Textes

G Bataille
Règles de l'inceste et interdit sexuel 
L'érotisme p 240

 

[...] Nous ne pouvons dire : « ceci » est obscène. L'obscénité est une relation. Il n'y a pas « de l'obscénité » comme il y a « du feu » ou « du sang », mais seulement comme il y a, par exemple, « outrage à la pudeur ». Ceci est obscène si cette personne le voit et le dit, ce n'est pas exactement un objet, mais une relation entre un objet et l'esprit d'une personne. En ce sens, nous pouvons définir des situations telles que des aspects donnés y soient, du moins y paraissent obscènes. Ces situations sont d'ailleurs instables, elles supposent toujours des éléments mal définis, ou si elles ont quelque stabilité, cela ne va pas sans arbitraire. De même, les accommodements avec les nécessités de la vie sont nombreux. L'inceste est l'une de ces situations, qui n'ont d'existence, arbitraire, que dans l'esprit des êtres humains.

Cette représentation est si nécessaire, si peu évitable, que si nous ne pouvions alléguer l'universalité de l'inceste, nous ne pourrions pas facilement montrer le caractère universel de l'interdit de l'obscénité. L'inceste est le témoignage premier de la connexion fondamentale entre l'homme et la négation de la sensualité, ou de l'animalité charnelle.

L'homme n'a jamais réussi à exclure la sexualité, sinon d'une manière superficielle ou par défaut de vigueur individuelle. Même les saints ont du moins les tentations. Nous n'y pouvons rien, sinon réserver des domaines où l'activité sexuelle ne puisse entrer. Ainsi y a-t-il des lieux, des circonstances, des personnes réservés : tous les aspects de la sexualité sont obscènes dans ces lieux, dans ces circonstances ou à l'égard de ces personnes. Ces aspects, comme les lieux, les circonstances et les personnes sont variables et toujours définis arbitrairement. Ainsi la nudité n'est pas en elle-même obscène : elle l'est devenue un peu partout, mais inégalement. C'est de la nudité que, du fait d'un glissement, parle la Genèse, liant au passage de l'animal à l'homme la naissance de la pudeur, qui n'est, en d'autres mots, que le sentiment de l'obscénité. Mais ce qui heurtait la pudeur au début même de notre siècle ne la heurte plus aujourd'hui, ou la heurte moins. La nudité relative des baigneuses est encore choquante sur les plages espagnoles, non sur les plages françaises : mais dans une ville, même en France, le costume de baigneuse dérange un certain nombre de gens. De même, incorrect à midi, un décolleté est correct le soir. Et la nudité la plus intime n'est pas obscène dans le cabinet d'un médecin.