Histoire et politique Journal 1954

 

Histoire et politique : l'histoire n'a jamais affaire aux hommes qui agissent , mais toujours exclusivement au modèle qui émerge à partir des actions de plusieurs, qui agissent sur, contre et à côté des autres. Le fait que du sein de cette confusion un événement compréhensible, c'est-à-dire un modèle, autrement dit un monde, apparaisse, qui redevient « histoire » pour les nouveaux venus, n'est pas plus surprenant que de pouvoir, comme le remarque Leibniz, deviner à partir de tous les points jetés au hasard sur le papier une figure mathématique calculable. Voir dans le sens de l'histoire, lequel ne doit jamais être déduit des actions projetées par les individus , l'index de la prévision - c'est-à-dire croire que la main de Dieu aurait été nécessaire pour diriger toutes choses de telle sorte qu'un sens plus compréhensible puisse en général jaillir - est tout aussi insensé que de vouloir conclure à partir de la figure leibnizienne que la main qui a jeté au hasard des points sur le papier aurait été inspirée ou guidée par un mathématicien. Cela démontre seulement que l'absurdité n'existe que là où l'on est extrêmement isolé - disons [en un] point, non pas sur une feuille de papier déterminée où son espace mathématique serait calculable, mais sur une feuille qui remplirait pour ainsi dire l'univers tout entier. Le monde est ainsi fait que le seul rapprochement et la simultanéité font déjà jaillir le sens. C'est en raison de ce caractère exemplaire que Leibniz affirmait que le monde est le meilleur des mondes : il est ainsi fait que l'absurdité n'y existe pas. Cela signifie bien sûr par ailleurs qu'il est tout à fait vrai que tout est possible.