Le renégat

 

Il se rappelle être né quelque parc, avoir cru aux erreurs natales, proposé des principes et prôné des bêtises enflammées. Il en rougit ..., et s'acharne à abjurer son passé, ses patries réelles ou rêvées, les vérités surgies de sa moelle. Il ne trouvera la paix qu'après avoir anéanti en lui le dernier réflexe de citoyen et les enthousiasmes hérités. Comment les coutumes du coeur pourraient-elles l'enchaîner encore, quand il veut s'émanciper des généalogies et quand l'idéal même du sage antique, contempteur de toutes les cités, lui paraît une transaction ? Celui qui ne peut plus prendre parti, parce que tous les hommes one nécessairement raison et tort, parce que toue est justifié et déraisonnable en même temps, celui-là doit renoncer à son propre nom, fouler aux pieds son identité et recommencer une vie nouvelle dans l'impassibilité ou la désespérance. Ou, sinon, inventer un autre genre de solitude, s'expatrier dans le vide, et poursuivre - au gré des exils - les étapes du déracinement. Délié de cous les préjugés, il devient l'homme inutilisable par excellence, auquel personne ne fait appel et que personne ne craint, parce qu'il admet et répudie cout avec le même détachement. Moins dangereux qu'un insecte distrait, il est cependant un fléau pour la Vie, car elle a disparu de son vocabulaire, avec les sept jours de la Création. Et la Vie lui pardonnerait, si au moins il prenait goût au Chaos, où elle a débuté. Mais il renie les origines fébriles, en commençant par la sienne, ne conservant du monde qu'une mémoire froide et un regret poli.

(De reniement en reniement, son existence s'amenuise : plus vague et plus irréel qu'un syllogisme de soupirs, comment serait-il encore un être de chair ? Exsangue, il rivalise avec l'Idée ; il s'est abstraie de ses aïeux, de ses amis, de coutes les âmes et de soi ; dans ses veines, turbulences autrefois, repose une lumière d'un autre monde. Emancipé de ce qu'il a vécu, incurieux de ce qu'il vivra, il démolie les bornes de toutes ses routes, et s'arrache aux repères de cous les temps. « Je ne me rencontrerai plus jamais avec moi », se dit-il, heureux de tourner sa dernière haine contre soi, plus heureux encore d'anéantir - dans son pardon - les êtres et les choses.)