Textes

Platon, Cratyle

SOCRATE.
D’abord, Cratyle, je ne prétends, quant à moi, rien garantir de tout ce que je viens d’avancer ; je n’ai fait que considérer avec Hermogène ce qui me venait à l’esprit ; as-tu quelque chose de plus satisfaisant, dis-le-moi hardiment comme il un homme disposé à recevoir tes idées. Je ne serais, d’ailleurs, nullement surpris de te voir réussir mieux que moi ; car tu me parais avoir étudié tout cela et par toi-même et dans les leçons d’autrui. Si donc tu possèdes quelque théorie meilleure, tu peux m’inscrire au nombre de tes disciples sur la question de la propriété des noms.

CRATYLE.
Il est bien vrai, Socrate, que je me suis occupé de cette question ; il se pourrait aussi que je fisse de toi mon disciple. Mais j’ai grand’peur qu’il n’arrive tout le contraire, et que je n’aie plutôt à te répondre ce que dit Achille à Ajax, dans les Prières[81] : « Fils de Télamon, divin et puissant Ajax, tout ce que tu as dit part d’un noble cœur. » Et moi, Socrate, je trouve réellement que tu parles comme un oracle, soit que tu aies pris cette inspiration auprès d’Euthyphron, soit que quelque muse habite en toi, ignorée de toi-même jusqu’à ce jour.

SOCRATE.
Ο mon cher Cratyle ! je suis tout le premier à m’étonner de mon savoir, et à m’en méfier. Aussi serais-je d’avis de revenir sur tout ce que j’ai dit pour l’examiner de nouveau ; car, il n’y a pire erreur que celle ou l’on s’induit soi-même, puisque alors nous sommes inséparables du trompeur qui nous suit partout. Il convient donc de revenir souvent sur ce que l’on a avancé, et de s’appliquer, comme dit ton poète[82], à voir devant et derrière soi. Ainsi revenons sur ce que nous avons dit tout à l’heure : la propriété du nom, disions-nous, consiste à représenter la chose telle qu’elle est. Tenons-nous cette définition pour vraie ?

CRATYLE.
Assurément, elle me semble vraie, Socrate.

SOCRATE.
Les mots sont donc faits pour enseigner ?

CRATYLE.
Oui.

SOCRATE.
Et ne disons-nous pas qu’il y a un art des noms et des artisans de noms ?

CRATYLE.
Sans doute.

SOCRATE.
Et lesquels ?

CRATYLE.
Ceux que tu disais en commençant, les législateurs.

SOCRATE.
Or, n’en est-il pas de. cet art, parmi les hommes, comme de tous les autres ? Voici ce que je veux dire : les peintres, par exemple, ne sont-ils pas les uns meilleurs, les autres pires ?

CRATYLE.
Certainement.

SOCRATE.
Les meilleurs ne sont-ils pas ceux qui font le mieux leur ouvrage, c’est-à-dire l’imitation des êtres vivants ? les autres ne sont-ils pas ceux qui s’en acquittent plus mal ? Parmi les architectes, les uns font aussi leurs maisons plus belles, les autres moins belles ?

CRATYLE.
Sans contredit.

SOCRATE.
Hé bien, les législateurs font-ils leurs œuvres, les uns meilleures, les autres pires ?

CRATYLE.
Pour cela, je ne le crois pas.

SOCRATE.
Quoi, tu ne trouves pas qu’il y ait des lois meilleures, d’autres moins bonnes ?

CRATYLE.
Point du tout.

SOCRATE.
Et pour les noms, il n’y en a pas non plus, à ton sens, de plus justes les uns que les autres ?

CRATYLE.
Du tout.

SOCRATE.
Dès lors, tous les noms sont justes ?

CRATYLE.
Oui, tous ceux du moins qui sont des noms.

SOCRATE.
Comment ? Et ce nom d’Hermogène dont il était question tout à l’heure ! Faut-il avouer, ou que ce n’est pas là le nom de notre ami, qui n’appartient pas à la race d’Hermès, ou que du moins ce n’est pas son vrai nom ?

CRATYLE.
Je ne crois pas, Socrate, qu’il lui appartienne réellement ; il semble seulement lui appartenir ; ce sera plutôt celui de quelque autre individu dont la nature est telle que ce nom la suppose.

SOCRATE.
Dire que notre ami que voici est Hermogène, n’est-ce pas dire faux ? A moins peut-être qu’il ne soit impossible de dire qu’il est Hermogène, s’il ne l’est pas.

CRATYLE.
Que veux-tu dire ?

SOCRATE.
Ta pensée serait-elle qu’en aucun cas il n’est possible de dire faux[83] ? Est-ce là ce que tu veux dire ? Cette opinion a trouvé, mon cher Cratyle, et trouve encore bien des partisans.

CRATYLE.
En effet, Socrate, quand je dis ce que je dis, puis-je dire ce qui n’est pas ? Dire le faux, ne serait-ce pas dire ce qui n’est pas ?

SOCRATE.
Voilà, mon cher, un raisonnement trop raffiné pour moi et pour mon âge. Réponds-moi seulement sur cette question : s’il est impossible de dire le faux, n’est-il pas possible de parler faux ?

CRATYLE.
Je n’admets pas même qu’on puisse parler faux.

SOCRATE.
Ni s’énoncer, ni interpeller quelqu’un à faux ? Si, par exemple, un homme qui te rencontre en voyage, disait, en te prenant la main : Salut, étranger athénien, Hermogène, fils de Smicrion ; appellerais-tu cela dire, parler, s’énoncer, ou bien interpeller, non pas toi, mais Hermogène, ou personne enfin ?

CRATYLE.
Pour moi, Socrate, je ne verrais là que de vains sons.

SOCRATE.
Je n*en veux pas davantage : l’homme qui émettrait ces sons, mentirait-il ou dirait-il la vérité, ou seulement une partie de vrai et une partie de faux ? Car cela me suffirait encore.

CRATYLE.
Moi, je dirais que cet homme ne fait que du bruit, ne fait que battre l’air inutilement, comme celui qui frappe sur un vase d’airain.

SOCRATE.
Voyons donc, Cratyle, si nous pourrons nous entendre. Admets-tu que le nom et l’objet nommé soient deux choses distinctes ?

CRATYLE.
Oui.

SOCRATE.
Accordes-tu aussi que le nom est en quelque manière une image de la chose ?

CRATYLE.
Certainement.

SOCRATE.
Sans doute tu conviens que les peintures sont aussi des imitations d’un autre genre.

CRATYLE.
Oui.

SOCRATE.
Voyons donc ; il faut que je n’entende pas ton idée, qui d’ailleurs peut être fort juste. Est-il ou n’est-il pas possible de rapporter et d’attribuer respectivement ces deux sortes d’imitations, savoir les noms et les peintures, aux objets qu’elles reproduisent ?

CRATYLE.
Oui, cela est possible.

SOCRATE.
Remarque bien ceci. D’abord, je puis rapporter l’image de l’homme à l’homme, celle de la femme à la femme, et ainsi du reste.

CRATYLE.
Oui.

SOCRATE.
Je puis aussi rapporter, tout au contraire, l’image de l’homme à la femme et celle de la femme à l’homme,

CRATYLE.
Cela est encore possible.

SOCRATE.
Ces applications différentes seront-elles justes l’une et l’autre, ou seulement l’une des deux ?

CRATYLE.
L’une des deux seulement.

SOCRATE.
C’est-à-dire,.je pense, celle qui rapportera à chaque objet ce qui lui appartient et lui ressemble.

CRATYLE.
C’est mon opinion.

SOCRATE.
.
Pour ne pas nous faire l’un a l’autre des querelles de mots, amis comme nous le sommes, accorde-moi ce que je vais te dire : lorsqu’on applique à une chose une image qui lui ressemble, que l’image soit un nom ou la représentation d’un être animé, je dis que cette application est faite avec propriété ; et si c’est de noms qu’il s’agit, je dis de plus qu’elle est vraie. Je dis que l’application est impropre quand elle rapporte le dissemblable au dissemblable, et en outre qu’elle est fausse si c’est l’application d’un nom.

CRATYLE.
Mais il se pourrait bien, Socrate, que ce défaut de propriété dans l’application ne se rencontrât que dans la peinture, et que le rapport des noms aux choses fut toujours juste.

SOCRATE.
Que dis-tu ? Y a-t-il la moindre différence ? Un homme vient et dit à un autre : Voici ton image ; ne peut-il pas lui montrer en effet son image, ou lui montrer celle d’une femme ? J’appelle montrer offrir une chose au sens de la vue.

CRATYLE.
Fort bien.

SOCRATE.
Mais quoi, le même homme ne pourrait-il pas venir dire à l’autre : ceci est ton nom ? Il est entendu que le nom est une imitation comme le tableau. Cet homme pourrait donc dire : ceci est ton nom, et offrir au sens de l’ouïe un mot qui serait en effet l’image de son interlocuteur, en disant homme,,ou au contraire, en disant femme, prononcer un nom qui représenterait la partie femelle du genre humain. Cela ne peut-il pas arriver, et n’arrive-t-il pas. quelquefois ?

CRATYLE.
Je veux bien t’accorder encore cela.

SOCRATE.
Et tu fais bien, mon ami, s’il en est réellement ainsi ; il ne faut pas nous épuiser en chicanes. Si donc l’application du nom à l’objet peut être faite avec propriété ou être impropre, nous conviendrons d’appeler la pre- mière vraie, et la seconde fausse. Mais s’il est possible de faire des noms une application impropre, et de les rapporter à des choses auxquelles ils ne conviennent pas, on en peut faire autant des verbes. Et si cela est vrai des noms et des verbes, cela l’est aussi des phrases ; car les phrases sont un assemblage des uns et des autres. Qu’en penses-tu, Cratyle ?

CRATYLE.
Je pense comme toi, Socrate, et je crois que tu as raison.

SOCRATE.
Maintenant si nous comparons les mots primitifs à des images, il peut se faire qu’on donne à une peinture toutes les formes et toutes les couleurs qui conviennent au modèle, comme aussi on peut ne pas les donner toutes, en négliger ou en ajouter quelques-unes, tantôt plus, tantôt moins. N’est-il pas vrai ?

CRATYLE.
Sans doute.

SOCRATE.
Et celui qui saura les rendre toutes, fera de beaux dessins et de beaux tableaux ; celui au contraire qui en ajoutera ou en retranchera, fera aussi des dessins et des tableaux, mais de mauvais.

CRATYLE.
Oui,

SOCRATE.
Hé bien, si celui qui veut imiter la nature des choses au moyen des syllabes et des lettres, réunit toutes celles qui conviennent, l’image qui en résultera ne sera-t-elle pas bonne ? et cette image n’est autre chose que le nom. Si au contraire il omet ou ajoute tant soit peu de lettres ou de syllabes, n’est-il pas vrai qu’il en résultera encore une image, mais qui ne sera pas bonne ? en sorte qu’il y aura des noms bien faits, et de mal faits,

CRATYLE.
Peut-être.

SOCRATE.
Peut-être donc se trouvera-t-il de bons et de mauvais faiseurs de noms ?

CRATYLE.
Oui.

SOCRATE.
Et ne les appelions-nous pas législateurs ?

CRATYLE.
Oui,

SOCRATE.
Peut-être donc en sera-t-il de cet art comme de tous les autres arts : il y aura de bons législateurs et de mauvais ; c’est la conséquence de tout ce que nous venons de reconnaître.

 

CRATYLE.
C’est fort bien ; mais tu vois, Socrate, que lorsque nous avons formé les noms, suivant les lois de l’art de la grammaire, avec l’a, le b, ou autres lettres, si nous venons à ajouter, retrancher, ou seulement déplacer quelqu’un de ces éléments, on ne pourra plus dire que nous écrivons ce mot, et que seulement nous ne l’écrivons pas comme il faut ; je dis que nous ne l’écrivons plus du tout, et qu’il devient tout autre du moment qu’on lui a fait subir quelqu’une de ces modifications.

SOCRATE.
J’ai bien peur, Cratyle, que cette manière de voir ne soit pas juste.

CRATYLE.
Comment cela ?

SOCRATE.
Il se peut bien qu’il en soit comme tu le dis, pour tout ce dont l’existence ou la non-existence dépend d’un nombre déterminé. Par exemple, si à dix, ou à tout autre nombre, tu ajoutes ou tu retranches quelque chose, tu as aussitôt un nombre différent. Mais la justesse d’une chose qui consiste, comme l’image, dans certaine qualité, n’est pas aux mêmes conditions. Au contraire, pour être image, il ne faut pas que l’image représente complètement la chose imitée. Vois si j’ai raison : y aurait-il réellement ces deux choses, savoir Cratyle et l’image de Cratyle, si quelque divinité avait représenté dans limage non seulement la couleur et la forme du modèle, comme font les peintres, mais encore tout l’intérieur de ta personne, tel qu’il est, avec le même degré de mollesse et de chaleur, même mouvement, même âme, même raison ; en un mot, si elle t’avait reproduit tout entier, et que, la copie achevée, elle l’eût placée auprès de toi, y aurait-il là Cratyle et l’image de Cratyle, ou bien deux Cratyles ?

CRATYLE.
Il me semble, Socrate, que cela ferait deux Cratyles.

SOCRATE.
Tu vois donc, mon ami, que nous devons modifier l’idée que nous nous étions faite de la propriété d’une image ; et ne pas vouloir à toute force que ce ne soit plus une image, dès qu’il y manque quelque chose ou qu’il s’y trouve quelque chose de trop. Ne sens-tu pas de combien il s’en faut que les images renferment exactement tout ce qui se rencontre dans leurs modèles ?

CRATYLE.
Si fait.

SOCRATE.
Véritablement, Cratyle, ce serait une plaisante aventure si les choses et leurs noms devenaient semblables en tout point. Tout se trouverait double, et il n’y aurait plue moyen de distinguer où serait le nom et où serait la chose.

CRATYLE.
Tu as raison.

SOCRATE.
Consens donc, sans hésiter davantage, brave Cratyle, à reconnaître des noms qui conviennent aux choses et d’autres qui ne leur conviennent pas ; et n’exige pas qu’ils renferment toutes les lettres nécessaires pour les rendre de tout point conformes à ce qu’ils désignent ; mais plutôt accorde-nous que, dans un mot, peut être introduite telle lettre qui ne soit pas convenable ; et si une lettre dans un mot, un mot dans la phrase ; si un mot dans la phrase, une phrase dans le discours, sans qu’il faille contester pour cela que les mots et le discours expriment la chose, du moment que l’on y trouve le caractère distinctif de cette chose, comme nous l’avons trouvé en examinant les noms des lettres ; car tu te rappelles ce que nous en avons dit précédemment Hermogène et moi.

CRATYLE.
Oui, je m’en souviens.

SOCRATE.
La chose sera donc nommée, si ce caractère se retrouve dans le nom, lors même que tous les traits convenables n’y seraient pas rassemblés ; le nom sera bon, si ces traits y sont tous ; mauvais, s’il n’y en a que fort peu. Consentons à reconnaître encore là le discours, cher Cratyle, si nous ne voulons pas payer l’amende, comme à Égine, quand on se trouve encore en route à une certaine heure de la nuit ; car .on pourrait dire que nous sommes en vérité bien lents à arriver des noms aux choses. Ou bien, cherche une autre explication de la propriété du nom, et conteste-nous qu’il soit la représentation des choses au moyen des lettres et des syllabes : car, enfin, tu ne peux, sans te contredire toi-même, maintenir à la fois ce que tu disais et ce que tu viens de m’accorder.

CRATYLE.
Tout cela, Socrate, me paraît bien dit, et je l’admets.

SOCRATE.
Puisque nous voilà d’accord, poursuivons. Pour que le nom soit bien fait, disions-nous, il faut qu’il renferme les lettres convenables

CRATYLE.
Oui.

SOCRATE.
Et ces lettres sont celles qui ont de la ressemblance avec les objets.

CRATYLE.
Soit.

SOCRATE.
Voilà pour les mots bien faits. Quant aux autres, il faut bien encore, puisque enfin ce sont des images, que la plupart des lettres dont ils se composent, soient convenables et conformes aux choses ; mais en même temps ils en renfermeront d’autres qui ne le seront pas, et c’est par là que ces noms devront être estimés mauvais. Est-ce ainsi que nous l’entendons ?

CRATYLE.
Je ne le contesterai pas, Socrate, moi qui ne voudrais pas même avouer pour nom tout nom qui ne serait pas bien fait.

SOCRATE.
N’admets-tu pas que le nom doit être une représentation de l’objet ?

CRATYLE.
Sans doute.

SOCRATE.
Et trouves-tu que l’on puisse dire des noms que les uns sont primitifs, les autres formés de ceux-là ?

CRATYLE.
Oui.

SOCRATE.
Mais si ces primitifs doivent être autant de représentations de leurs objets, conçois-tu un meilleur moyen de les rendre tels que de les faire aussi semblables que possible à ce qu’ils doivent exprimer ? Ou bien aimes-tu mieux dire avec Hermogène, et beaucoup d’autres, que les noms sont des conventions qui ne représentent rien qu’à ceux entre lesquels la convention s’est faite et qui avaient connu d’abord les choses elles-mêmes, que la convention en un mot fait toute la propriété des noms, et qu’il est fort indifférent qu’on les ait établis comme nous voyons qu’on l’a fait, ou bien tout au rebours ; comme si nous appelions grand ce que nous appelons petit, et petit ce que nous appelons grand ? Laquelle de ces doctrines préfères-tu ?

CRATYLE.
Sans comparaison, Socrate, il vaut mieux représenter les choses par l’imitation que d’une façon entièrement arbitraire,

SOCRATE.
Fort bien. Mais pour que les noms soient con- formes aux choses, n’est-il pas nécessaire que les lettres aussi soient naturellement semblables aux choses, puisque c’est avec les lettres que les noms primitifs doivent être formés ? Je m’explique ; aurait-on jamais pu rendre le tableau dont nous parlions tout à l’heure, semblable au modèle qu’il représente, si la nature n’eût fourni pour le composer des couleurs pareilles à celles du modèle ? L’aurait-on pu ?

CRATYLE.
Nullement,

SOCRATE.
Et de même, les noms ressembleraient-ils jamais à quoi que ce fût, si les éléments qui les composent ne se trouvaient pas avoir naturellement de la ressemblance avec les choses dont les noms nous offrent l’image ; et ces éléments, ne sont-ce pas les lettres ?

CRATYLE.
Oui.

SOCRATE.
Suis-moi donc maintenant dans la même recherche où je suis entré avec Hermogène. Par exemple, trouves-tu que nous ayons raison de dire que la lettre ρ est propre à exprimer le changement de lieu, le mouvement, la rudesse ?

CRATYLE.
Assurément.

SOCRATE.
Et la lettre λ à exprimer ce qui est poli, doux, et les autres qualités analogues dont nous avons parlé ?

CRATYLE.
Oui.

SOCRATE.
Tu sais sans doute que ce que nous appelons σκληρότης, rudesse et les Erétriens l’appellent σηληροτήρ.

CRATYLE.
Je le sais.

SOCRATE.
Ce ρ et ce ς ressemblent-ils donc à la même chose ? Le mot présente-t-il la même idée à ceux qui le terminent en ρ, et à nous qui le terminons en ς, ou le sens est-il différent ?

CRATYLE.
Il est clair que c’est le même sens.

SOCRATE.
Cela viendrait-il de ce que le ρ et le ς sont semblables entre eux, ou de ce qu’ils ne le sont pas ?

CRATYLE.
De ce qu’ils sont semblables.

SOCRATE.
Semblables absolument ?

CRATYLE.
Du moins, je pense, pour l’expression du mouvement.

SOCRATE.
Mais ce λ placé dans le mot σκληρότης n’exprime-t-il pas le contraire de la rudesse ?

CRATYLE.
Peut-être en effet n’est-il pas bien à sa place, Socrate. Tu as assez retranché ou ajouté de lettres, partout où il le fallait, dans les explications que tu as données à Hermogène ; et pour moi, je trouvais que tu faisais bien ; de même ici, peut-être faudrait-il substituer un ρ au λ.

SOCRATE.
Je suis de ton avis ; mais quoi, de la façon dont nous prononçons aujourd’hui ce mot σκληρόν, rude, est-ce que nous ne nous comprenons pas mutuellement ? Toi-même, ne l’en tends-tu pas en ce moment même où je le prononce ?

CRATYLE.
Je l’entends, cher Socrate, à cause de l’usage.

SOCRATE.
Mais quand tu dis l’usage, crois-tu parler d’autre chose que d’une convention ? L’usage ne consiste-t-il pas en ce que, quand je prononce un mot, je conçois quelque chose, et que toi, en même temps, tu reconnais que c’est à cette chose que je pense ? Ne l’entends-tu pas ainsi ?

CRATYLE.
Oui.

SOCRATE.
Si donc tu reconnais l’objet lorsque je prononce un mot, je me suis fait comprendre de toi.

CRATYLE.
Il est vrai.

SOCRATE.
Et pourtant c’est au moyen de quelque chose qui ne ressemble pas à ce que j’ai en pensée lorsque je parle, s’il est vrai, comme tu l’avoues, que la lettre λ n’ait rien qui ressemble à la rudesse. Qu’y a-t-il là autre chose qu’une convention que tu as faite avec toi-même, et qui devient pour toi la règle unique de la propriété du nom, s’il est vrai que les lettres une fois reçues par l’usage et la convention désignent aussi bien ce qu’elles n’imitent pas que ce qu’elles imitent ? Et quand même l’usage ne serait pas une pure convention, toujours ne faudrait-il pas faire dépendre la signification de la ressemblance, mais de l’usage. Car c’est l’usage, à ce qu’il paraît, qui désigne les choses, par le dissemblable comme par le semblable. Ainsi, Cratyle, puisque nous sommes d’accord sur tout ceci ; car ton silence est pour moi un consentement ; il nous faut bien reconnaître que la convention et l’usage contribuent pour quelque chose au choix des termes dont nous nous servons pour exprimer nos pensées. Prenons, par exemple, les noms de nombre. Où trouverais-tu pour chaque nombre un nom qui lui ressemblât, si tu ne t’en rapportais un peu sur la propriété des noms à un accord, à une convention faite avec toi-même ? Pour moi, j’aime sans doute que les noms ressemblent autant que possible aux objets ; mais en vérité il faut prendre garde, comme disait Hermogène, de trop foire violence aux mots pour les ramener à cette ressemblance, et on est souvent contraint, pour en justifier le sens, d’en appeler tout simplement à la convention. Mais le nom le mieux fait est celui qui se compose entièrement, ou du moins en grande partie, d’éléments semblables aux choses, car ce sont là ceux qui conviennent ; le nom le plus mal fait est celui qui n’en renferme aucun. Dis-moi maintenant quelle vertu nous devons reconnaître aux noms et quel est le bien qu’ils produisent.

CRATYLE.
Je crois, Socrate, qu’ils ont la vertu d’enseigner, et qu’on peut dire, sans restriction, que qui sait les noms sait aussi les choses.

SOCRATE.
Peut-être, Cratyle, l’entends-tu en ce sens, que quand on sait ce qu’est le nom, comme le nom est semblable à la chose, [435e] on sait également ce qu’est celle-ci, puisque la connaissance des choses qui se ressemblent appartient à une seule et même science. Telle est, je crois, ta pensée, quand tu dis que qui sait le nom sait aussi la chose.

CRATYLE.
C’est cela même.

SOCRATE.
Voyons donc ce que c’est que cette manière d’enseigner les choses dont tu viens de parler, et s’il n’y en a pas une autre, quoique inférieure à celle-ci, ou bien si celle-ci. est la seule. De ces deux opinions, quelle est la tienne ?

CRATYLE.
La dernière, savoir qu’il n’existe absolument pas d’autre enseignement, que celui dont nous avons parlé est unique et qu’il est excellent.

SOCRATE.
Mais crois-tu que ce soit là en quoi consiste l’art de trouver les choses, et que celui qui a trouvé les noms ait aussi découvert les choses qu’ils désignent, ou enfin, que si telle est la méthode pour apprendre, il n’y en ait pas une autre pour chercher et pour découvrir.

CRATYLE.
Non, l’unique méthode de recherche et d’invention est encore celle dont nous parlons.

SOCRATE.
Supposons donc, Cratyle, un. homme qui, dans là recherche de la nature des choses, ne prendrait d’autres guides que les noms. Ne: penses-tu pas qu’il courrait grand risque de se tromper ?

CRATYLE.
Comment cela ?

SOCRATE.
Il est bien clair, disons-nous, que celui qui a composé les noms les a formés d’après la manière dont il concevait les objets eux-mêmes ; n’est-il pas vrai ?

CRATYLE.
Oui

SOCRATE.
Et si celui-là ne les concevait pais bien, et qu’il leur ait donné des noms conformes à sa manière de les concevoir, que pouvons-nous faire en le suivant, que de nous tromper ?

CRATYLE.
Mais, Socrate, il n’en peut être ainsi, il faut de toute nécessité [436c] ou bien que celui qui établit les noms les établisse avec la connaissance des choses, ou bien, comme je disais tout à l’heure, qu’il n’y ait pas absolument de nom. Et la meilleure preuve que l’auteur des noms ne s’est pas trompé, c’est cette concordance qu’il a su mettre entre tous. N’avais-tu pas toi-même cette pensée quand tu nous faisais remarquer l’analogie et la tendance commune de tous les noms ?

SOCRATE.
Mais cela même, mon cher Cratyle, n’est pas encore une apologie suffisante. Il serait tout simple que si celui qui a établi les noms avait commencé par commettre une erreur, il y eût ramené par force et fait concorder tout le reste, il n’y aurait là rien d’étonnant ? de même que dans la construction d’une figure géométrique, si l’on part d’une erreur légère et presque insensible, il faut que toute la suite y réponde. Chacun doit donc en toute chose s’assurer par la plus sérieuse réflexion et le plus soigneux examen, si le principe est juste ou s’il ne l’est point ; et c’est quand le principe est une fois bien éprouvé que toutes les conséquence doivent en découler naturellement. Au. reste, je serais un peu étonné que les noms fussent parfaitement d’accord les uns avec les autres. Revenons donc à ce que nous avons précédemment examiné. Nous disions que les noms nous représentent le monde comme livré à un mouvement et à un flux universel. N’est-ce pas le sens que tu leur attribues ?

CRATYLE.
Assurément, et ce sens est tout à fait juste.

SOCRATE.
Reprenons d’abord. le mot ἐπιστήμη, science ; c’est un mot ambigu, maïs qui paraît exprimer plutôt l’arrêt de l’âme sur les choses, ἵστησιν ἐπὶ que son mouvement de concert avec elles, en sorte qu’il vaudrait mieux prononcer le commencement, comme on le fait aujourd’hui, et au lieu de retrancher l’ε[84], ajouter un ι : ἐπειστήμη. Le mot βέβαιον, stable, semble offrir l’image d’une base, βάσις, d’un état stationnaire et non pas du mouvement. ἱστορία, histoire, paraît signifier ce qui arrête le mouvement, ἵστησϊ τὸ ῥοῦν. Πίστον, croyable, renferme évidemment ἱστᾶν, arrêter. Μνήμη, mémoire, indique clairement la permanence, μονή, dans l’âme, et non pas un mouvement. Qu’on examine en outre les mots ἁμαρτία, erreur, et ξυμφορά, accident, et on y trouvera un sens analogue à celui que nous avions donné à ξύνεσις, compréhension, à ἐπιστήμη, science, et à beaucoup d’autres qui désignent des choses dignes de louange[85]. A côté de ces exemples viennent se placer les mots ἀμαθία, ignorance, et ἀκολασία, intempérance, le premier désignerait le mouvement d’un être allant ensemble avec Dieu, ἅμα τῷ Θεῷ ἰόν ; et dans le second je retrouve clairement l’action de suivre les choses, ἀκολουθία. De là il résulterait que les noms que nous donnons aux choses les plus mauvaises seraient entièrement semblables aux noms des choses les meilleures. Je ne doute pas qu’en s’y appliquant on ne trouvât un grand nombre d’exemples de ce genre, d’où on pourrait conclure que l’auteur des noms a voulu exprimer, non pas que les choses sont en mouvement, mais au contraire qu’elles sont immobiles.

CRATYLE.
Cependant, Socrate, tu vois que le premier sens est celui que l’auteur des noms a donné au plus grand nombre de mots.

SOCRATE.
Qu’importe, Cratyle ! Allons-nous, pour nous assurer de la propriété des noms, les compter comme des cailloux de scrutin, et: tenir pour vrai le sens indiqué par le plus grand nombre ?

CRATYLE.
Cela ne serait pas fort raisonnable.

SOCRATE.
Non assurément, mon ami. Mais, restons-en là sur ce sujet, et voyons si nous serons encore du même avis sur une autre question. Dis-moi, ne sommes-nous pas convenus que ceux qui, à diverses époques, ont institué les noms y soit chez les Grecs, soit chez les Barbares., sont réellement des législateurs, et que l’art auquel appartient cette institution est celui de la législation ?

CRATYLE.
Oui.

SOCRATE.
Les premiers législateurs, qui ont institué les premiers noms, l’ont-ils fait avec la connaissance des choses qu’ils nommaient ou sans cette connaissance ?

CRATYLE.
Je crois, moi, qu’ils avaient cette connaissance.

SOCRATE.
Et sans doute, cher Cratyle, ils n’auraient pu établir les noms, si elle leur eût manqué ?

CRATYLE.
Je ne le pense pas.

SOCRATE.
Eh bien, [revenons au point d’où nous sommes partis. Tu disais, si tu t’en souviens, qu’on ne peut établir un nom qu’autant que l’on connaît la nature de l’objet auquel on le donne Maintiens-tu cette opinion ?

CRATYLE.
J’y persiste.

SOCRATE.
Et tu attribues également cette connaissance préalable des choses à l’auteur des mots primitifs ?

CRATYLE.
Assurément.

SOCRATE.
Mais au moyen de quels noms aurait-il appris ou trouvé les choses, puisque les premiers mots n’existaient pas encore et que d’autre part, nous avons dit qu’on ne peut apprendre ou trouver les choses qu’après avoir appris ou trouvé de soi-même la signification des noms ?

CRATYLE.
Cela est embarrassant, Socrate.

SOCRATE.
Comment pourrions-nous dire que pour instituer les noms en législateurs, ils ont dû connaître les choses, avant qu’il y eût des noms et qu’ils en connussent aucun, s’il était vrai que l’on ne put connaître les choses que par leurs noms ?

CRATYLE.
La meilleure réponse à faire, ce serait, je pense, Socrate, de dire que c’est quelque puissance supérieure à l’humanité qui a établi les premiers noms d’où il suivrait nécessairement que ces noms sont tout-à-fait propres aux choses.

SOCRATE.
Mais maintenant, penses-tu que celui qui les institua, soit démon, soit Dieu, ait pu se contredire lui-même ? Et n’étais-tu pas de mon avis sur ceux que j’examinais tout à l’heure ?

CRATYLE.
Mais c’est que ceux-là ne sont pas des noms.

SOCRATE.
Lesquels veux-tu dire ? Ceux qui se l’apportent à l’idée du repos ou ceux qui se rapportent à l’idée du mouvement ? Car, ainsi que nous l’aurons remarqué, ce n’est pas le nombre qui doit décider.

CRATYLE.
Non, cela ne serait pas juste, Socrate.

SOCRATE.
Voilà donc une guerre civile entre les noms, et chaque parti prétendra être seul légitime. Auquel donnerons nous raison et d’après quel principe ? Ce ne pourra pas être en vertu d’autres noms, puiqu’il n’y en: a point. Il devient évident qu’il faut chercher hors des noms quel- que autre principe qui, en nous enseignant la vérité des choses, nous fasse connaître, sans le secours des noms ; quels sont les véritables, ceux qui se rattachent à la première de ces doctrines, ou ceux qui se rattachent à la seconde.

CRATYLE.
A la bonne heure.

SOCRATE.
S’il en est ainsi, Cratyle, il est possible d’acquérir sans les noms la connaissante des choses.

CRATYLE.
Soit.

SOCRATE.
Et par quel moyen croîs-tu que l’on puisse arriver à cette connaissance sinon par le. moyen le plus naturel et le plus raisonnable, c’est-à-dire en étudiant les choses dans leurs rapporte, lorsqu’elles sont de la même famille, ou en elles-mêmes ? Ce qui est étranger aux choses ne peut rien nous montrer qui ne leur soit étranger, et non pas les choses mêmes.

CRATYLE.
Cela me paraît vrai.

SOCRATE.
Suis-moi donc, par Jupiter ! N’avons-nous pas souvent reconnu que les noms bien faits sont conformes à ce qu’ils désignent et sont les images des choses ?

CRATYLE.
Oui.

SOCRATE.
Si donc on peut connaître les choses, et par leurs noms et en elles-mêmes, quelle est de ces deux sortes de connaissance la plus belle et la plus sûre ? Est-ce de demander d’abord à l’image si elle est fidèle, et de rechercher ensuite ce qu’est la vérité qu’elle représente, ou bien de demander à la vérité ce qu’elle est en elle-même, et de s’assurer ensuite si l’image y réponde ?

CRATYLE.
C’est, je pense, à la vérité même qu’il faut s’adresser d’abord.

SOCRATE.
Mais de décider par quelle méthode il faut procéder. pour découvrir la nature des êtres, c’est peut-être une entreprise au-dessus de mes forces et des tiennes ; qu’il nous suffise d’avoir reconnu que ce n’est pas dans les noms, mais dans les choses mêmes, qu’il faut étudier les choses.

CRATYLE.
Il paraît, Socrate.

SOCRATE.
Prenons garde encore de nous laisser abuser par ce grand nombre de mots qui se rapportent au même système. Ceux qui ont institué les noms ont beau les avoir formés d’après cette idée que tout est dans un mouvement et un flux perpétuel, car je crois qu’en effet c’était là leur pensée, il se pourrait bien qu’il n’en fût pas ainsi dans la réalité, et que les auteurs mêmes des noms, saisis d’une sorte de vertige, fussent tombés dans un tourbillon où ils nous entraînent avec eux. Voici, par exemple, cher Cratyle, une question qui me revient souvent comme en rêve, devons-nous dire que le beau et le. bon existent par eux-mêmes, et toutes les choses de cette sorte ?

CRATYLE.
Il me le semble, Socrate.

SOCRATE.
Je ne demande pas si un beau visage ou tout autre objet beau, car tout cela est dans un flux perpétuel, mais si le beau lui-même ne subsiste pas toujours tel qu’il est ?

CRATYLE.
Il le faut bien.

SOCRATE.
S’il passait incessamment, serait-il possible de dire qu’il existe, et tel qu’il est ? Tandis que nous parlons, ne serait-il pas déjà autre, et n’aurait-il pas perdu sa première forme ?

CRATYLE.
Nécessairement.

SOCRATE.
Or comment une chose pourrait-elle être qui ne fut jamais de la même matière ? Car si il y a un moment où elle demeure semblable à elle-même, il est clair que dans ce moment-là elle ne passe point. Mais si d’autre part elle subsiste toujours la même et de la même manière, comment, ne sortant en rien de son essence, pourrait-elle changer et se mouvoir ?

CRATYLE.
Cela ne serait pas possible.

SOCRATE.
En outre, une pareille chose ne pourrait être connue par personne. Car, tandis qu’on approcherait pour la connaître, elle deviendrait autre ; de sorte qu’il serait impossible de savoir ce qu’elle est et comment elle est. Il ne saurait y avoir de connaissance d’un objet qui n’a pas de manière d’être déterminée.

CRATYLE.
Cela est vrai.

SOCRATE.
Ou ne peut pas même dire qu’il puisse y avoir une connaissance quelconque, si tout change sans cesse et que rien ne subsiste, Car si cette chose même que nous nommons la connaissance ne cesse pas d’être la connaissance, la connaissance subsiste, et il y a connaissance. Mais si la forme même de la connaissance vient à changer, elle se change en une autre forme qui n’est pas celle de la connaissance, et il n’y a plus connaissance ; et, si elle change toujours, il n’y aura jamais de connaissance. Dès lors plus rien qui connaisse, ni rien qui soit connu. Mais si ce qui connaît subsiste, si ce qui est connu subsiste aussi, si le beau, si le bon subsistent, et ainsi des autres êtres de. cette nature, tout cela ne ressemble guère à cette mobilité et à ce flux universel dont nous parlions tout à l’heure. Est-ce dans cette dernière opinion qu’est la vérité, ou dans celle d’Héraclite et de. beaucoup d’autres avec lui[86], c’est ce qu’il n’est point facile de décider, Il n’est pas d’un homme sage de se soumettre aveuglément, soi et son âme à l’empire des mots, de leur accorder une foi entière, ainsi qu’à leurs auteurs, d’affirmer que ceux-ci possèdent seuls la science parfaite, et de porter sur soi-même et sur les choses ce merveilleux jugement qu’il n’y a rien là de stable, mais que tout change comme l’argile, que les choses sont comme des malades affligés de fluxions ; et que tout est dans un écoulement perpétuel. Peut-être, cher Cratyle, en est-il ainsi ; peut-être n’en est-il rien. Il faut donc regarder la chose en face et d’un œil ferme, et ne rien admettre, trop facilement. N’es-tu pas jeune encore, et dans l’âge de la force ? Puis quand tu auras bien étudié la question, si tu en trouves une bonne solution, il faut venir m’en faire part.

CRATYLE.
Je le veux bien. En attendant tu sauras, Socrate, que j’y ai déjà réfléchi, et que tout bien pesé et considéré je préféré de beaucoup l’opinion d’Héraclite.

SOCRATE.
En ce cas, mon ami, tu voudras bien m’instruire à ton retour. Quant à présent, va à la campagne, puisque tu as fait tes préparatifs pour cela. Voilà Hermogène qui t’accompagnera.

CRATYLE.
Fort bien, Socrate ; mais de ton côté pense encore au sujet qui vient de nous occuper.