Le démon

Il est là, dans le brasier du sang, dans l'amertume de chaque cellule, dans le frissonnement des nerfs, dans ces prières à rebours qui exhalent la haine, partout où il fait, de l'horreur, son confort. Le laisserais-je saper mes heures, alors que je pourrais, complice méticuleux de ma destruction, vomir mes espoirs et me désister de moi-même ? Il partage - locataire assassin - ma couche, mes oublis et mes veilles ; pour le perdre, ma perte m'est nécessaire. Et quand on n'a qu'un corps et qu'une âme, l'un étant trop lourd et l'autre trop obscure, comment porter encore un supplément de poids et de ténèbres ? Comment traîner ses pas dans un temps noir ? Je rêve d'une minute dorée, hors du devenir, d'une minute ensoleillée, transcendance au tourment des organes et à la mélodie de leur décomposition.

Entendre les pleurs d'agonie et de joie du Mal qui s'entortille dans ces pensées, - et ne pas étrangler l'intrus ? Mais si eu le frappes, ce ne sera que par une complaisance inutile envers coi-même. Il est déjà ton pseudonyme ; eu ne saurais lui faire violence impunément. Pourquoi biaiser à l'approche du dernier acte ? Pourquoi ne pas t'attaquer à con propre nom ?

(Il serait entièrement faux de croire que la « révélation » démoniaque est une présence inséparable de notre durée ; - cependant, quand nous en sommes saisis, nous ne pouvons imaginer la quantité des instants neutres que nous avons vécus avant. Invoquer le diable, c'est colorer par un reste de théologie une excitation équivoque, que notre fierté refuse d'accepter comme telle. Mais à qui donc sont inconnues ces frayeurs, dans lesquelles on se trouve en face du Prince des Ténèbres ? Notre orgueil a besoin d'un nom, d'un grand nom pour baptiser une angoisse, qui serait pitoyable si elle n'émanait que de la physiologie. L'explication traditionnelle nous semble plus flatteuse; un résidu de métaphysique sied bien à l'esprit ...

C'est ainsi que - pour voiler notre mal trop immédiat - nous recourons à des entités élégantes, encore que désuètes. Comment admettre que nos vertiges les plus mystérieux ne procèdent que de malaises nerveux, alors qu'il nous suffit de penser au Démon en nous ou hors de nous, pour nous redresser aussitôt ? De nos ancêtres nous vient cette propension à objectiver nos maux intimes ; la mythologie a imprégné notre sang et la littérature a entretenu en nous le goût des effets ... )