Textes

Ovide, Métamorphoses 1, 255-313

 

Iamque erat in totas sparsurus fulmina terras ;

sed timuit, ne forte sacer tot ab ignibus aether
 

Déjà Jupiter était prêt à lancer ses foudres partout sur la terre ;

mais il redouta que, suite à tant de feux, l'éther sacré risque
 

1, 255

conciperet flammas longusque ardesceret axis :

esse quoque in fatis reminiscitur, adfore tempus,

quo mare, quo tellus correptaque regia caeli

ardeat et mundi moles obsessa laboret.

Tela reponuntur manibus fabricata cyclopum ;
 

de s'enflammer, et la longue voûte du ciel de se consumer.

Il se souvient aussi des destins annonciateurs d'un temps futur

où la mer, la terre et le palais céleste seront la proie d'un feu ardent,

qui mettra en péril la masse du monde, entourée de flammes.

Il dépose les traits qu'ont forgés les mains des Cyclopes
 

1, 260

poena placet diuersa, genus mortale sub undis

perdere et ex omni nimbos demittere caelo.

Protinus Aeoliis Aquilonem claudit in antris

et quaecumque fugant inductas flamina nubes

emittitque Notum. Madidis Notus euolat alis,
 

et décide un châtiment tout différent : anéantir le genre humain

sous les eaux et faire tomber de l'ensemble du ciel des trombes de pluie.

Aussitôt il enferme dans l'antre d'Éole l'Aquilon

et tous les souffles qui rassemblent et chassent les nuées ,

puis lache le Notus. Le Notus aux ailes humides s'envole,
 

1, 265

terribilem picea tectus caligine uultum ;

barba grauis nimbis, canis fluit unda capillis ;

fronte sedent nebulae, rorant pennaeque sinusque.

utque manu lata pendentia nubila pressit,

fit fragor : hinc densi funduntur ab aethere nimbi ;
 

son visage effrayant est couvert d'un noir de poix ;

sa barbe est lourde de pluies ; l'eau coule de sa blanche chevelure ;

sur son front siègent des brumes, ses ailes et son sein ruissellent.

Dès que sa large main a pressé les nuages suspendus,

un fracas se produit ; alors de l'éther fondent d'épais nuages.
 

1, 270

nuntia Iunonis uarios induta colores

concipit Iris aquas alimentaque nubibus adfert.

Sternuntur segetes et deplorata coloni

uota iacent, longique perit labor inritus anni.

Nec caelo contenta suo est Iouis ira, sed illum
 

Messagère de Junon, revêtue d'un éventail de couleurs,

Iris rassemble les eaux et apporte aux nuages leur nourriture.

Les moissons sont couchées sur le sol ; le paysan déplore

ses voeux anéantis, le travail vain d'une longue année est perdu.

La colère de Jupiter ne se contente pas de son empire du ciel :
 

1, 275

caeruleus frater iuuat auxiliaribus undis.

Conuocat hic amnes : qui postquam tecta tyranni

intrauere sui : « Non est hortamine longo

nunc », ait, « utendum ; uires effundite uestras :

sic opus est ! Aperite domos ac mole remota
 

son frère bleu de mer l'aide de ses flots. Il convoque les fleuves.

Lorsque ceux-ci ont pénétré dans la demeure de leur maître,

il leur dit : « Pas besoin maintenant de longs discours.

Déployez vos forces ; c'est indispensable. 

Ouvrez vos demeures et, après avoir écarté vos digues,
 

1, 280

fluminibus uestris totas inmittite habenas ! »

Iusserat ; hi redeunt ac fontibus ora relaxant

et defrenato uoluuntur in aequora cursu.

Ipse tridente suo terram percussit, at illa

intremuit motuque uias patefecit aquarum.
 

lâchez la bride à tous vos courants. » Tel était son ordre.

Les fleuves retournent à leurs sources dont ils dégagent les bouches,

puis, en une course effrénée, ils se laissent rouler vers les mers.

Le dieu de son trident frappa la terre qui se mit à trembler,

et cette secousse ouvrit aux eaux des voies <où s'engouffrer>.
 

1, 285

Exspatiata ruunt per apertos flumina campos

cumque satis arbusta simul pecudesque uirosque

tectaque cumque suis rapiunt penetralia sacris.

Si qua domus mansit potuitque resistere tanto

indeiecta malo, culmen tamen altior huius
 

Les fleuves, sortis de leur lit, se répandent dans la rase campagne ;

ils emportent, avec les moissons, les arbustes et les troupeaux,

les hommes et les maisons avec leurs autels et les objets sacrés.

Si une maison est restée debout et a pu résister à un tel cataclysme

sans crouler, elle finit submergée par une vague plus haute que son toit 
 

1, 290

unda tegit, pressaeque latent sub gurgite turres.

Iamque mare et tellus nullum discrimen habebant :

omnia pontus erat, deerant quoque litora ponto.

Occupat hic collem, cumba sedet alter adunca

et ducit remos illic, ubi nuper ararat :
 

et ses tourelles écrasées disparaissent sous le tourbillon.

Désormais, plus rien ne distinguait la mer de la terre ;

Tout était mer ; et c'était une mer sans rivages.

Tel se hâte d'occuper une colline ; dans une barque recourbée,

tel autre manie des rames là où naguère il avait labouré.
 

1, 295

ille supra segetes aut mersae culmina uillae

nauigat, hic summa piscem deprendit in ulmo.

Figitur in uiridi, si fors tulit, ancora prato,

aut subiecta terunt curuae uineta carinae ;

et, modo qua graciles gramen carpsere capellae,
 

Cet autre navigue sur ses moissons ou sur sa villa aux toits inondés

et ici quelqu'un prend un poisson au sommet d'un ormeau.

Une ancre se fiche, si le hasard l'y porte, dans une verte prairie,

des carènes creuses foulent les vignes en passant au-dessus d'elles.

Et là où naguère de gracieuses chevrettes broutaient l'herbe,
 

1, 300

nunc ibi deformes ponunt sua corpora phocae.

Mirantur sub aqua lucos urbesque domosque

Nereides, siluasque tenent delphines et altis

incursant ramis agitataque robora pulsant.

Nat lupus inter oues, fuluos uehit unda leones,
 

des phoques posent maintenant leurs corps informes.

Les Néréides s'étonnent d'apercevoir sous l'eau des bois,

des cités et des maisons ; les dauphins occupent les forêts,

se heurtent aux hautes branches, bousculent et agitent les chênes.

Le loup nage parmi les brebis, l'onde charrie des lions au pelage fauve
 

1, 305

unda uehit tigres ; nec uires fulminis apro,

crura nec ablato prosunt uelocia ceruo,

quaesitisque diu terris, ubi sistere possit,

in mare lassatis uolucris uaga decidit alis.

Obruerat tumulos inmensa licentia ponti,
 

et emporte des tigres ; le sanglier ne tire rien de sa force foudroyante

le cerf emporté ne trouve aucun secours en ses pattes agiles.

Après avoir longtemps cherché des terres où se poser,

l'oiseau égaré tombe dans la mer, les ailes épuisées.

L'immense débordement de l'océan avait recouvert les hauteurs
 

1, 310

pulsabantque noui montana cacumina fluctus.

Maxima pars unda rapitur ; quibus unda pepercit,

illos longa domant inopi ieiunia uictu.
 

et des flots inconnus venaient frapper les sommets des montagnes.

L'onde emporte la plupart des vivants ; ceux qu'elle a épargnés,

ils meurent vaincus par un long jeûne, faute de vivres.