Textes

Qu'est-ce que l'identité ?

 

Appartenances, identité


Vos papiers ! Sur votre passeport ou votre carte d'identité s'étalent, sous votre portrait, inimitable,  vos  nom,  prénoms, sexe et nationalité... car vous appartenez à telle famille, ce genre et un pays, non à d'autres.
Ces marques n'épuisent pas, certes, vos caractéristiques sin­ gulières, mais suffisent aux autres pour vous reconnaître et à la police pour vous retrouver.

Définition du racisme

De scandaleuses injustices et une misère  insoutenable naissent, à partir de là, d'une simple faute de logique, souvent commise, qui consiste à confondre votre identité avec l'une ou l'autre parmi vos appartenances. Par la première,  singulière,  vous êtes vous-mêmes et nul autre. Par les secondes, toujours collectives, vous faites partie des Français ou des Algériens, bruns ou chauves, mâles ou femmes, blancs ou noirs...
Que  dit le raciste ?  Il vous  traite comme si  votre identité
s'épuisait en l'une de vos appartenances : pour  lui,  vous  êtes noir ou mâle ou catholique ou roux. Cela revient à réduire la personne à une catégorie ou l'individu à un collectif. Non, vous ne faites que partie de tel pays, de cette religion ou de votre  sexe. De là fondent sur le monde tant de malheurs qu'il vaut mieux redresser cette erreur.
Le racisme réduit le principe d'identité à la relation d'appartenance, liens pour lesquels la logique et les mathématiques écrivent deux signes différents. Pitié : n'usez pas du terme iden­tité, quand il s'agit de culture, de langue ou de sexe, puisque,  là, il signifie l'appartenance : cette faute devient vite crime.

Inclusion et exclusion

A   ces  éléments   de  logique,  répondent,   en  effet,  des  choses aussi simples en éthique. La passion de l'appartenance implique, en effet, la règle de conduite exclusive : aimez-vous les uns les uns.
Si tel individu   appartient à un sous-ensemble, cela suppose
qu'il existe, au moins, un autre individu  qui  ne lui  appartient pas ; celui-là, extérieur, en est expulsé, de fait ou force. Hors la limite que l'appartenance dessine, cet autre ne peut  bénéficier des mêmes bienfaits : l'inclusion implique et  explique l'exclusion.
Tout le mal du monde vient-il de l'appartenance ? Sans doute.
Tout le mal du monde vient de ces limites, de ces frontières fer­ mées, enfin des comparaisons et des rivalités qu'elles suscitent.


Intersections

Votre carte d'identité ne comporte donc que deux ou trois de vos appartenances, parmi celles qui demeurent fixes toute votre vie, car vous restez femme ou mâle et enfant de votre mère. Une telle pauvreté logique confine à la misère, car, en fait, votre authentique identité se détaille plus longuement et paraît même se dissoudre en mille catégories, changeantes avec le temps.
Vos voyages, travaux et apprentissages, vos expériences pro­ fessionnelle, sportive, politique... font vite croître, en effet, le nombre des groupes auxquels vous vous intégrez : demain, vous ferez partie de ceux qui parlent vietnamien, jouent au rugby, savent réparer une mobylette... rien n'augmente le nombre des collectifs de vos pairs en même temps que vos caractéristiques personnelles comme la pédagogie ou l'acquisition de compé­ tences neuves.
Qui êtes-vous, identiquement ? Une intersection,  fluctuante par la durée, de cette variété d'appartenances. Vous ne cessez de coudre et tisser votre propre manteau d'Arlequin, aussi nué ou bariolé, mais plus libre et souple, que la carte de vos gênes.

Ne défendez donc pas, bec et ongles, l'une de vos apparte­ nances, multipliez-les, au contraire, pour enrichir votre identité, d'autant plus heureuse et forte, justement, qu'elle se délivre de l'appartenance que vous désiriez défendre. Ce faisant, vous l'honorerez mieux.


Nouveau passeport ?

J'imagine donc un passeport variable qui ressemblerait à la cartographie instantanée de vos aptitudes changeantes. Certes, il

vous distinguerait de tous les autres, puisqu'il décrirait le profil évolutif de votre identité singulière, mais, surtout, on y verrait se mêler mille collectifs correspondants à vos apprentissages et à votre expe,r1ence.
Moiré, tacheté, varié, ce manteau d'Arlequin, aussi plissé que
la peau et mobile que le visage, sourires, clins d' œil et pleurs, ressemblerait à l'ancienne empreinte de votre pouce ou au meilleur de vos portraits.
Aisée à réaliser, cette puce contribuerait-elle à réparer l'erreur logique et l'injustice susdites et, au total, bien du malheur humain ? Ou faudrait-il la garder au secret de chacun ?