Machiavel Le Prince, Ch XVII, De la cruauté & clémence & quel est le meilleur d'être aimé ou craint, Pléiade, p. 338.

 

(...) Je dis que tout Prince doit grandement souhaiter d'être estimé pitoyable et non pas cruel ; néanmoins il doit bien prendre garde de n'appliquer mal cette miséricorde. César Borgia fut estimé cruel : toutefois sa cruauté a réformé toute la Romagne, l'a unie et réduite à la paix et fidélité. Ce que bien considéré, il Se trouvera avoir été beaucoup plus pitoyable que le peuple florentin qui, pour éviter le nom de cruauté, laissa détruire Pistoïa. Le Prince, donc, ne se doit point soucier d'avoir le mauvais renom de cruauté pour tenir tous ses sujets en union et obéissance ; car, faisant bien peu d'exemples, il sera plus pitoyable que ceux qui, par être trop miséricordieux, laissent se poursuivre les désordres, desquels naissent meurtres et rapines ; car ceci nuit ordinairement à la généralité, mais les exécutions qui viennent du Prince ne nuisent qu'à un particulier. (... ) Toutefois il ne doit pas croire ni agir à la légère, ni se donner peur soi-même, mais procéder d'une manière modérée, avec sagesse et humanité de peur que trop de confiance ne le fasse imprudent et trop de défiance ne le rende insupportable.