palimpseste Bergson

Bergson

Né à Paris en 1859, d'un père polonais et d'une mère anglaise, Henri Bergson s'appuiera sur les auteurs anglo-saxons pour formuler ses premières critiques contre la métaphysique traditionnelle. Après de brillantes études, il entre à l'École normale supérieure en 1878. Agrégé de philosophie, il enseigne en lycée pendant seize ans puis obtient un poste de maître de conférences à la rue d'Ulm. En 1900, il entre au Collège de France, où il demeure jusqu'en 1921. Sa carrière universitaire s'assortit de fonctions politiques : il conduit quelques missions en Espagne et en Amérique pendant la Première Guerre mondiale. La fin de sa vie est assombrie par la maladie ainsi que par la défaite de 1940, et l'occupation qui la suit. Il meurt en 1941, comblé d'honneurs, membre de l'Académie française, ayant reçu, entre autres distinctions, un prix Nobel de littérature en 1928, et la Légion d'honneur.

Au tournant du siècle, la pensée bergsonienne unit les deux exigences de la philosophie française du XIXe siècle : le goût de l'introspection, et l'ouverture au monde et à la nature. Paradoxalement, Bergson est à la fois le philosophe du sens intime et celui de la biologie évolutionniste. C'est que l'évolutionnisme, chez lui, ne se cantonne pas à la biologie : il est spiritualiste, et il restaure une métaphysique conçue comme saisie progressive et intuitive de la vie de l'esprit, et ce, non seulement en nous, dans notre conscience, mais également hors de nous, dans toutes les formes d'existences.

D'emblée, le bergsonisme se caractérise par son horreur du vide, du manque, et du négatif.
Il se construit contre toutes les doctrines qui, tel le kantisme, postulent que nous ne pouvons connaître que des phénomènes, et non l'essence même du réel. Parallèlement, la pensée de Bergson rompt avec les spéculations plaçant la visée de notre connaissance au-delà du sensible, comme le fait la tradition platonicienne. C'est pourquoi Bergson fait davantage confiance à la science qu'à la philosophie pour analyser le concret.

Mais la science elle-même travaille sur un réel mathématisé et quantifié, sur un temps réduit au mouvement, et figé en formules abstraites. À ce temps mesurable et uniforme, Bergson oppose le flux vivant de notre propre durée qui n'est pas d'ordre quantitatif, mais qualitatif, à cette temporalité intérieure qui ne cesse de varier au gré de nos émotions. Nous avons de cette temporalité une expérience immédiate et intuitive, qui propose un type de connaissance tout autre que la mesure objective.

Toutefois, on aurait tort de croire que le bergsonisme se réduit à un simple psychologisme qui s'en tiendrait à distinguer la durée intérieure et le temps spatialisé de la physique. Dans l'Essai sur les données immédiates de la conscience, Bergson dépasse le moi superficiel, façonné par les habitudes du langage et de la vie sociale, pour découvrir un moi profond, une existence singulière au rythme personnel et inimitable.

Cette découverte est reprise dans Matière et Mémoire, par l'analyse des deux formes que peuvent recouvrir le souvenir : l'une, qui est automatique et anonyme, et l'autre, qui tisse l'histoire secrète de mon moi. Mais, dans des ouvrages ultérieurs, ce mouvement de la pensée, qui nous conduit de la surface de l'existence vers des couches plus authentiques de la personne, est appliqué aux choses extérieures. Habituellement, nous ne percevons les choses que comme des objets fixes, dotés de certaines propriétés. Nous ne les saisissons pour ainsi dire que par ce qu'elles ont d'utile, de mesurable, et de maniable. Mais c'est là voir les choses à travers le prisme de notre perception quotidienne, qui a pour fonction, non de connaître, mais de satisfaire aux exigences de notre vie pratique. Ainsi, de même qu'il y a un moi superficiel qui n'est pas le seul moi existant, il y a un monde superficiel qui est celui de l'homo faber, reconstruit par notre perception et nos habitudes, pour les besoins de l'action. Saisir l'essence du réel suppose donc une rupture avec nos façons quotidiennes de percevoir, de parler et de penser. Une telle conversion nous découvre le monde du vivant, où le temps n'est plus le temps inerte des montres et des horloges, mais une création perpétuelle de formes nouvelles par évolution de formes anciennes, jusqu'au seul être capable à son tour de création libre et d'invention : l'homme. Bergson nous offre une philosophie qui nous restitue la vitalité première du monde. Penser avec lui, c'est se rendre contemporain du surgissement des choses et de nous-mêmes.