Ovide, Métamorphose 1, 151- 252
1, 151 | Neue foret terris securior arduus aether, |
Mais en haut, l'éther ne devait pas être plus sûr que la terre. Les Géants, dit-on, cherchèrent à s'emparer du royaume céleste, et entassèrent des montagnes qu'ils élevèrent jusqu'aux astres. Alors le père tout puissant lança sa foudre et fracassa l'Olympe, |
1, 155 | fulmine et excussit subiecto Pelion Ossae. Obruta mole sua cum corpora dira iacerent, perfusam multo natorum sanguine Terram immaduisse ferunt calidumque animasse cruorem et, ne nulla suae stirpis monimenta manerent, |
fit s'écrouler le Pélion l'arrachant à l'Ossa placé sous lui. Comme ces corps redoutables gisaient écrasés sous leur masse, on dit que la Terre, inondée par l'abondance du sang de ses enfants, en fut imprégnée et donna vie à ces flots de sang encore chauds, puis, dans la crainte de ne voir subsister nulle trace de sa race, |
1, 160 | in faciem uertisse hominum ; sed et illa propago contemptrix superum saeuaeque auidissima caedis et uiolenta fuit : scires e sanguine natos. Quae pater ut summa uidit Saturnius arce, ingemit et facto nondum uulgata recenti |
les transforma en êtres à face humaine. Mais cette génération elle aussi méprisa les dieux et, particulièrement avide de carnage et de cruauté, se livra à la violence : on pouvait voir qu'elle était née du sang. Dès que le fils de Saturne, du haut de sa citadelle, voit ce spectacle, il gémit et, se souvenant d'un fait récent, encore inconnu, |
1, 165 | foeda Lycaoniae referens conuiuia mensae ingentes animo et dignas Ioue concipit iras conciliumque uocat : tenuit mora nulla uocatos. Est uia sublimis, caelo manifesta sereno ; lactea nomen habet, candore notabilis ipso. |
de l'infâme festin qui se déroula à la table de Lycaon, il conçoit en son coeur une terrible colère, digne de Jupiter. Il convoque son conseil, qui se réunit sans retard. Il existe dans le ciel une route, bien visible par ciel serein ; on l'appelle la Voie lactée, remarquable par sa blancheur même. |
1, 170 | Hac iter est superis ad magni tecta Tonantis regalemque domum : dextra laeuaque deorum atria nobilium ualuis celebrantur apertis. Plebs habitat diuersa locis : hac parte potentes caelicolae clarique suos posuere penates ; |
Par cette route les dieux se rendent à la demeure du Grand Tonnant, au palais royal. À droite et à gauche, par les portes ouvertes, <on voit> les atriums des nobles dieux où l'on se presse ; la plèbe habite divers lieux ; en face et autour <du palais>, les dieux puissants ont installé leurs pénates. |
1, 175 | hic locus est, quem, si uerbis audacia detur, haud timeam magni dixisse Palatia caeli. Ergo ubi marmoreo superi sedere recessu, celsior ipse loco sceptroque innixus eburno terrificam capitis concussit terque quaterque |
Cet endroit, si l'on me permet cette audace verbale, je ne craindrais pas de l'appeler le Palatin céleste. Une fois les dieux installés dans leur retraite de marbre, Jupiter, sur le trône le plus élevé, appuyé sur son sceptre d'ivoire, agita trois ou quatre fois la chevelure redoutable couvrant sa tête, |
1, 180 | caesariem, cum qua terram, mare, sidera mouit. Talibus inde modis ora indignantia soluit : « Non ego pro mundi regno magis anxius illa tempestate fui, qua centum quisque parabat inicere anguipedum captiuo bracchia caelo. |
ce qui ébranla la terre, la mer et les astres. Il laissa alors éclater son indignation en ces termes : « Non, je n'ai pas été plus inquiet pour ma royauté sur l'univers à l'époque où les Géants anguipèdes se préparaient à utiliser leurs cent bras pour s'emparer du ciel. |
nam quamquam ferus hostis erat, tamen illud ab uno corpore et ex una pendebat origine bellum ; nunc mihi qua totum Nereus circumsonat orbem, perdendum est mortale genus : per flumina iuro infera sub terras Stygio labentia luco ! |
Car, si sauvage que fût l'ennemi, cette guerre n'émanait que d'une seule race et n'avait qu'une seule origine. Aujourd'hui, dans le monde entier entouré du bruyant Nérée, il me faut perdre la race des mortels. Par les fleuves infernaux, coulant sous la terre en arrosant le bois du Styx, je le jure ! |
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1, 190 | Cuncta prius temptata, sed inmedicabile uulnus. Ense recidendum, ne pars sincera trahatur. Sunt mihi semidei, sunt, rustica numina, nymphae faunique satyrique et monticolae siluani ; quos quoniam caeli nondum dignamur honore, |
Tout a été tenté auparavant ; mais la blessure est inguérissable. Il faut trancher à l'épée pour éviter à la partie saine d'être atteinte. J'ai pour moi les demi-dieux, les divinités rustiques, Nymphes, Faunes, Satyres, et Silvains, habitants des montagnes. Puisque nous ne les estimons pas encore dignes de l'honneur du ciel, |
1, 195 | quas dedimus, certe terras habitare sinamus. An satis, o superi, tutos fore creditis illos, cum mihi, qui fulmen, qui uos habeoque regoque, struxerit insidias notus feritate Lycaon ? » Confremuere omnes studiisque ardentibus ausum |
laissons-les au moins habiter la terre que nous leur avons donnée. Croyez-vous vraiment, dieux d'en-haut, qu'ils y seront en sécurité, alors que contre moi, maître de la foudre, votre seigneur et votre roi, Lycaon, bien connu pour sa sauvagerie a dressé un piège ? » Toute l'assistance frémit et réclame ardemment le châtiment |
1, 200 | talia deposcunt : sic, cum manus inpia saeuit sanguine Caesareo Romanum exstinguere nomen, attonitum tantae subito terrore ruinae humanum genus est totusque perhorruit orbis ; nec tibi grata minus pietas, Auguste, tuorum est |
d'un être si audacieux. Ainsi, lorsqu'une troupe impie s'acharna à éteindre le nom romain dans le sang de César, le genre humain fut saisi de crainte à ce désastre subit et le monde entier fut plongé dans l'horreur. À tes yeux, Auguste, la piété des tiens n'est pas moins agréable |
1, 205 | quam fuit illa Ioui. Qui postquam uoce manuque murmura conpressit, tenuere silentia cuncti. Substitit ut clamor pressus grauitate regentis, Iuppiter hoc iterum sermone silentia rupit : « Ille quidem poenas - curam hanc dimittite !- soluit ; |
que ne le fut celle-là pour Jupiter. De la voix et du geste, il fit cesser les murmures, et tous restèrent silencieux. Une fois les cris arrêtés, réprimés par la majesté de leur maître, Jupiter rompit à nouveau le silence par un récit : « Certes, il a reçu son châtiment, ne vous inquiétez pas à ce sujet. |
1, 210 | quod tamen admissum, quae sit uindicta, docebo.
Contigerat nostras infamia temporis aures ; |
Mais, je vais vous apprendre ce que furent ce crime et sa punition.
Le bruit des infamies de l'époque était parvenu à mes oreilles. |
1, 215 | enumerare : minor fuit ipsa infamia uero. Maenala transieram latebris horrenda ferarum et cum Cyllene gelidi pineta Lycaei : Arcadis hinc sedes et inhospita tecta tyranni ingredior, traherent cum sera crepuscula noctem. |
furent découverts ; le rapport était bien en-dessous la vérité. J'avais traversé l'horrible Ménale avec ses repaires de bêtes sauvages, le Cyllène et les pinèdes fraîches du mont Lycée ; dans la demeure inhospitalière d'un tyran d'Arcadie, je pénétrai à l'heure tardive où le crépuscule entraîne la nuit. |
1, 220 | Signa dedi uenisse deum, uulgusque precari coeperat : inridet primo pia uota Lycaon, mox ait : « Experiar deus hic discrimine aperto an sit mortalis : nec erit dubitabile uerum. » Nocte grauem somno necopina perdere morte |
Je manifeste par signes ma présence divine et le peuple se met à prier. Lycaon commence par se moquer de ces hommages pieux ; puis il dit : « Je vais m'assurer avec certitude, s'il est un dieu ou un homme. La vérité éclatera alors indubitablement. » Il me prépare une mort par surprise, la nuit, quand je serai alourdi |
1, 225 | comparat : haec illi placet experientia ueri ; nec contentus eo, missi de gente Molossa obsidis unius iugulum mucrone resoluit atque ita semineces partim feruentibus artus mollit aquis, partim subiecto torruit igni. |
par le sommeil ; c'est sa manière à lui d'éprouver la vérité. Mais il ne se contente pas de cela ; de son épée, il égorge un otage envoyé de la cité des Molosses, attendrit dans l'eau bouillante une partie de ses membres encore palpitants et fait rôtir le reste sur la flamme. |
1, 230 | Quod simul inposuit mensis, ego uindice flamma in domino dignos euerti tecta penates ; territus ipse fugit nactusque silentia ruris exululat frustraque loqui conatur : ab ipso colligit os rabiem solitaeque cupidine caedis |
Dès qu'il eut fait servir ce plat à table, moi, d'un feu vengeur, je fis s'écrouler sur lui sa maison, pénates dignes de leur maître. Effrayé, il s'enfuit et, après avoir gagné la campagne silencieuse, se met à hurler. C'est en vain qu'il tente de parler. Toute sa rage, il la concentre dans sa bouche ; son désir habituel de carnage, il l'exerce |
1, 235 | uertitur in pecudes et nunc quoque sanguine gaudet. In uillos abeunt uestes, in crura lacerti : fit lupus et ueteris seruat uestigia formae ; canities eadem est, eadem uiolentia uultus, idem oculi lucent, eadem feritatis imago est. |
contre les troupeaux, et maintenant encore il se complaît dans le sang. Ses vêtements sont changés en poils, et ses bras en pattes. Il devient un loup, qui conserve des traces de sa forme ancienne. Le gris de ses poils est le même, il a le même visage farouche, l'éclat des yeux est le même, il offre la même image de la férocité. |
1, 240 | Occidit una domus, sed non domus una perire digna fuit : qua terra patet, fera regnat Erinys. In facinus iurasse putes ! Dent ocius omnes, quas meruere pati, (sic stat sententia) poenas. » Dicta Iouis pars uoce probant stimulosque frementi |
Une seule maison est abattue ; mais elle n'est pas la seule maison à avoir mérité de périr ; par toute la terre règne la cruelle Érinye ; on croirait une conjuration de criminels. Que tous subissent au plus vite les châtiments qu'ils ont mérité (c'est la sentence établie). » Certains dieux approuvent à haute voix les dires de Jupiter |
1, 245 | adiciunt, alii partes adsensibus inplent. Est tamen humani generis iactura dolori omnibus, et quae sit terrae mortalibus orbae forma futura rogant, quis sit laturus in aras tura, ferisne paret populandas tradere terras. |
et excitent sa colère, les autres jouent leur rôle de courtisans. Toutefois le sacrifice du genre humain les désole tous ; ils lui demandent quel aspect aura la terre privée des humains, qui apportera alors de l'encens sur les autels, et s'il se prépare à livrer aux bêtes sauvages la terre à dévaster. |
1, 250 | Talia quaerentes (sibi enim fore cetera curae) rex superum trepidare uetat sobolemque priori dissimilem populo promittit origine mira. |
À ces questions, le roi des dieux répond qu'il se chargera de tout ; il leur interdit de s'alarmer et promet de faire naître une race différente, d'une origine merveilleuse. |