Ovide Métamorphoses
Pygmalion et Galatée

 

 

 

 

 

Pygmalion, un habitant de Chypre, outré par la conduite dse Propétides, vivait célibataire. Doué d'un grand talent, il avait façonné en ivoire la statue d'une jeune fille très belle, si réussie qu'elle paraissait vivante. Le sculpteur en tomba amoureux et se mit à la traiter comme une personne de chair et d'os. (10, 243-269)

À l'occasion de la fête de Vénus, il avait pieusement imploré des dieux pour obtenir une épouse semblable à sa statue. Vénus, compréhensive, lui envoie un présage favorable, qui se confirme bientôt. Rentré chez lui, Pygmalion voit sa statue s'animer sous ses caresses et se transformer en une jeune fille, à qui il peut s'unir amoureusement. De cette union bénie par Vénus, naquit une petite fille, Paphos, qui laissa son nom à une ville de Chypre. (10, 270-297)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

  Quas quia Pygmalion aeuum per crimen agentis

uiderat, offensus uitiis, quae plurima menti
 
Pygmalion les avait vues menant leur vie scélérate,

et s'offusquait des vices sans nombre transmis à la femme
 
10, 245 femineae natura dedit, sine coniuge caelebs

uiuebat thalamique diu consorte carebat.

Interea niueum mira feliciter arte

sculpsit ebur formamque dedit, qua femina nasci

nulla potest ; operisque sui concepit amorem.
 
par la nature. Aussi vivait-il en célibataire, sans épouse,

et pendant longtemps personne ne partagea sa couche.

Cependant, avec un art admirable, il sculpta de l'ivoire pur,

lui donnant une beauté avec laquelle nulle femme

ne peut naître ; et il tomba amoureux de son oeuvre.
 
10, 250 Virginis est uerae facies, quam uiuere credas,

et, si non obstet reuerentia, uelle moueri ;

ars adeo latet arte sua. Miratur et haurit

pectore Pygmalion simulati corporis ignes.

Saepe manus operi temptantes admouet, an sit
 
Elle a l'apparence d'une vraie jeune fille, on pourrait la croire 

vivante et, si la réserve ne la retenait, prête à se mouvoir ;

tant l'art se dissimule à force d'art. Pygmalion est émerveillé

et les feux qu'éveille ce semblant de corps emplissent son coeur.

Souvent il s'approche, ses mains palpent son oeuvre, ne sachant
 
10, 255 corpus an illud ebur ; nec adhuc ebur esse fatetur.

Oscula dat reddique putat loquiturque tenetque

et credit tactis digitos insidere membris

et metuit, pressos ueniat ne liuor in artus ;

et modo blanditias adhibet, modo grata puellis
 
si elle est de chair ou d'ivoire. Et il ne dit plus qu'elle est en ivoire ;

il lui donne des baisers, et pense qu'elle les lui rend ; il lui parle,

l'étreint, croit sentir ses doigts presser les membres qu'ils touchent

et craint que les bras ainsi serrés ne soient marqués de bleus.

Tantôt il lui dispense des caresses, tantôt lui offre des présents
 
10, 260 munera fert illi, conchas teretesque lapillos

et paruas uolucres et flores mille colorum

liliaque pictasque pilas et ab arbore lapsas

Heliadum lacrimas ; ornat quoque uestibus artus,

dat digitis gemmas, dat longa monilia collo,
appréciés par les filles : coquillages, beaux galets, petits oiseaux, 

des fleurs de mille couleurs, des lis, des balles peintes

et les larmes des Héliades, tombées des arbres.

Il la pare aussi de vêtements, passe à ses doigts

des pierres précieuses et à son cou de longs colliers ;
 
10, 265 aure leues bacae, redimicula pectore pendent.

Cuncta decent ; nec nuda minus formosa uidetur.

Conlocat hanc stratis concha Sidonide tinctis

appellatque tori sociam acclinataque colla

mollibus in plumis, tamquam sensura, reponit.

 
il suspend des perles à ses oreilles, des chaînettes sur sa poitrine.

Tout lui sied ; et nue, elle ne paraît pas moins belle.

Il la pose sur des tapis teints de pourpre de Sidon,

il l'appelle la compagne de sa couche, et la dépose, nuque inclinée,

sur un coussin de plumes, comme si elle allait y être sensible.

 
10, 270 Festa dies Veneris tota celeberrima Cypro

uenerat et pandis inductae cornibus aurum

conciderant ictae niuea ceruice iuuencae,

turaque fumabant ; cum munere functus ad aras

constitit et timide : “  Si, di, dare cuncta potestis,
 
Le jour de la fête de Vénus était très populaire dans toute l'île de Chypre.

Des génisses, dont les hautes cornes avaient été couvertes d'or,

étaient tombées sous la lame qui avait frappé leur cou de neige ; 

les encensoirs fumaient. Son offrande accomplie, Pygmalion s'arrêta 

près de l'autel et dit timidement : “ Dieux, si vous pouvez tout donner,
 
10, 275 sit coniunx, opto, ” (non ausus « eburnea uirgo »

dicere) Pygmalion « similis mea » dixit « eburnae ».

Sensit, ut ipsa suis aderat Venus aurea festis,

uota quid illa uelint et amici numinis omen,

flamma ter accensa est apicemque per aera duxit.

 
je souhaite avoir pour épouse ” – il n'osa dire ‘ la vierge d'ivoire ’ –

 “ une jeune fille qui ressemble à ma statue d'ivoire ”.

Vénus en personne qui, toute parée d'or, était présente à ses festivités,

comprit le sens de ces voeux et, en présage de la bienveillance divine,

la flamme trois fois se ralluma et éleva dans l'air sa langue de feu .

 
10, 280 Vt rediit, simulacra suae petit ille puellae

incumbensque toro dedit oscula ; uisa tepere est.

Admouet os iterum, manibus quoque pectora temptat ;

temptatum mollescit ebur positoque rigore

subsidit digitis ceditque, ut Hymettia sole
 
Une fois rentré chez lui, il se rendit près de la statue de son amie

et, couché près d'elle, la couvrit de baisers : elle lui parut tiède.

Il approche à nouveau ses lèvres, et de ses mains lui tâte la poitrine :

l'ivoire s'amollit quand il l'a touché, il perd de sa rigidité,

se creuse et cède sous les doigts, comme la cire de l'Hymette
 
10, 285 cera remollescit tractataque pollice multas

flectitur in facies ipsoque fit utilis usu.

Dum stupet et dubie gaudet fallique ueretur,

rursus amans rursusque manu sua uota retractat ;

corpus erat ; saliunt temptatae pollice uenae.
 

qui fond au soleil et qui, sous le pouce qui la façonne, prend moultes formes 

et devient d'autant plus propre à l'usage dans la mesure où l'on s'en sert.

L'amant reste interdit, hésite à se réjouir, craint de se tromper,

retire puis reprend à nouveau en mains l'objet de ses voeux :

c'était un corps vivant, dont les veines palpitent sous son pouce.
 

10, 290 Tum uero Paphius plenissima concipit heros

uerba quibus Veneri grates agat ; oraque tandem

ore suo non falsa premit ; dataque oscula uirgo

sensit et erubuit timidumque ad lumina lumen

attollens pariter cum caelo uidit amantem.
 
Alors le héros de Paphos conçoit des formules pleines de reconnaissance

pour rendre grâce à Vénus. Enfin ce n'est plus une fausse bouche,

qu'il presse sous sa bouche ; la jeune fille a senti les baisers

qu'il lui donne et elle a rougi, puis, levant timidement son regard

vers la lumière, elle a aperçu au même instant et le ciel et son amant.
 
10, 295

Coniugio, quod fecit, adest dea ; iamque coactis

cornibus in plenum nouiens lunaribus orbem,

illa Paphon genuit, de qua tenet insula nomen.
 

La déesse assiste à l'union qu'elle a accomplie ; et déjà

quand les cornes de la lune neuf fois eurent refait un cercle plein,

la jeune femme mit au monde Paphos, une fille dont l'île conserve le nom.