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Iamque erat in totas sparsurus fulmina terras ;
sed timuit, ne forte sacer tot ab ignibus aether
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Déjà Jupiter était prêt à lancer ses foudres partout sur la terre ;
mais il redouta que, suite à tant de feux, l'éther sacré risque
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1, 255 |
conciperet flammas longusque ardesceret axis :
esse quoque in fatis reminiscitur, adfore tempus,
quo mare, quo tellus correptaque regia caeli
ardeat et mundi moles obsessa laboret.
Tela reponuntur manibus fabricata cyclopum ;
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de s'enflammer, et la longue voûte du ciel de se consumer.
Il se souvient aussi des destins annonciateurs d'un temps futur
où la mer, la terre et le palais céleste seront la proie d'un feu ardent,
qui mettra en péril la masse du monde, entourée de flammes.
Il dépose les traits qu'ont forgés les mains des Cyclopes
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1, 260 |
poena placet diuersa, genus mortale sub undis
perdere et ex omni nimbos demittere caelo.
Protinus Aeoliis Aquilonem claudit in antris
et quaecumque fugant inductas flamina nubes
emittitque Notum. Madidis Notus euolat alis,
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et décide un châtiment tout différent : anéantir le genre humain
sous les eaux et faire tomber de l'ensemble du ciel des trombes de pluie.
Aussitôt il enferme dans l'antre d'Éole l'Aquilon
et tous les souffles qui rassemblent et chassent les nuées ,
puis lache le Notus. Le Notus aux ailes humides s'envole,
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1, 265 |
terribilem picea tectus caligine uultum ;
barba grauis nimbis, canis fluit unda capillis ;
fronte sedent nebulae, rorant pennaeque sinusque.
utque manu lata pendentia nubila pressit,
fit fragor : hinc densi funduntur ab aethere nimbi ;
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son visage effrayant est couvert d'un noir de poix ;
sa barbe est lourde de pluies ; l'eau coule de sa blanche chevelure ;
sur son front siègent des brumes, ses ailes et son sein ruissellent.
Dès que sa large main a pressé les nuages suspendus,
un fracas se produit ; alors de l'éther fondent d'épais nuages.
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1, 270 |
nuntia Iunonis uarios induta colores
concipit Iris aquas alimentaque nubibus adfert.
Sternuntur segetes et deplorata coloni
uota iacent, longique perit labor inritus anni.
Nec caelo contenta suo est Iouis ira, sed illum
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Messagère de Junon, revêtue d'un éventail de couleurs,
Iris rassemble les eaux et apporte aux nuages leur nourriture.
Les moissons sont couchées sur le sol ; le paysan déplore
ses voeux anéantis, le travail vain d'une longue année est perdu.
La colère de Jupiter ne se contente pas de son empire du ciel :
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1, 275 |
caeruleus frater iuuat auxiliaribus undis.
Conuocat hic amnes : qui postquam tecta tyranni
intrauere sui : « Non est hortamine longo
nunc », ait, « utendum ; uires effundite uestras :
sic opus est ! Aperite domos ac mole remota
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son frère bleu de mer l'aide de ses flots. Il convoque les fleuves.
Lorsque ceux-ci ont pénétré dans la demeure de leur maître,
il leur dit : « Pas besoin maintenant de longs discours.
Déployez vos forces ; c'est indispensable.
Ouvrez vos demeures et, après avoir écarté vos digues,
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1, 280 |
fluminibus uestris totas inmittite habenas ! »
Iusserat ; hi redeunt ac fontibus ora relaxant
et defrenato uoluuntur in aequora cursu.
Ipse tridente suo terram percussit, at illa
intremuit motuque uias patefecit aquarum.
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lâchez la bride à tous vos courants. » Tel était son ordre.
Les fleuves retournent à leurs sources dont ils dégagent les bouches,
puis, en une course effrénée, ils se laissent rouler vers les mers.
Le dieu de son trident frappa la terre qui se mit à trembler,
et cette secousse ouvrit aux eaux des voies <où s'engouffrer>.
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1, 285 |
Exspatiata ruunt per apertos flumina campos
cumque satis arbusta simul pecudesque uirosque
tectaque cumque suis rapiunt penetralia sacris.
Si qua domus mansit potuitque resistere tanto
indeiecta malo, culmen tamen altior huius
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Les fleuves, sortis de leur lit, se répandent dans la rase campagne ;
ils emportent, avec les moissons, les arbustes et les troupeaux,
les hommes et les maisons avec leurs autels et les objets sacrés.
Si une maison est restée debout et a pu résister à un tel cataclysme
sans crouler, elle finit submergée par une vague plus haute que son toit
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1, 290 |
unda tegit, pressaeque latent sub gurgite turres.
Iamque mare et tellus nullum discrimen habebant :
omnia pontus erat, deerant quoque litora ponto.
Occupat hic collem, cumba sedet alter adunca
et ducit remos illic, ubi nuper ararat :
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et ses tourelles écrasées disparaissent sous le tourbillon.
Désormais, plus rien ne distinguait la mer de la terre ;
Tout était mer ; et c'était une mer sans rivages.
Tel se hâte d'occuper une colline ; dans une barque recourbée,
tel autre manie des rames là où naguère il avait labouré.
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1, 295 |
ille supra segetes aut mersae culmina uillae
nauigat, hic summa piscem deprendit in ulmo.
Figitur in uiridi, si fors tulit, ancora prato,
aut subiecta terunt curuae uineta carinae ;
et, modo qua graciles gramen carpsere capellae,
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Cet autre navigue sur ses moissons ou sur sa villa aux toits inondés
et ici quelqu'un prend un poisson au sommet d'un ormeau.
Une ancre se fiche, si le hasard l'y porte, dans une verte prairie,
des carènes creuses foulent les vignes en passant au-dessus d'elles.
Et là où naguère de gracieuses chevrettes broutaient l'herbe,
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1, 300 |
nunc ibi deformes ponunt sua corpora phocae.
Mirantur sub aqua lucos urbesque domosque
Nereides, siluasque tenent delphines et altis
incursant ramis agitataque robora pulsant.
Nat lupus inter oues, fuluos uehit unda leones,
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des phoques posent maintenant leurs corps informes.
Les Néréides s'étonnent d'apercevoir sous l'eau des bois,
des cités et des maisons ; les dauphins occupent les forêts,
se heurtent aux hautes branches, bousculent et agitent les chênes.
Le loup nage parmi les brebis, l'onde charrie des lions au pelage fauve
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1, 305 |
unda uehit tigres ; nec uires fulminis apro,
crura nec ablato prosunt uelocia ceruo,
quaesitisque diu terris, ubi sistere possit,
in mare lassatis uolucris uaga decidit alis.
Obruerat tumulos inmensa licentia ponti,
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et emporte des tigres ; le sanglier ne tire rien de sa force foudroyante
le cerf emporté ne trouve aucun secours en ses pattes agiles.
Après avoir longtemps cherché des terres où se poser,
l'oiseau égaré tombe dans la mer, les ailes épuisées.
L'immense débordement de l'océan avait recouvert les hauteurs
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1, 310 |
pulsabantque noui montana cacumina fluctus.
Maxima pars unda rapitur ; quibus unda pepercit,
illos longa domant inopi ieiunia uictu.
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et des flots inconnus venaient frapper les sommets des montagnes.
L'onde emporte la plupart des vivants ; ceux qu'elle a épargnés,
ils meurent vaincus par un long jeûne, faute de vivres.
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