index précédent suivant

 

 

Crainte

 

L'émission - ou l'enregistrement - date de juillet 77.

A table dans la cuisine de sa maison de Vezelay où il s'était installé, Maurice Clavel discute - mais ce n'est pas lui qui parle le plus - avec Michel FOUCAULT, Christian JAMBET, André GLUCKSMANN.

1977 c'est la grande année de ce que l'on appellera alors la Nouvelle philosophie : la formule les nouveaux philosophes choisie par BH Lévy apparaissait pour la première fois dans un dossier des Nouvelles Littéraires de 1976. 1977 c'est l'année où paraissent la Barbarie à visage humain de BHL mais aussi Les Maîtres Penseurs de Glucksman, l'année où Foucault apporte son soutien aux deux : (Non au sexe roi - puis La grande colère des faits dans le Nouvel Observateur)

A quoi vient se joindre Maurice Clavel - l'homme du Messieurs les Censeurs bonsoir ! Le personnage est délicieux ; joliment emporté et baroque dans ses éternelles contradictions. Journaliste au Nouvel Obs, résistant, collaborateur un temps à Combat, gaulliste jusqu'en 65, il se convertit brusquement et parallèlement à sa foi nouvelle se radicalise après 68. Il fréquentera les maos avant de rejoindre les nouveaux philosophes.

 

 

Pas question de retracer cette histoire : une belle notice sur Wikipédia y pourvoiera amplement.

Il est seulement amusant de voir que dix ans à peine après 68, certains de ceux qui furent à la Gauche Prolétarienne des acteurs, des inspirateurs, entreprennent de faire une critique di totalitarisme et bientôt du marxisme. Les grandes années étaient finies. Allait s'amorcer cette étonnante désidéologisation de la gauche où sous le prétexte - juste en lui-même - de faire le bilan on allait finir par jeter l'enfant avec l'eau sale du bain. En 1983 le travail aura été si bien fait que le centenaire de la mort de Marx passa inaperçu même d'un point de vue éditorial.

 

A les écouter, 40 ans après, ces trois là, morts pour deux d'entre eux depuis longtemps (Clavel dès 79 - Foucault rn 1984 mais Glucksmann en 2015) j'hésite entre le gros éclat de rire et une certaine tristesse devant tant de ridicule accumulé. On le sait depuis longtemps ni l'érudition ni ce que l'on appelle l'intelligence, encore moins la culture ne prémunissent contre les erreurs même les plus grossières - voire les infamies. Ceux-là qui enfourchaient la lutte contre le totalitarisme comme l'antidote absolue qui leur redonnerait virginité auraient au moins pu être un peu plus prudents et se souvenir de ce qu'ils dirent quelques années auparavant et soutinrent avec la même ferveur du charbonnier.

Ceux-là ont contribué à vider la gauche de toute substance … avant de plier bagage et de flirter bientôt avec le conservatisme moins néo qu'ils le crurent.

On ne devrait pas laisser de traces …

En tout cas ne jamais philosopher dans la cuisine.