Pascal
Autour de la foi

 

 Pensées. [1] B 233. L.125.

 « _ […] Je suis fait d’une telle sorte que je ne puis croire. Que voulez-vous que je fasse ?

        _ Il est vrai. Mais apprenez au moins que votre impuissance à croire, puisque la raison vous y porte, et que néanmoins vous ne le pouvez, vient de vos passions. Travaillez donc, non pas à vous convaincre par l’augmentation des preuves de Dieu, mais par la diminution de vos passions. Vous voulez aller à la foi, et vous n’en savez pas le chemin ; vous voulez vous guérir de l’infidélité, et vous en demandez les remèdes : apprenez de ceux qui ont été liés comme vous, et qui parient maintenant tout leur bien ; ce sont gens qui savent ce chemin que vous voudriez suivre, et guéris d’un mal dont vous voulez guérir. Suivez la manière par où ils ont commencé : c’est en faisant tout comme s’ils croyaient, en prenant de l’eau bénite, en faisant dire des messes, etc. Naturellement même cela vous fera croire et vous abêtira.

    _ Mais c’est ce que je crains.

    _ Et pourquoi ? Qu’avez-vous à perdre ?…

       Mais, pour vous montrer que cela y mène, c’est que cela diminue les passions, qui sont vos grands obstacles.

       Or, quel mal vous arrivera-t-il en prenant ce parti ? Vous serez fidèle, honnête, humble, reconnaissant, bienfaisant, ami sincère, véritable. A la vérité, vous ne serez point dans les plaisirs empestés, dans la gloire, dans les délices ; mais n’en aurez-vous point d’autres ? Je vous dis que vous y gagnerez en cette vie, et que, à chaque pas que vous ferez dans ce chemin, vous verrez tant de certitude du gain, et tant de néant de ce que vous hasardez, que vous connaîtrez à la fin que vous avez parié pour une chose certaine, infinie, pour laquelle vous n’avez rien donné.

    _ Oh ! ce discours me transporte, me ravit etc.

    _ Si ce discours vous plaît et vous semble fort, sachez qu’il est fait par un homme qui s’est mis à genoux auparavant et après, pour prier cet Etre infini et sans parties, auquel il soumet tout le sien, de se soumettre aussi le vôtre pour votre propre bien et pour sa gloire ; et qu’ainsi la force s’accorde avec cette bassesse »

                           

 Pensées, [1]B 249. L 265

   «  C’est être superstitieux, de mettre son espérance dans les formalités ; mais c’est être superbe, de ne vouloir s’y soumettre »

 

Pensées, [1]B 250. L 90.

   «  Il faut que l’extérieur soit joint à l’intérieur pour obtenir de Dieu ; c’est-à-dire que l’on se mette à genoux, prie des lèvres, etc., afin que l’homme orgueilleux, qui n’a voulu se soumettre à Dieu, soit maintenant soumis à la créature. Attendre de cet extérieur le secours est être superstitieux, ne vouloir pas le joindre à l’intérieur est être superbe »

 Pascal. Pensées, [1]B 252. L 195.

 

   «  Car il ne faut pas se méconnaître : nous sommes automate autant qu’esprit ; et de là vient que l’instrument par lequel la persuasion se fait n’est pas la seule démonstration. Combien y a-t-il peu de choses démontrées. Les preuves ne contraignent que l’esprit. La coutume fait nos preuves les plus fortes et les plus crues ; elles inclinent l’automate, qui entraine l’esprit sans qu’il y pense. Qui a démontré qu’il sera demain jour, et que nous mourrons ? Et qu’y a-t-il de plus cru ? C’est donc la coutume qui nous en persuade, c’est elle qui fait tant de chrétiens, c’est elle qui fait les Turcs, les païens, les métiers, les soldats, etc. (Il y a la foi reçue dans le baptême aux chrétiens de plus qu’aux païens.) Enfin il faut avoir recours à elle quand une fois l’esprit a vu, où est la vérité, afin de nous abreuver et nous teindre de cette créance, qui nous échappe à toute heure ; car d’en avoir toujours les preuves présentes, c’est trop d’affaire. Il faut acquérir une créance plus facile, qui est celle de l’habitude, qui sans violence, sans art, sans argument, nous fait croire des choses, et incline toutes nos puissances à cette croyance, en sorte que notre âme y tombe naturellement. Quand on ne croit que par la force de la conviction, et que l’automate est incliné à croire le contraire, ce n’est pas assez. Il faut donc faire croire nos deux pièces : l’esprit, par les raisons, qu’il suffit d’avoir vues une fois en sa vie ; et l’automate, par la coutume, et en ne lui permettant pas d’incliner au contraire. Inclina cor meum, Deus. (Incline mon cœur, ô Dieu). […] »