SERMON CCLV
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 Abbaye Saint Benoît de Port-Valais
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SERMON CCLV. POUR LA SEMAINE DE PAQUES. XXVI. LE BONHEUR DU CIEL.

 

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ANALYSE. — Si pour nous consoler durant les fatigues du voyage nous chantons maintenant les louanges de Dieu, un jour viendra où, dans le ciel, nous n'aurons d'autre occupation que celle-là. En effet le bonheur du ciel est figuré, non par la vie active de Marthe, mais par la vie contemplative de Marie. Or, qu'est-ce que Dieu nous donnera une fois parvenus à cette vie ? Il se montre si bon envers ses ennemis mêmes et les animaux ; que ne donnera-t-il donc pas à ses amis ? Il les fera participer à son propre bonheur, il leur accordera un plein et éternel rassasiement. Aussi Notre-Seigneur disait-il à Marthe qu'on ne doit tendre qu'à cette félicité. Craindrait-on de ne trouver pas dans cette union avec Dieu la satisfaction de tous les désirs que l'on éprouve ? Comme les désirs d'un malade s'évanouissent quand il recouvre la santé, ainsi s'évanouiront dans la pleine santé du ciel toutes les vaines aspirations de la terre.

 

1. Le Seigneur ayant voulu que nous voyons votre charité pendant qu'on chante l'Alléluia, c'est de l'Alléluia que nous devons vous entretenir. Que je ne sois pas un importun, si je vous rappelle ce que vous connaissez: n'éprouvons-nous pas chaque jour du plaisir à répéter l'Alléluia ? Vous savez effectivement que dans notre langue Alléluia signifie Louez Dieu ; ainsi, en redisant ce mot avec l'accord sur les lèvres et dans le coeur, nous nous excitons mutuellement à louer le Seigneur. Ah ! il est le seul que nous puissions louer avec sécurité, puisqu'il n'y a rien en lui qui puisse nous déplaire. Sans doute, à cette époque où s'accomplit notre pèlerinage, nous chantons l'Alléluia pour nous consoler des fatigues de la route; c'est pour nous le chant du voyageur; mais en traversant nos laborieux sentiers, nous cherchons le repos de la patrie, et là, toute autre occupation cessant, nous n'aurons plus qu'à redire l'Alléluia.

2. C'est le doux lot qu'avait choisi Marie, lorsque dans son loisir elle s'instruisait et bénissait Dieu, tandis que Marthe, sa soeur, s'appliquait à tant de soins. A la vérité, ce qu'elle faisait était nécessaire, mais ne devait pas durer toujours. c'était bon pour la route et non pour la patrie, bon pour le temps du pèlerinage et non pour le temps du séjour. Elle donnait l'hospitalité au Seigneur et à ceux de sa suite; car le Seigneur avait un corps, et dans sa condescendance il voulait avoir faim et soif, comme il avait voulu s'incarner dans osa bonté; dans sa bonté encore il voulait que sa faim et sa soif fussent apaisées par ceux qu'il avait enrichis, et quand il recevait, ce n'était pas par besoin, c'était par bienveillance. Ainsi donc Marthe s'occupait de préparer ce que réclamaient la faim et la soif; elle pourvoyait, avec un pieux empressement, à ce que devaient manger et boire, dans sa maison, les saints et le Saint des saints lui-même (1). C'était là une belle oeuvre, mais une oeuvre passagère. Aura-t-on faim et soif toujours? Dès que nous serons intimement unis à cette pure et parfaite Bonté, nous n'aurons plus besoin d'aucun service; nous serons heureux, ne manquant de rien ; nous posséderons beaucoup, n'ayant rien à chercher. Et qu'aurons-nous, pour ne chercher rien? Je l'ai dit. Vous verrez alors ce que vous croyez maintenant. Mais comment posséderons-nous beaucoup sans avoir rien à chercher, sans manquer de quoi que ce soit? Qu'est-ce donc que nous aurons? Qu'est-ce que Dieu donnera à ceux qui le servent et qui l'adorent, qui croient en lui, qui espèrent en lui et qui l'aiment?

3. Nous voyons combien il donne durant cette vie à ceux mêmes qui se défient, qui se désespèrent, qui s'éloignent de lui et qui le blasphèment; de quels biens ne les comble-t-il pas? Il leur accorde d'abord la santé, bien si doux que nul ne le prend à dégoût jamais. Que manque-t-il au pauvre quand il en jouit? Que servent au riche tous ses trésors quand il ne l'a pas ? C'est de lui, c'est du Seigneur notre

 

1. Luc, X, 38-42.

 

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Dieu, du Dieu que nous adorons, du vrai Dieu à qui s'attachent notre foi, notre espérance et notre amour, c'est de lui que vient ce don précieux de la santé. Considérez avec soin que si précieux que soit ce don, il l'accorde aux Gons et aux méchants, à ceux qui le blasphèment et à ceux qui le louent. Pourquoi néanmoins s'en étonner autant? Les uns et les autres, après tout, ne sont-ils pas des hommes? Or, si méchant que soit un homme, il vaut mieux encore que tous les animaux. Eh bien ! aux animaux encore, aux bêtes de somme et aux dragons, aux mouches mêmes et aux vermisseaux Dieu donne la santé ; il la donne à tout ce qu'il a créé.

Ainsi donc, sans parler d'autres bienfaits, et comme nous n'en trouvons point de supérieurs icelui-là, Dieu donne la santé, non-seulement aux hommes, mais aux troupeaux mêmes, comme il est dit dans ces paroles d'un psaume: « Aux hommes et aux animaux, Seigneur, vous rassurerez la santé, en proportion de l'étendue immense de votre miséricorde, ô mon dieu ». Comme vous êtes Dieu, votre bonté ne saurait rester en haut sans descendre en bas; elle va des anges aux derniers et aux plus petits des animaux. En effet la Sagesse atteint avec force d'une extrémité à l'autre, et elle dispose tout avec douceur (1). Or, c'est en disposant ainsi tout avec douceur, qu'elle donne à tous le doux bienfait de la santé.

4. Si Dieu fait à tous, aux bons et aux méchants, aux hommes et aux animaux, ce don si précieux, que ne réserve-t-il pas, mes frères, à ses serviteurs fidèles? Aussi, après avoir dit: « Aux hommes et aux animaux, Seigneur, vous assurerez la santé , d'après l'étendue immense de votre miséricorde », l'écrivain sacré ajoute : « Mais les enfants des hommes (2)». Que signifient ces expressions? Entre les hommes dont il vient de dire: « Aux hommes et aux animaux vous assurerez la santé », et les enfants des hommes, y aurait-il une différence? Les hommes ne sont-ils pas des enfants des hommes, et les enfants des hommes ne sont-ils pas des hommes? Pourquoi ces termes différents? Ne serait-ce pas pour faire entendre que ces hommes sont du parti de l'homme, et que les enfants des hommes sont du parti du Fils de l'homme; oui, que les hommes sont unis à l’homme, et au Fils de l'homme les

 

1. Sag. VIII, 1. — 2. Ps. XXXV, 7, 8.

 

enfants des hommes ? N'y a-t-il pas un homme qui n'est point fils de l'homme ? Le premier homme, en effet, ne doit sa naissance à aucun homme. Eh bien ! qu'avons-nous reçu de cet homme et qu'avons-nous reçu du Fils de l'homme?

Pour rappeler ce que nous devons à l’homme, je cite les termes de l'Apôtre «Par un homme, dit-il, le péché est entré dans le monde, et par le péché, la mort; ainsi la mort a passé à tous les hommes, « par celui en qui tous ont péché (1) ». Voilà le breuvage que nous a présenté le premier homme, voilà ce que nous a fait boire notre père, et ce qu'il nous est si difficile de digérer. Si c'est là ce que nous devons à l'homme, que devons-nous au Fils de l'homme? Dieu « n'a pas épargné son propre Fils », est-il dit. S'il « n'a pas épargné son propre Fils, s'il l'a livré pour nous tous, est-il possible qu'il ne nous donne pas toutes choses avec lui (2) » ? Il est dit encore : « De même que par la désobéissance d'un seul homme beaucoup ont été constitués pécheurs, ainsi beaucoup sont constitués justes par l'obéissance d'un seul (3) ». Donc à Adam nous devons le péché, et la justice au Christ; et c'est ainsi que tous les pécheurs sont unis à l'homme, et au Fils de l'homme tous les justes.

Pourquoi maintenant vous étonner que ces pécheurs, que ces impies, que ces injustes, que ces blasphémateurs de Dieu, que ces hommes qui se détournent de lui, qui aiment le siècle, qui prennent parti pour l'iniquité, qui haïssent la vérité, en d'autres termes que ces hommes qui imitent l'homme; pourquoi vous étonner qu'ils jouissent de la santé , quand vous savez qu'il est dit dans le psaume « Aux hommes et aux animaux vous assurerez « la santé, Seigneur? » Ah ! que ces hommes ne soient pas fiers de cette santé temporelle, puisque les animaux l'ont comme eux ! Eh ! pourquoi feu glorifier, mon ami? N'est-ce pas un bien que tu partages avec ton âne, avec ta poule, avec tout autre animal domestique , avec ces passereaux mêmes? N'est-ce pas avec tous ces animaux que t'est commune cette santé du corps?

5. Cherche donc quelle promesse est faite aux enfants des hommes; écoute ce qui suit « Mais les enfants des hommes espéreront à

 

1. Rom. V, 12. — 2. Ib. VIII, 32. — 3. Ib. V, 19.

 

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l'ombre de vos ailes ». Ils espéreront tant qu'ils seront voyageurs. « Les enfants des hommes espéreront à l'ombre de vos ailes. —  Car c'est en espérance que nous sommes sauvés (1) ».  Ce ne sont ni les hommes ni les animaux qui peuvent espérer de la :orle à l'ombre des ailes de Dieu. Or, cette espérance nous allaite en quelque sorte, elle nous nourrit, nous fortifie et nous soulage durant cette vie laborieuse; c'est elle qui nous fait chanter l'Alleluia. De quelle joie elle est la source? Que ne sera donc pas la réalité? Tu veux le savoir? Ecoute ce qui suit : « Ils seront enivrés de l'abondance de votre maison (2) ». C'est là notre espoir. Nous avons faim et soif, nous avons besoin d'être rassasiés; mais la faim nous suivra durant tout le voyage, dans la patrie seulement nous serons rassasiés. Comment le serons-nous ? « Je serai rassasié lorsque se manifestera votre gloire (3) ». Aujourd'hui est voilée la gloire de notre Dieu, la gloire de notre Christ, et la nôtre est cachée avec la sienne; mais « lorsqu'apparaîtra le Christ, votre vie, vous aussi vous apparaîtrez avec lui dans la gloire (4) ». Ce sera l'Alleluia dans la réalité, au lieu que nous ne l'avons maintenant qu'en espérance. Cette espérance chante maintenant la réalité, l'amour la chante aussi et la chantera plus tard; mais c'est aujourd'hui un amour affamé, tandis que ce sera alors l'amour rassasié. En effet, mes frères, que signifie le mot Alleluia ? Je l'ai déjà fait observer, il signifie Louange à Dieu. Quand aujourd'hui vous entendez ce mot, vous y trouvez plaisir, et le plaisir fait éclater la louange sur vos lèvres. Ah ! si vous aimez tant une goutte d'eau , comment n'aimerez-vous pas la source même? Comme le bien-être corporel vient de l'appétit satisfait, ainsi jaillit la louange quand le coeur est content. Si nous louons ce que nous croyons, comment ne louerons-nous pas quand nous verrons?

Tel est le sort que Marie avait choisi; mais elle donnait seulement une idée de cette vie céleste, elle ne la possédait pas encore.

6. Il y a deux vies: l'une regarde les jouissances de l’esprit et l'autre s'occupe des besoins du corps. Celle-ci est une vie de travail, l'autre une vie de délices. Mais rentre en toi-même, ne cherche pas le plaisir au dehors;

 

1. Rom. VIII, 24. — 2. Ps. XXXV, 7, 9. — 3. Ps. XVI, 15. — 4. Colos. III, 4.

 

prends garde aussi de t'enfler d'orgueil et de ne pouvoir entrer par la porte étroite. Considère comment Marie voyait le Seigneur dans son corps et comment, en l'entendant ainsi, elle le voyait en quelque sorte à travers ut voile, ainsi que le disait l'épître aux Hébreux qu'on vient de lire (1). Mais il n'y aura plus de voile quand nous le contemplerons face à face. Marie donc était assise, c'est-à-dire en repos; de plus elle écoutait et louait le Seigneur, tandis que Marthe s'appliquait à des soins nombreux. Le Seigneur lui dit alors : « Marthe, Marthe, tu t'occupes de bien des choses; mais il n'en est qu'une de nécessaire (2) ». Non, il n'y en aura qu'une; les autres ne le seront pas. Mais avant de parvenir à cette uni. que, de combien d'autres n'avons-nous pas besoin maintenant? Que cette unique toute fois nous entraîne, pour que les autres ne nous en séparent pas en nous attirant à elles. L'Apôtre saint Paul disait de cette unique qu'il n'y était point parvenu encore. « Je ne crois pas l'avoir atteinte, dit-il; mais oubliant pour cette unique ce qui est en arrière et m'étendant vers ce qui est en avant ». Il ne se dissipe pas, il s'étend; aussi bien le but unique attire à lui, il ne divise pas; c'est la pluralité qui divise, c'est l'unité qui attire. Pendant combien de temps ce but unique nous attire-t-il? Durant toute notre vie; car une fois que nous l'aurons atteint, il ne nous attirera plus, il nous tiendra. « Oubliant donc, pour ce but unique, ce qui est en arrière et m'étendant vers ce qui est en avant ». Voilà bien l'Apôtre qui s'élance sans se répandre. « Je tends au terme, à la palme que me présente la vocation céleste de Dieu par le Christ Jésus (3) » . Le texte signifie réellement tendance vers le but unique : unum sequor. Nous finirons donc par arriver et par jouir de l'unique nécessaire; mais cet unique sera tout pour nous.

Que disions-nous, mes frères, en commençant cet entretien ? Nous demandions ce que nous posséderons de si précieux pour n'avoir plus aucun besoin; nous voulions connaître ce bien incomparable. Il s'agissait donc de savoir ce que Dieu nous donnera, ce qu'il ne donnera pas aux autres. « Que l'impie disparaisse, pour qu'il ne voie point la gloire de Dieu (4) ». Dieu donc nous donnera sa gloire

 

1. Héb. X, 20. — 2. Luc, X, 38, 42. —3. Philip. III, 13,14. — 4. Isaïe, XXVI, 10.

 

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pour que nous en jouissions; et c'est pour ne pas la contempler que sera emporté l'impie. Dieu sera ainsi tout ce que nous posséderons. Avare, que voulais-tu de lui ? Que demander à Dieu, quand Dieu ne suffit pas ?

7. Ainsi donc nous posséderons Dieu et nous nous contenterons de lui, nous trouverons en lui seul tant de délices que nous ne chercherons rien au delà. C'est de lui que nous jouirons en lui, de lui encore que nous jouirons en nous réciproquement. Eh ! que sommes-nous sans Dieu ? Devons-nous aimer en nous autre chose que Dieu, soit pour l'y adorer, soit pour l'y attirer ? Mais en apprenant que nous serons dépouillés de tout le reste et que nous ne jouirons que de Dieu, l'âme se resserre en quelque sorte, habituée quelle est à trouver des jouissances dans tant d'objets; âme charnelle, âme attachée à la chair, âme enveloppée dans des désirs charnels, âme dont les ailes sont prises à la glu des passions coupables et qui ne peut s'élever vers Dieu, elle se dit : Eh ! qu'aurai-je encore lorsque je ne mangerai ni ne boirai plus, lorsque je serai éloigné de mon épouse? Quelle joie me restera-t-il ? — Ah ! cette sorte de joie vient de la maladie et non de la santé. Dis-moi, n'es-tu pas maintenant quelquefois malade de corps et quelquefois bien portant? Redoublez d'attention, afin que je puisse vous faire comprendre par un exemple une vérité que je ne puis expliquer autrement.

Les malades ont des désirs particuliers; ils soupirent ou après l'eau de telle fontaine, ou après le fruit de tel arbre et ils s'imaginent dans l'ardeur qui les tourmente, combien ils seraient heureux, s'ils étaient guéris, de contenter l'appétit qu'ils éprouvent. La santé revient, plus de ces désirs; ce qu'on convoitait n'inspire plus que dégoût; c'est que le désir n'était excité que par la fièvre. Quelle est pourtant cette santé qui n'empêche pas l'âme d'être convalescente et malade? Qu'est-ce que cette santé dont jouissent ceux qu'on dit se bien porter? Elle servira toutefois à nous instruire.

Cette santé, avons-nous dit, fait disparaître bien des désirs que nourrissaient les malades; de la même manière l'immortalité les anéantit tous, car l'immortalité même sera alors notre santé. Rappelez-vous l'Apôtre, considérez ce qu'il annonce : « Il faut, dit-il, que corruptible ce corps se revête d'incorruptibilité, et que mortel il se revête d'immortalité (1) ». Nous serons alors égaux aux anges. Mais les anges sont-ils malheureux de ne pas manger? Ne sont-ils pas plus heureux pour n'avoir pas cette sorte de besoin? Quel riche sera jamais comparable aux anges? Les anges sont les vrais riches. Qu'appelle-t-on richesses? Les richesses sont des ressources. Or les anges ont d'immenses ressources puisqu'ils ont des facilités immenses. Quand on fait l'éloge d'un riche, on dit de lui : Qu'il est heureux ! c'est un seigneur, c'est un homme riche, c'est un homme puissant. Qu'il est heureux pour aller où il veut ! Combien de montures, d'équipages, de serviteurs, d'esclaves! Ce riche possède tout cela, et sans fatigue il va où il veut. L'ange aussi ne va-t-il pas où il veut, et sans dire : Attèle, arrête, comme ces opulents du siècle qui s'enorgueillissent de pouvoir répéter ces mots? Malheureux que tu es, ce langage est l'indice de ta faiblesse et non de ta puissance.

Nous donc nous n'aurons besoin de rien, et c'est ce qui sera notre bonheur. Nous serons pleinement satisfaits, mais de notre Dieu, et il nous tiendra lieu de tout ce que nous convoitons ici avec tant d'ardeur. Tu soupires après la nourriture? Dieu sera ta nourriture. Après des embrassements charnels? « Mon bonheur est de m'unir à Dieu (2) » . Après des richesses? Comment ne posséderais-tu pas tout, puisque tu jouiras de Celui qui a fait tout? Pour te rassurer enfin par les paroles mêmes de l'Apôtre, c'est lui qui a dit de cette vie que « Dieu y est tout en tous (3) ».

 

1. I Cor. XV, 53. — 2. Ps. LXXII, 28. — 3. I Cor. XV, 28.

 

 

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