Kant, Critique de la faculté de juger, 1790, Vrin, p. 127.128. Traduction: Alexis Philonenko.

 

 «  Les maximes du sens commun sont les suivantes : 1. Penser par soi-même ; 2. Penser en se mettant à la place de tout autre ; 3. Toujours penser en accord avec soi-même. La première maxime est la maxime de la pensée sans préjugés,  la seconde maxime est celle de la pensée élargie, la troisième maxime est celle de la pensée conséquente. La première maxime est celle d’une raison qui n’est jamais passive. On appelle préjugé la tendance à la passivité et par conséquent à l’hétéronomie de la raison ; de tous les préjugés le plus grand est celui qui consiste à se représenter la nature comme n’étant pas soumise aux règles que l’entendement de par sa propre et essentielle loi lui donne pour fondement et c’est la superstition. On nomme les lumières < Aufklärung > la libération de la superstition ; en effet, bien que cette dénomination convienne aussi à la libération des préjugés en général, la superstition doit être appelée de préférence (in sensu eminenti) un préjugé, puisque l’aveuglement en lequel elle plonge l’esprit, et bien plus qu’elle exige comme une obligation, montre d’une manière remarquable le besoin d’être guidé par d’autres et par conséquent l’état d’une raison passive. En ce qui concerne la seconde maxime de la pensée nous sommes bien habitués par ailleurs à appeler étroit d’esprit (borné, le contraire d’élargi) celui dont les talents ne suffisent pas à un usage important (particulièrement à celui qui demande une grande force d’application). Il n’est pas en ceci question des facultés de la connaissance, mais de la manière de penser et de faire de la pensée un usage final ; et si petit selon l’extension et le degré que soit le champ couvert par les dons naturels <die Naturgabe> de l’homme, c’est là ce qui montre cependant un homme d’esprit ouvert <von erweiterter Denkungsart> que de pouvoir s’élever au-dessus des conditions subjectives du jugement, en lesquelles tant d’autres se cramponnent, et de pouvoir réfléchir sur son propre jugement à partir d’un point de vue universel (qu’il ne peut déterminer qu’en se plaçant au point de vue d’autrui). C’est la troisième maxime, celle de la manière de penser conséquente, qui est la plus difficile à mettre en œuvre ; on ne le peut qu’en liant les deux premières maximes et après avoir acquis une maîtrise rendue parfaite par un exercice répété. On peut dire que la première de ces maximes est la maxime de l’entendement, la seconde celle de la faculté de juger, la troisième celle de la raison. »

   

   Kant, Anthropologie du point de vue pragmatique, 1797, Vrin, p. 71, Traduction:  Michel Foucault.

 

   « Exiger de l’homme la sagesse, en tant qu’elle est l’idée d’un usage pratique de la raison qui soit parfait et conforme aux lois, c’est beaucoup trop demander ; mais même sous sa forme la plus rudimentaire un homme ne peut pas l’inspirer à un autre ; chacun doit en être l’auteur lui-même. Le précepte pour y parvenir comporte trois maximes directrices : 1) penser par soi-même ; 2) se penser (dans la communication avec les hommes) à la place de l’autre ; 3) penser toujours en accord avec soi-même »