, pour une alternative, avait été de fonder une véritable économie politique. On attend toujours la fondation d'une écologie politique car nous n'avons au mieux que des programme plus ou moins verdi mais dont le souci environnemental demeure marginal. Depuis le recueil de 1975 d'André Gorz, Ecologie et politique, on attend toujours une pensée forte. Tout se passe comme si nous étions incapables de penser, prévoir et agir avec d'autres modèles théoriques que ceux de la croissance indéfinie et force est de constater qu'en dépit des promesses, peut-être sincères, chacun des quatre derniers présidents, dès les prémices d'une crise économique, eut le réflexe monétariste d'abord et libéral ensuite de sortir de l'impasse par une production accrue.

Dès lors il est remarquable que l'offensive va se faire, assez brutalement, sur sa personne : c'est une jeune fille ; c'est une adolescente ; elle est diagnostiquée Asperger.

Sans doute y a-t-il quelque chose de vexant pour ses excellences, énarques et autres experts de tout poil, de se voir ainsi damé le pion par une jeunesse. Le chemin parcouru en moins d'un an est impressionnant et même si elle n'en est qu'une actrice parmi d'autres, mais plutôt influente, il faut bien admettre que la question climatique ne quitte désormais plus la une des journaux. Ce qui est sans doute de plus en plus anxiogène ; nécessaire néanmoins.

Mauvaise foi et manipulation, arguments d'une faiblesse insigne feront recommander par certains que la jeune fille retourne à l'école ou se fasse soigner. Sans insister sur la sinistre analyse d'Onfray la qualifiant de cyborg … Je m'amuse de voir ces réactionnaires imbus de leurs certitudes et gonflés de leurs positions médiatiques, fustiger cette jeunesse et n'avoir pourtant jamais regimbé devant une Jeanne d'Arc, pourtant aussi jeune, supposée avoir sauvé le Royaume de France et incarner pour cela toute notre histoire et pseudo-identité nationale.

Ce que cette jeune fille aura déjà réussi tient en quelques mots simples : contrairement au pessimisme ambiant, il est possible de déclencher un mouvement d'ampleur et sans doute les moyens modernes mais évidemment la gravité de la crise aussi le favorisent-ils.

Ce qu'elle aura mis en évidence - qui est on ne peut plus dangereux - c'est la vacuité de nos politiques ; leur impuissance. Il est aisé de comprendre la dégringolade en vulgarité et irrespect de la démocratie qu'un Trump impose ; il est tout aussi aisé de repérer que quelques commissions, réunions internationales fussent-elles réussies ne peuvent tenir lieu de réponse à l'inquiétude désormais évidente ; à la gravité de la situation. C'est de ceci dont Macron souffre le plus, notamment. D'où son raidissement. Les politiques devraient y prendre garde : quand le roi est nu et le paraît aux yeux de tous, les apprentis tyrans ne sont jamais loin. §

Il faut pourtant reconnaître que l'icône fonctionne d'autant mieux qu'elle nous ressemble : elle est celle d'une période désemparée qui ne sait où elle va mais redoute ce sol qui se dérobe sous ses pas ; d'une période qui ne trouve ni dans les choses ni dans les idées de grandes raisons d'espérer. D'une période qui peut tout aussi bien suivre une icône vertueuse que se soumettre à un démagogue habile.

On regardera de très près l'attitude de l'extrême-droite, déjà bien installée en Europe, qui peut à l'occasion considérer dans l'écologie un produit d'appel pour ses funestes projets : on n'oubliera jamais que le culte de la nature et le Blut und Boden furent pour les nazis slogan efficace ; que, par ailleurs, la gravité des périls fera bien que demain d'aucuns se prévalent de n'avoir plus le temps du débat démocratique.

Ce qui se passe aujourd'hui nous montre cette étonnante croisée d'entre économie, politique et écologie où nous pouvons tout aussi bien nous perdre que nous retrouver ; où s'avère criant et farouchement angoissant le vide sidéral des réponses apportées.

Je ne sais si c'est la première fois mais manifestement l'humanité n'est pas pour l'heure à la hauteur de la crise qu'elle a pourtant provoquée elle-même.