Textes

Investiture de M. le président du Conseil, désigné

Assemblée nationale - séance du jeudi 17 juin 1954


M. le président. La parole est à M. le président du conseil désigné pour soumettre à l'Assemblée nationale, conformément à l’article 45 de la Constitution, le programme et la politique du cabinet qu’il se propose de constituer.

M. Pierre Mendès-France, président du conseil désigné. Messieurs, je me présente devant vous, investi par M. le Président de la République de la même mission qu'il y a un an, presque exactement.

Je vous proposais alors une politique de redressement de rénovation nationale et je vous disais qu'elle constituait un bloc dont on ne pouvait accepter une partie et refuser l’autre sans rendre le tout inefficace. 301 d'entre vous ont approuvé cette politique dans son ensemble, mais 205 se sont abstenus, signifiant par là, me semble-t-il, que s’ils étaient d'accord avec moi sur un grand nombre de points, en revanche ils ne pouvaient me donner leur pleine adhésion sur d'autres.

Si leurs voix m'ont manqué, ce n’est pas en raison de la sévérité d'un programme économique qui assignait à la nation de grands objectifs, sans dissimuler les difficultés du chemin qui y conduit, ce n'est point parce qu’ils répugnaient à saisir une voie ardue. C’est parce qu’un problème nous divisait alors : celui de l’Indochine.

Je m’adresse à ceux qui se sont abstenus voici un an. Les évènements qui sont survenus depuis ont dû rapprocher nos points de vue. Et aujourd’hui, il me semble que nous pouvons être réunis dans une volonté de paix qui traduit l’aspiration du pays.

C’est solidairement aussi que nous sommes engagés dans une négociation. Mon devoir est de vous dire dans quel état d’esprit je l’aborderai, si vous m’en chargez.

Depuis plusieurs années déjà, une paix de compromis, une paix négociée avec l’adversaire me semblait commandée par les faits, tandis qu’elle commandait, à son tour, la remise en ordre de nos finances, le redressement de notre économie et son expansion. Car cette guerre plaçait sur notre pays un insupportable fardeau.

Et voici qu’apparaît aujourd’hui une nouvelle et redoutable menace : si le conflit d’Indochine n’est pas réglé – et réglé très vite – c’est le risque de la guerre, de la guerre internationale et peut-être atomique, qu’il faut envisager.

C'est parce que je voulais une paix meilleure que je la voulais plus tôt, quand nous disposions de plus d’atouts. Mais maintenant encore, il y a des renoncements ou des abandons que la situation ne comporte pas. La France n'a pas à accepter et elle n’acceptera pas des conditions de règlement qui seraient incompatibles avec ses intérêts les plus vitaux. (Applaudissements sur certains bancs à gauche et à l’extrême droite.) La France restera présente en Extrême-Orient. Ni nos alliés, ni nos adversaires ne doivent conserver le moindre doute sur le sens de notre détermination.

Une négociation est engagée à Genève, en liaison avec nos alliés et avec les États associés. Le Gouvernement que je constituerai, si vous en décidez ainsi, la poursuivra, animé par une volonté constante de paix, mais également décidé, pour sauvegarder nos intérêts et parvenir à une conclusion honorable à faire sentir le poids des atouts que la France possède toujours : l'implantation de nos forces matérielles et morales dans des territoires étendus ; l'intérêt de nos alliés et leur appui ; et enfin la valeur et l'héroïsme de nos soldats qui sont l’élément essentiel sur lequel la France compte avant tout ; je le dis bien haut en leur rendant un hommage solennel par l’évocation de la gloire douloureuse de Dien Bien Phu et de tant de sacrifices consentis dans d’obscurs comme dans d’illustres combats. (Applaudissements à gauche, au centre, à droite et à l’extrême droite.)

C'est pourquoi la sécurité du corps expéditionnaire ainsi que le maintien de sa force est un devoir impérieux auquel ni le Gouvernement ni le Parlement ne failliront.

C’est pourquoi aucune mesure ne sera négligée qui s’avérerait nécessaire à cette fin.

C'est pourquoi enfin celui qui est devant vous, et dont le sentiment sur le problème de l'Indochine n'a pas varié, fait appel, pour le soutenir, à une majorité constituée par des hommes qui n'ont jamais directement ou indirectement épousé la cause de ceux qui nous combattent, d'hommes qui, en conséquence, peuvent revendiquer la confiance de nos soldats et négocier en toute indépendance avec l'adversaire. (Applaudissements sur de nombreux bancs à gauche et sur quelques bancs du centre, à droite et à l'extrême droite.)

J'ai étudié le dossier longuement et avec gravité. J'ai consulté les experts militaires et diplomatiques les plus qualifiés. Ma conviction en a été confirmée qu'un règlement pacifique du conflit est possible.

Il faut donc que le « cessez-le-feu » intervienne rapidement. Le gouvernement que je constituerai se fixera – et il fixera à nos adversaires – un délai de quatre semaines pour y parvenir. Nous sommes aujourd'hui le 17 juin. Je me présenterai devant vous avant le 20 juillet et je vous rendrai compte des résultats obtenus. Si aucune solution satisfaisante n'a pu aboutir à cette date, vous serez libérés du contrat qui nous aura liés et mon gouvernement remettra sa démission à M. le Président de la République. (Applaudissements sur de nombreux bancs à gauche et à l'extrême droite et sur quelques bancs à droite.)

Il va de soi que, dans l'intervalle – je veux dire dès demain – seront prises toutes les mesures militaires nécessaires aussi bien pour faire face aux besoins immédiats que pour mettre le gouvernement qui succéderait au mien, en état de poursuivre le combat si, par malheur, il avait à le faire. Au cas où certaines de ces mesures exigeraient une décision parlementaire, elles vous seraient proposées. Mon objectif est donc la paix.

Sur le plan international, c'est en toute clarté que la France recherchera la paix.

Et je sollicite votre confiance, dans ce seul but, pour une mission sacrée qui nous est dictée par le vœu ardent de la nation tout entière.

Mesdames, messieurs, c'est dans cette perspective, ce but une fois atteint dans le délai prévu, que je me place maintenant afin de vous indiquer succinctement les étapes suivantes que mon gouvernement fixera pour son action.

Action sur l'économie d'abord. Le 20 juillet au plus tard, je vous soumettrai un programme cohérent de redressement et d’expansion destiné à assurer progressivement le relèvement des conditions de vie et l'indépendance économique du pays, le développement de notre agriculture par une politique coordonnée de la production et des débouchés, un effort accru dans l'ordre du logement et des habitations à loyer modéré. Ce plan élargira et amplifiera tout à la fois les objectifs du plan de 18 mois amorcé par le précédent gouvernement et les moyens destinés à assurer son succès.

Les propositions détaillées qui vous seront alors soumises constitueront la base d'un nouveau contrat en vertu duquel mon gouvernement disposera des pouvoirs nécessaires pour réaliser ses objectifs économiques dans le minimum de temps.

Les grandes lignes et les principes directeurs dont nous nous inspirerons, vous les connaissez d’ailleurs déjà ; je les ai décrits à cette tribune, voici un an. Qu’il me suffise de rappeler qu’une politique active de progrès économique et social est inséparable d’une politique de rigueur financière, comme le prouve l'exemple des pays d'Europe qui ont relevé au rythme le plus rapide le niveau de vie de leur peuple. C'est dans le respect de ce principe que seront appliqués les moyens de l'expansion, c'est-à-dire l'utilisation maximum, aux fins les plus productives, des ressources nationales, le plein emploi qui écarte des travailleurs la menace du chômage, qui leur assure la sécurité dans le présent et le mieux-être dans l'avenir, la large réforme fiscale dont le Parlement a déjà voté le principe et que le gouvernement pourrait être chargé de parachever par décrets.

Notre but est de refaire de la France une nation forte et prospère dont le progrès soit une promesse de justice et de bonheur à sa jeunesse impatiente.

Ce que je viens de dire s'applique, cela va de soi, aussi bien à la France métropolitaine qu'aux départements et aux territoires d'outre-mer ; dans nos deuils et nos douleurs leurs populations n'ont jamais marchandé leur fidélité ; elles sont en droit aujourd'hui de prétendre à un effort accru de solidarité de la part de la métropole. (Applaudissements sur certains bancs a gauche et sur quelques bancs à l'extrême droite.)

Telle est, mesdames, messieurs, la seconde partie du plan d’action que se fixera le gouvernement que je me propose de constituer.

La paix en Indochine étant rétablie et les décisions essentielles pour le redressement de notre économie étant prises, la France devra se prononcer avec clarté sur la politique qu'elle entend suivre à l'égard d'un problème capital et longtemps différé : celui de l'Europe. Vis-à-vis de ses amis comme vis-à-vis d'elle-même, la France ne peut plus prolonger une équivoque qui porte atteinte à l'alliance occidentale. (Applaudissements sur certains bancs à gauche et sur quelques bancs au centre.)

Or, cette alliance à laquelle la France appartient en vertu d'une vocation découlant de la géographie et de l'histoire, il suffit qu'elle semble compromise pour que les pires dangers se profilent à l'horizon.

Pour lui conserver sa pleine efficacité, c'est notre devoir de la pratiquer dans un esprit de réalisme qui est aussi un esprit de loyauté. Notre règle sera de ne jamais faire de promesses que nous ne sachions pouvoir tenir, mais de tenir coûte que coûte celles que nous ferons.

La Communauté européenne de défense nous met en présence d'un des plus graves cas de conscience qui ait jamais troublé le pays. C'est un spectacle affligeant – et auquel nous ne pouvons pas nous résigner – de voir les Français profondément divisés sur une question aussi intimement liée à la sensibilité nationale. Mais n'est-il pas possible de poser avec objectivité un problème dont des facteurs affectifs obscurcissent trop souvent les données réelles ?

L'une de ces données est la nécessité d'un réarmement occidental imposé par la situation internationale et qui a conduit à envisager –.perspective cruelle pour tous les Français – les conditions de la participation de l'Allemagne à une organisation commune de défense.

Que la nation soit déchirée, dans un pareil moment, par la controverse passionnée qui s'est élevée sur les formes, les modalités et les institutions de cette communauté défensive, que, depuis des mois, notre pays retentisse d'une grande et douloureuse querelle et que cette querelle risque de se prolonger pendant des années encore, voilà ce à quoi un patriote ne peut consentir, voilà ce à quoi nous avons tous le devoir de mettre un terme, au nom de l'unité nationale elle-même. (Applaudissements sur certains bancs à gauche.)

Je m'adresse aux adversaires comme aux partisans de la Communauté européenne de défense pour qu'ils renoncent aux intransigeances qui, en fin de compte, ne peuvent avoir d'autre effet que d'affaiblir durablement le moral du pays et l'armature de sa défense.

Je ne peux pas croire que des hommes d'égale bonne foi entre lesquels existe sur l'essentiel un accord assez large, ne puissent se rapprocher, se réconcilier, même s'il leur est demandé, de part et d'autre, des efforts qui leur paraissent, aujourd'hui encore, difficiles.

Le gouvernement que je voudrais constituer, organisera cette confrontation nécessaire, ce rapprochement que veut le pays. Il mettra en présence des hommes, des patriotes de bonne volonté et il leur demandera, pendant le bref délai durant lequel notre action sera consacrée en priorité au règlement du conflit d'Indochine, de jeter les bases d'un accord qui sera aussitôt soumis au Parlement. Et si ces consultations devaient se révéler infructueuses, c'est le gouvernement lui-même qui prendrait ses responsabilités.

Il s'agit, je l'ai dit, de définir les conditions qui, tenant compte des aspirations et des scrupules du pays, nous permettent de créer le large assentiment national qui est indispensable à tout projet de défense européenne.

De toutes manières, l'Assemblée sera saisie, avant les vacances parlementaires, de propositions précises dans ce but.

Nos alliés sauront ainsi, et dès maintenant, que, dans un délai rapproché, ils auront, de la part de la France, la réponse claire et constructive qu'ils sont, depuis longtemps, en droit d'attendre d'elle.

Et le pays, aujourd'hui divisé, vous sera reconnaissant de lui avoir donné un exemple de sagesse et d'union, et d'avoir su dominer, dans une heure grave, des divergences, même profondes, dans un haut esprit de patriotisme et dans le but de sauvegarder l'intérêt suprême de la nation.

L'accomplissement des tâches qui viennent d'être énumérées doit aller de pair avec le rétablissement de la concorde et de la sécurité dans ces deux pays d'Afrique du Nord qu'endeuillent, en ce moment même, le fanatisme et le terrorisme. Le Maroc et la Tunisie auxquels la France a ouvert les voies du progrès économique, social et politique, ne doivent pas devenir, sur les flancs de nos départements algériens, des foyers d'insécurité et d'agitation ; cela, je ne l'admettrai jamais.

Mais j'ajoute avec la même netteté que je ne tolérerai pas non plus d'hésitations ou de réticences dans la réalisation des promesses que nous avons faites à des populations qui ont eu foi en nous.

Nous leur avons promis de les mettre en état de gérer elles-mêmes leurs propres affaires. Nous tiendrons cette promesse et nous sommes prêts dans cette perspective à reprendre des dialogues, malheureusement interrompus.

Je suis sûr, en effet, qu'il est possible de concilier l'existence de structures communes au sein de l'Union française avec l'exercice constamment perfectionné des institutions propres à chacun de ces deux pays. Mesdames, messieurs, je me résume.

Le plan d'action de mon gouvernement comportera trois étapes :

1° Avant le 20 juillet, il s'efforcera d'obtenir un règlement du conflit d'Indochine ;

2° A ce moment au plus tard, il vous soumettra un programme cohérent et détaillé de redressement économique et demandera des pouvoirs nécessaires pour le réaliser ;

3° Enfin, et toujours avant les vacances parlementaires, il vous soumettra des propositions qui vous mettront en état de prendre vos décisions, sans nouveaux délais, sur notre politique européenne.

Il est entendu - encore une fois - que si, à l'une de ces étapes successives, je n'ai pas réussi à atteindre l'objectif fixe, mon gouvernement remettra sa démission à M. le Président de la République.

Aujourd'hui, je ne demande donc la confiance de l'Assemblée que pour un premier délai de quatre semaines qui seront consacrées à mon premier objectif: le « cessez-le-feu » indochinois

Je vous demande une réponse claire.

Si elle est affirmative, elle implique que, durant une période qui sera brève, mais combien chargée pour le chef du gouvernement, l'Assemblée s'efforcera de ne pas alourdir sa tâche et qu'elle renoncera volontairement, pendant ce court délai, à détourner son attention, qui sera concentrée sur ses responsabilités dans une négociation décisive.

Mesdames, messieurs, je vous offre un contrat. Chacun de vous pèsera en conscience les sacrifices que je lui demande, mais aussi les chances que je peux apporter au pays. Si vous estimez – après des débats au cours desquels je comprendrai vos scrupules – que je puis être utile, que je puis contribuer au rétablissement de la paix à laquelle tout le pays aspire, si vous croyez que mon programme est conforme à l'intérêt national, vous devrez m'accordez votre appui et, plus encore, m'aider dans l'accomplissement de ma tâche. Comment refuseriez-vous de contribuer activement à la réalisation d'objectifs que, par votre vote, vous auriez reconnus vitaux et urgents ?

Mais le gouvernement sera ce que seront ses membres. Je ferai appel, si vous me chargez de le constituer, à des hommes capables de servir, à des hommes de caractère, de volonté et de foi. Je le ferai sans aucune préoccupation de dosage. Je ne m'interdis même pas – tant est vif mon désir de constituer la plus large union nationale – de demander éventuellement leur concours à des députés qui, pour des raisons respectables, n'auraient pas cru pouvoir, en première instance, m'accorder leur suffrage. (Mouvements divers. – Applaudissements sur certains bancs à gauche et sur quelques bancs au centre, à droite et à l’extrême droite.)

Il n'y aura pas de ces négociations interminables que nous avons connues ; je n'admettrai ni exigences ni vetos. Le choix des ministres, en vertu de la Constitution, appartient au président du conseil investi, et à lui seul. Je ne suis pas disposé à transiger sur les droits que vous m'auriez donnés par votre rôle d'investiture. (Applaudissements sur de nombreux bancs à gauche, à droite et à l'extrême droite et sur plusieurs bancs au centre.)

Mesdames, messieurs, on m'a accusé parfois de pessimisme comme si je goûtais quelque sombre plaisir à prédire les catastrophes et à prêcher les pénitences. La sévérité de mes jugements ne reposait, en réalité, que sur un profond optimisme à l'égard des moyens de la France et des chances qui lui sont offertes. C'est parce que nous pouvons nous redresser en prenant appui sur les réalités que j'ai dénoncé les illusions.

Les difficultés et les périls ont rendu aujourd'hui chacun plus conscient des efforts à fournir ; c'est pourquoi, plus encore qu'hier, je crois à la renaissance nationale, vigoureuse et rapide.

Elle exige avant tout le rétablissement de la paix.

J'ai pleinement le sentiment des responsabilités qui m'incomberont dans une négociation, sans aucun doute difficile et ingrate. Mais je serai soutenu par la conscience des grands intérêts dont vous m'aurez chargé. Et j'aurai aussi présents à l'esprit le sacrifice des combattants, la souffrance et l'angoisse des familles, le sort des prisonniers.

Pour l'homme qui est devant vous, ce sera un émouvant honneur d'avoir contribué à tirer le pays d'une ornière sanglante ; et, pour vous, représentants du peuple, ce sera le plus beau titre d'avoir rendu à la France l'inappréciable bienfait de la paix. (Applaudissements à gauche, sur de nombreux bancs à l'extrême droite et sur divers bancs à droite.)

M. Charles Lussy. Nous demandons une suspension de séance.

M. le président. De quelle durée ?

M. Charles Lussy. D'une heure.

M. le président. Je suis saisi d'une demande de suspension de séance d'une heure.

Il n'y a pas d'opposition ?... La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à quinze heures trente-cinq minutes, est reprise à dix-sept heures.)

M. le président. La séance est reprise.

Sur la déclaration de M. le président du conseil désigné, la parole est à M. de Benouville.

M. Pierre de Benouville. M. le président du conseil désigné a fait savoir à l'Assemblée nationale que, lorsque viendra le moment du vote, il ne comptera pas, dans lés voix qui se porteront sur son nom, les voix communistes.

Si l'Assemblée nationale approuve ce procédé, elle doit constater que, lorsqu'elle a renversé Je gouvernement de M. Laniel, celui-ci .avait, en vérité, une majorité de 87 voix. (Sourires.)

Permettez-moi, monsieur le président du conseil désigné, laissant de coté cette question qui n'est pas négligeable, d'en venir tout de suite à la question qui me préoccupe le plus, celle de l'Indochine.

Je n'oublie pas à qui je parle et ce n'est pas tant de vous que je doute, monsieur le président du conseil désigné, que du système dans lequel vous vous êtes enfermé à mesure que vous avez édifié, à l'intérieur de l'opposition, un corps de doctrine sur la question d'Extrême-Orient.

Je vous rappelle que, le 22 novembre 1950, à cette tribune, vous vous êtes prononcé contre l'accroissement de l'effort militaire. Vous contestiez alors que pût exister une armée vietnamienne de 150 000 hommes. Vous avez nié qu'il fût possible de trouver les crédits nécessaires pour que la guerre fût menée dans des conditions telles que la conséquence des batailles engagées fût autre que la défaite.

Vous disiez aussi et sur un ton de reproche, dans ce même discours : « On parle de défendre indéfiniment le delta tonkinois... », « ce delta n'est pas défendable ». « II faut choisir » ajoutiez-vous.

Mais votre choix était fait. Vous vous prononciez pour la négociation. Vous déclariez, en propres termes: « Le virement, au profit de la défense métropolitaine, des dépenses faites à 12 000 kilomètres doit être effectué. »

A cette époque, où un effort réel eut été très payant, vous demandiez une négociation immédiate et vous citiez en exemple à l'Assemblée le comportement que l'Angleterre avait eu aux Indes et que les Pays-Bas avaient eu en Indonésie.

Chacun d'entre nous sait ce que le renoncement de nos alliés anglais et hollandais dans ces deux parties de l'Asie a, en fait, coûté au monde libre.

Vous alliez, à cette époque, monsieur le président du conseil désigné, jusqu'à proposer la neutralisation de l'Indochine et vous disiez qu'on pourrait lui octroyer un statut comparable à celui de la Suisse. Il s'agissait, vous m'entendez bien, messieurs, de donner un statut de neutralité à l'Indochine, dans une Asie en feu ! Cela ne m'a pas semblé, ni à l'époque, ni, à l'examen, aujourd'hui, très réaliste.

Le 22 novembre 1950, toujours à cette tribune, vous déclariez : « Ne vous laissez pas engager plus avant dans le guêpier d'Extrême-Orient ; n'y engloutissez plus de moyens et de vies humaines. »

Or, en fait – et je répète, une fois encore, ce que j'ai dit l'autre jour au cours du débat qui devait provoquer la chute du gouvernement précédent – si la bataille n'a pas été gagnée en Indochine, c'est d'abord qu'elle n'a pas été livrée avec les moyens de la victoire et ceux qui comme vous ont limité les moyens militaires seraient mal venus de dire aujourd'hui qu'ils n'ont pas de responsabilités dans la situation actuelle.

Non seulement vous étiez depuis longtemps pour la négociation, mais encore, le 31 décembre 1951, citant M. Ramadier et M. Daladier, vous définissiez une doctrine: la reconstruction, l'armement et la guerre en Indochine, ne peuvent – diriez-vous – être menés de front. Dans, cet esprit, vous avez, avec acharnement, préconisé la réduction de nos dépenses militaires et, à plusieurs reprises, vous avez nettement désapprouvé les dépenses faites en Extrême-Orient pour y maintenir notre position.

Ainsi et avec persistance, vous avez nié, monsieur le président du conseil désigné, que le combat que nous faisons soutenir par nos soldats en Indochine n'est qu'un des éléments de la stratégie globale du monde libre.

« En confrontant – disiez-vous le 9 juin dernier à celle tribune – les exigences d'une guerre poursuivie à 12 000 kilomètres, nos obligations en Afrique, nos obligations en Europe et les moyens limités dont nous disposons, j'en arrive encore une fois à conclure à la négociation. »

En fait vous avez obstinément voulu toujours la négociation avec le Viet-Minh – et je rends hommage sinon à vos thèses, du moins à votre obstination, car il est rare qu'un homme soit aussi constant dans ses opinions. (Rires et mouvements divers.)

Oui, il est rare qu'un homme, dans cette Assemblée, soit aussi constant dans ses opinions. On ne peut dire que j'ai moi-même varié.

Aujourd'hui, sollicitant l'investiture, vous nous dites : « La preuve que j'avais raison, c'est que vous êtes bien forcés de négocier. »

Non, monsieur le président du conseil désigné, ce n'est pas là, à mes yeux et aux yeux d'un certain nombre de mes amis, une preuve éclatante. Aucun de nous ne peut oublier que vous ayez constamment lutté pour que soient refusés les moyens d'une action véritable qui aurait permis que le corps expéditionnaire ne fût pas menacé et qu'on n'eût pas, aujourd'hui, à parler de la difficulté de sa sauvegarde.

Il y a une semaine, vous avez reproché ici-même à M. Georges Bidault de n'avoir pas pris contact à Genève directement avec le Viet-Minh et vous avez publiquement déploré que la France fût absente des conversations commerciales avec la Chine qui est tout de même dans le camp où s'arment les soldats qui combattent contre les nôtres.

Au sujet de cette absence que vous estimez regrettable, vous avez vanté l'admirable patience des Britanniques qui sont cependant responsables de notre terrible solitude lors des combats tragiques que nous avons supportés à Dien-Bien-Phu.

Dans votre déclaration du 9 mars 1954, vous avez indiqué que vous ignoriez si Ho Chi Minh prenait ses consignes à Moscou. Mais dans votre déclaration de novembre 1950, vous aviez, dit que vous ne mettiez pas en doute le contact de Ho Chi Minh et de la Chine. C'est là un distinguo que je ne parviens pas à comprendre. Quel est votre sentiment sur ce point ?

J'aimerais, monsieur le président du conseil désigné, que vous disiez aujourd'hui, et non pas plus tard, ce que sont les moyens militaires que vous voulez mettre à la disposition de ceux qui combattent. Je voudrais que nous abordions le vrai problème de la guerre d'Indochine.

Allons-nous nous contenter de sauvegarder nos forces et de les maintenir, comme vous l'avez déclaré, ou allons-nous engager une action qui ne rendra pas vains les sacrifices consentis par notre pays dans l'Asie du Sud-est ?

Pour négocier, comme vous le désirez, sans être conduit à capituler, vous savez comme moi qu'il faut d'abord remporter une décision qui ne peut l'être que par les armes.

Il est inexact que la France ait fait le maximum de ce qu'elle peut faire. Ce n'est un secret pour personne que le corps expéditionnaire est menacé, d'abord parce qu'il est insuffisant.

Gagner la bataille du delta est une nécessité absolue, même s'il faut un jour, plus tard, négocier. Avec quels moyens gagnerez-vous cette bataille ? L'Assemblée, avant de vous investir, voudrait le savoir, car le vote que vous nous demandez implique une décision.

En vérité, dans la situation tragique où est notre pays, à l'heure même où les alliés anglo-saxons vont se réunir sans nous, seul un gouvernement de salut public...

A gauche. Présidé par un général !

M. Pierre de Benouville. ... serait capable de faire face à tous les maux qui nous menacent.

Je ne vois pas comment cette Assemblée, élue dans les conditions que nous connaissons, à la faveur d'une loi électorale truquée qui a fait s'apparenter les contraires, pourrait à aucun moment déléguer sa confiance à un groupe d'hommes qui, enfin, représenterait l'exécutif. Chacun sait que, demain, l'exécutif ne pourra encore être que la délégation provisoire du législatif à l'expédition des affaires courantes.

J'attends en conséquence, monsieur le président du conseil désigné, que vous vouliez bien me dire par quels moyens vous entendez opérer les réformes de structure qui permettraient à l'Assemblée d'aborder enfin les grands problèmes que, jusqu'à présent, elle n'a fait qu'éviter. (Applaudissements sur quelques bancs à l'extrême droite.)

M. le président. La parole est à M. Senghor.

M. Léopold-Sedar Senghor, Monsieur le président du conseil désigné, je vous ai écouté, comme toujours, avec beaucoup d'attention.

Vous nous avez parlé par priorité de l'Indochine, Bien sûr, vous ne pouviez faire autrement. Cependant, je ne parlerai pas longuement de l'Indochine parce qu'elle n'est qu'un aspect du devenir de l'Union française et qu'elle est déjà un « no man's land » dans la stratégie planétaire, dans la guerre des idéologies antagonistes.

Ce n'est pas que mes amis et moi soyons des défaitistes. Tout au contraire ! Nous sommes pour l’Union française, mais si l'avenir de celle-ci n'est pas uniquement, il est d'abord en Afrique.

M. Pierre Montel. Très bien !

M. Léopold-Sedar Senghor, Si nous avons commencé par nous abstenir deux fois, dans les votes sur la question de confiance posée sur la politique en Indochine, pour voter ensuite avec la majorité dont nous n'étions pas, nous l'avons fait dans l'intérêt exclusif de la France. Ce faisant, nous restions au demeurant logiques avec les principes de notre politique. Je sais que c'est naïveté parfois d'être fidèle à ses principes.

La négociation que tout le monde préconise aujourd'hui comme la seule solution du problème en Indochine, voilà plusieurs années que nous la préconisons avec vous, monsieur le président du conseil désigné. Les anciens de cette Assemblée se souviennent des interventions que M. Saravane Lambert, ancien député de l'Inde française, a faites à plusieurs reprises ici même pour défendre notre thèse, ce Saravane Lambert à qui on a préféré en 1951 M. Goubert, présenté alors comme le champion de la cause française en Afrique.

C'est le lieu pour moi de féliciter M. Georges Bidault pour l'action persévérante qu'il a menée à Genève en faveur de la paix.

On me reprochera, il est vrai, de ne pas vous opposer à M. Bidault. Ce serait penser par catégories et ces catégories seraient beaucoup plus passionnelles que logiques. Négocions donc en Asie, en Indochine et aux Indes. Mais, encore une fois, l'Asie est, pour la France, le passé. Nous ne pouvons garder réellement en Indochine que des avantages culturels.

L'avenir de l'Union française, encore une fois, est dans cette Afrique qui se réveille peu à peu de son sommeil millénaire, qui prend conscience d'elle-même et qui est le continent de demain. (Applaudissements sur certains bancs au centre)

Or, depuis 1951, les différents gouvernements ont mis une sorte d'obstination à y gâcher les dernières chances de la France. C'est vrai du Maroc et de la Tunisie, c'est vrai aussi de l'Afrique noire et de Madagascar.

Comment cela ? C'est ce que je vais essayer de montrer.

A la Tunisie et au Maroc, on a toujours refusé ce qu'on a accordé sans compensation sérieuse aux trois États associés d'Indochine.

Tous les arguments invoqués sont spécieux et ne résistent pas à l'analyse.

A qui fera-t-on croire que le Viet-Nam soit plus « évolué » – c’est le mot que l'on emploie – que la Tunisie ? A qui fera-t-on croire que le Laos et le Cambodge aient des élites plus nombreuses que le Maroc ?

Avouera-t-on que la France n'a cédé qu'à la violence ? C'est là un précédent dont nous commençons de sentir, n'est-ce pas ? les tristes effets en Afrique du Nord.

Il n'est pas question d'absoudre le terrorisme. Comme vous, comme la majorité de cette Assemblée, nous le condamnons. Il est question de constater que « quiconque se servira de l'épée périra par l'épée ».

Nous pensons donc que, en Afrique comme en Indochine, la meilleure solution est encore la négociation. Celle-ci est d'autant plus facile que les conditions des nationalistes, des peuples tunisien et marocain ne sont pas exorbitantes, qu'elles ne sont contraires ni à la dignité ni à l'intérêt du peuple français.

Car, monsieur le président du conseil désigné, que réclament ces nationalistes que l'on qualifie d'extrémistes ?

L'indépendance totale, comme M. Bao Daï ? Non pas. Ils demandent modestement l'autonomie interne, laissant la conduite de la diplomatie et de l'armée à la France ; ils acceptent même que l’on procède par étapes, pourvu que celles-ci soient précisées et datées.

On invoque, il est vrai, contre les nationalistes, les intérêts des Français résidant dans les deux protectorats.

Je reprendrai la distinction pertinente que fait M. Moreux entre les « droits politiques » et les « droits civils » ou celle de M. Saumagne entre les « données de droit » et les « données de fait ».

Qu'il faille préserver les droits civils des Français, singulièrement leur propriété privée, personne ne le conteste, pas même les nationalistes les plus engagés.

Ce qui est contesté, ce qui est contestable, c'est que ces droits civils ne puissent être garantis que par des droites politiques, c'est-à-dire par la co-souveraineté.

Qui ne voit que quelques dispositions y suffiraient, qui seraient incluses dans les traités d'association avec la France ?

En tous cas, les droits politiques des résidants français – je ne dis pas du Gouvernement français – ne découlent ni des traités de protectorat, ni de la Constitution du 27 octobre 1916, ni de nécessités pratiques.

Quant à l'Afrique noire, il ne s'agit pas de s'en aller répétant le slogan de certains : « Maintenant que nous avons perdu l’Indochine, retournons-nous vers l'Afrique noire. »

De quelle Afrique noire s'agit-il ? D'une Afrique noire assujettie ou d'une Afrique noire librement associée, et démocratiquement associée à la France ?

On nous dit que cette Afrique noire est paisible, qu'elle acclame les ministres en tournée officielle et qu'elle ne réclame rien. C'est aller bien vite en besogne et prendre ses désirs pour des réalités.

La vérité, c'est que l'Afrique noire – j'y englobe Madagascar – est de bonne volonté, mais qu'elle commence à se lasser des promesses non tenues et de la résurrection – du moins du maintien – du pacte colonial.

Ce que veulent les citoyens français d'outre-mer, c'est l'application loyale, stricte de la Constitution du 27 octobre 1916, dans son esprit, mais surtout dans sa lettre et, plus précisément, de deux dispositions énoncées dans le préambule: d'une part, la gestion autonome des affaires locales par les représentants légitimes de chaque territoire et de chaque groupe de territoires, d'autre part, la coordination des économies de l'Union française par un exécutif qui ne soit pas uniquement métropolitain dans sa composition et dans ses objectifs.

L'épithète d'autonome aura peut-être effrayé quelques-uns de nos collègues. Ils auraient tort. Qu'ils n'oublient pas, en effet, que la Constitution permet à chaque territoire d'outre-mer de réclamer un statut d'État associé, comme c'est le cas pour les trois États d'Indochine.

Mais nous n'allons pas si loin, nous, indépendants d'outre-mer. Nous demandons simplement que, tenant compte de la grande réalité du vingtième siècle qui est la coexistence, le Parlement aménage par étapes notre « république une et indivisible » en « république une et indissoluble, mais fédérale ». Cependant, cette république fédérale à laquelle plusieurs grands esprits, dont vous-même, se rallient maintenant, il ne faut pas la mettre en conserve, mais la faire entrer dans notre Constitution.

Devant ces revendications, monsieur le président du conseil désigné, dont il est difficile de nier la modération, que font la plupart des gouvernements, car il serait injuste d'accuser le seul gouvernement démissionnaire ? Dans les tournées officielles, on promet le paradis terrestre – je veux dire des réformes démocratiques – aux populations ébahies et secouées d'applaudissements frénétiques : municipalités, conseils de circonscription, conseils de gouvernement, coopératives, lois anti-alcooliques, etc., tandis qu'à Paris on livre des combats d'arrière-garde aux réformes annoncées.

Un exemple parmi d'autres ; la loi du 6 février 1952 faisait obligation au Gouvernement de déposer un projet de loi sur les attributions des assemblées locales avant le mois de juillet 1952. Nous en sommes encore à l'attendre, ce fameux projet !

Mais c'est à la suppression du pacte colonial que tendent les principales revendications des populations ultramarines.

Au cours de la discussion des interpellations sur la politique du Gouvernement outre-mer, M. le ministre de la France d'outre-mer a été amené à reconnaître que la métropole reçoit des territoires d'outre-mer autant qu'elle donne ; or l'une est riche et les autres sont pauvres. Cet aveu loyal, dont je le remercie, est significatif. En effet, qu'il s'agisse des prix, des contingentements ou des investissements, la métropole fait payer au prix fort ce qu'elle appelle les « dons du F.I.D E.S. ». Cela mérite explication.

En ce qui concerne les prix à la production – et je l'ai prouvé – nous vendons nos marchandises aux cours mondiaux parfois au-dessous, rarement au-dessus, quand la métropole, elle, nous vend ses produits, en moyenne, 25 p. 100 au-dessus des cours mondiaux.

Je vous renvoie aux conclusions de la commission Nathan. Vous savez, au surplus, que le circuit de distribution dans les deux sens est tenu par les intérêts privés métropolitains. En ce qui concerne les contingentements, comment admettre que l'on nous fasse, à nous citoyens d'outre-mer, obligation d'acheter français dans le moment que la métropole s'octroie la liberté d'acheter à l'étranger coprah, bananes, arachide, riz, etc.

Actuellement, les importateurs ne trouvent pas de francs pour acheter les huiles d'outre-mer, mais trouvent des devises pour acheter les huiles étrangères. Vous pouvez vérifier mon assertion.

Les importations de choc ne sont-elles valables que pour la seule métropole, comme s'il n'y avait pas outre-mer des consommateurs français ?

S'agissant des investissements, je soulignerai que les crédits du plan ont été réduits, cette année, d'environ 25 p. 100 pour les territoires d'outre-mer.

II y a, me dit-on, les capitaux privés. Mais ils continuent de porter leur choix sur les sociétés commerciales où l'on gagne vite et gros. Et si nos capitalistes, fuyant l'Indochine, s'enhardissent à investir dans les entreprises industrielles en Afrique, prudemment ils demandent l'aide de l'État, en vertu de ce dicton qu'on ne prête qu'aux riches. Car malheur à ceux qui ne demandent rien ! Malheur à ceux qui ont la témérité de concurrencer les trusts de la métropole ! Bien vite ils devront fermer leurs portes, si seulement le Gouvernement leur permet de les ouvrir !

Le plus grave – et c'est là un point important – c'est que ces trusts, sans prendre aucun risque, sont directement ou indirectement les principaux bénéficiaires des investissements publics. Ce n'est pas moi qui le dis, mais deux Français dont l'autorité en la matière est incontestable.

C'est M. Pierre Naville qui écrit, dans La Tribune des peuples : « Le grand mouvement aller et retour des capitaux investis par l'État est l'un des phénomène les plus importants qui découlent de la politique poursuivie. Moyennant quoi une part considérable de l'effort accompli se perd en profits scandaleux qui, en général, ne se réinvestissent pas dans le territoire à développer. »

Et le professeur Lecaillon précise dans Afrique nouvelle : « On a pu estimer, en effet, que 15 p. 100 seulement des sommes dépensées en Afrique occidentale française pour les travaux du premier plan depuis 1947 sont restées dans la fédération. »

Vous comprenez maintenant pourquoi, monsieur le président du conseil désigné, les intérêts privés de la métropole veulent se réserver le marché des territoires d'outre-mer, pourquoi ils s'opposent à leur intégration dans la future communauté politique européenne.

J'en ai terminé, monsieur le président du conseil désigné.

Pour me résumer, je dirai que l'Afrique française est en mouvement sous des gouvernements d'immobilisme. Il ne peut en résulter, à la longue, que des catastrophes françaises, car cette Afrique qui se veut pourtant française, est placée entre une Libye indépendante et une Gold Coast qui a élu, avant-hier, le 15 juin 1954, son premier parlement au suffrage universel, cette Gold Coast qui, avant quelques années, deviendra un dominion britannique.

Ce que réclame cette Afrique française, c'est la démocratie politique, c'est la démocratie économique, comme le préconise l'ordre du jour Aubame voté par l'Assemblée nationale en conclusion des interpellations sur la politique du Gouvernement outre-mer. Ce qu'elle réclame, c'est que certains services de la rue Oudinot n'aient pas souci, par priorité, des intérêts de la métropole.

Cela, monsieur Je président du conseil désigné, vous le savez, vous l'avez écrit, vous l'avez dît.

C'est pourquoi je ne vous poserai pas de question. Je n'emploierai pas la formule consacrée : De vos réponses dépendront nos votes.

Nous espérons seulement que, si vous êtes investi et formez votre Gouvernement, vous n'oublierez pas les thèses du député de l'Eure, Nous espérons que vous agirez, car l'Union française mérite tout de même une révolution dans la paix. (Applaudissements sur de nombreux bancs à. {fauche et sur divers bancs au centre et à droite.)

M. le président. La parole est à M. Hénault.

M. Pierre Hénault. Monsieur le président du conseil désigné, le groupe indépendant d'action républicaine et sociale, dans sa très grande majorité, a vivement apprécié la partie de votre discours relative à la Communauté européenne de défense.

Il l'a d'autant plus appréciée que la position de conciliation que vous avez définie entre les différentes tendances européennes de cette Assemblée est très exactement celle qu'il défend depuis le premier jour où cet important problème s'est posé à chaque Français comme le plus redoutable de tous les cas de conscience.

Le groupe indépendant d'action républicaine et sociale s'est également félicité de votre volonté de paix en Indochine. Mais, comme vous l'avez marqué vous-même avec force, il ne s'agit, ce nous semble, que d'une paix dans l'honneur et préservant les intérêts vitaux de la France dans cette région où montent les peuples de couleur.

S'il en est bien ainsi, nous vous serions très reconnaissants de bien vouloir nous préciser davantage les raisons qui vous permettent de croire a un « cessez-le-feu » dans les quatre semaines à venir, car prévoir votre départ en cas d'insuccès, ce délai écoulé, n'est peut-être pas la meilleure manière d'entamer une négociation.

En vous fixant à vous-même un délai d'un mois pour obtenir le « cessez-le-feu », ne pensez-vous pas que l'adversaire va durcir sa position et accroître ses exigences pour vous permettre d'aboutir ?

Si vous échouez, au bout d'un mois vous vous retirez du pouvoir, mais vous ne laissez plus qu'une issue à vos successeurs: la guerre. (Applaudissements sur quelques bancs à l'extrême droite. Applaudissements à droite et au centre.)

Mais pour procéder ainsi, vous avez émis des présomptions suffisantes sur l'appui que vous recevrez de nos alliés qui, à l'échelon le plus élevé, se réuniront sans vous à Washington.

Avez-vous, d'autre part, des informations inédites sur le désir de paix de la Chine et du Viet-Minh, avant que ne soient atteints par leurs troupes de nouveaux gages importants dans le Delta ?

Ou bien, pensez-vous pouvoir reprendre, dans une vaste négociation, le marchandage planétaire rejeté par vos prédécesseurs ?

Enfin, monsieur le président du conseil désigné, pour ce qui concerne l'Afrique du Nord, votre grande discrétion m'impose peut-être quelques indiscrétions.

Tout évolue, et nous ne nous opposons en aucune manière à une participation toujours plus grande des Tunisiens et des Marocains à la gestion de leurs affaires. Mais nous tenons à ce que soit préservée pour toujours l'œuvre de la France en Afrique du Nord, nous tenons à ce que soient préservés dans tout ce qu'ils ont de légitime les droits des Français qui ont tant apporté à la communauté franco-musulmane, nous tenons à ce que les réformes auxquelles vous ne manquerez pas de procéder soient par priorité appuyées par nos amis et accessoirement par nos ennemis.

Monsieur le président du conseil désigné, vous nous obligeriez beaucoup en nous confirmant votre accord sur ces points. (Applaudissements sur quelques bancs à l'extrême droite.)

M. le président. La parole est à M. Garet.

M. Pierre Garet. Vous savez parfaitement, monsieur le président du conseil désigné, que s'il y a un an vous n'avez pas bénéficié de la plupart des bulletins de mes amis républicains indépendants, c'est uniquement, ou presque, en raison des craintes que nous éprouvions sur la politique internationale qui serait la vôtre.

Nous acceptions de vous faire confiance sur le plan intérieur. Nous savions que votre politique économique et financière serait sage, et au point de vue social, mon prédécesseur M. Chastellain l'a dit à cette époque, nous étions prêts à vous suivre parce que vos pensées correspondaient aux nôtres, personne, dans cette Assemblée, ne pouvant prétendre avoir le monopole d'une politique vraiment et utilement sociale. (Très bien ! très bien ! à droite.)

M. Jean Binot. Il y a des nuances !

M. Pierre Garet. Or, voici aujourd'hui, monsieur le président du conseil désigné, que ne restent, pour ainsi dire, véritablement en cause que ces préoccupations de politique extérieure qui ont été l'année dernière responsables de notre désaccord.

Je voudrais, pour que notre information soit complète, vous poser deux questions, et vous devez pouvoir m'y répondre, puisque dans vos consultations préliminaires - et ce n'est pas moi qui vous le reproche - vous êtes demeuré sur le plan des conversations techniques avec les personnes les plus qualifiées.

J'ai relu attentivement votre déclaration du 3 juin 1953 et les réponses que vous aviez faites le lendemain aux questions qui vous avaient été alors posées. Je me suis évidemment reporté également à votre discours de la semaine dernière, qui vous avait donné l'occasion de tellement parler du sujet traité et de tout que nous avions déjà eu l'impression d'assister au débat qui se déroule aujourd'hui.

Voici ce que vous avez dit, monsieur le président du conseil désigné, il y a un an, à propos des douloureux événements d'Extrême-Orient:

« Chacun reconnaît aujourd'hui – ce sont vos paroles – qu'il est devenu impérieux d'alléger le fardeau que nous impose la continuation de la guerre d'Indochine. L'une des tâches du représentant de la France aux Bermudes sera de rappeler à nos alliés qu'elle fait peser sur nos épaules des charges écrasantes et qu'elle ronge les forces vives de la nation. Compte tenu de l'évolution générale des événements d'Asie, il leur soumettra un plan précis en vue de résoudre ce douloureux conflit. Je vous rendrai compte aussitôt après des positions qui auront été prises par mon gouvernement.

« L'Assemblée comprendra, j'en suis sur, que dans la position où je me trouve et à l'heure où nous sommes, il serait de ma part d'une coupable légèreté de donner plus de précisions sur la question de l'Indochine. »

Une année s'est écoulée depuis, et vous connaissez parfaitement les intentions pacifiques du gouvernement que, la semaine dernière, vous avez contribué à renverser. Or, vous avez déclaré la semaine dernière : « II faut tout d'abord que notre diplomatie sorte de ces réticences, de ces hésitations, de ces prétendues habiletés qui l'ont caractérisée depuis le début. Il faut qu'il soit évident, même aux yeux des plus malveillants, que notre but n’est pas d'obtenir à la fin l'intervention américaine, objet de tant de vœux inavoués, mais que ce but est d'obtenir la fin honorable d'un affreux conflit qui dure maintenant depuis huit ans. »

Aujourd'hui, vous venez de préciser votre pensée, dans une certaine mesure, et je crois que nous sommes bien d’accord sur les impératifs qui s'imposent à nous et qui étaient ceux qui inspiraient le Gouvernement, je le répète, que vous avez renversé : sécurité de notre corps expéditionnaire, pas de capitulation et continuation rapide des conversations dans le dessein d'arriver à une solution pacifique aussi prochaine que possible.

Par conséquent, et c'est là, monsieur le président du conseil désigné, la première question que je vous pose, ai-je raison, mes amis ont-ils raison de penser que vos objectifs sont exactement les mêmes que ceux du gouvernement précédent, étant seulement entendu que, pour les atteindre vous avez plus confiance en vous qu'en eux ? (Rires et applaudissements à droite et au centre.}

Pensez-vous qu'avec vous notre diplomatie, d'ailleurs enfermée dans un délai dont M. Hénault vient de parler avec raison, sortira de ses « réticences » – le mot est de vous – de ses « hésitations », de ses « habiletés » – ces termes sont également de vous – et que vous atteindrez mieux qu'un autre Ie but que nous paraissons parfaitement d'accord pour vouloir atteindre ?

Comment ferez-vous ?

Et, comment laisserez-vous le pays dans un mois, si votre gouvernement, à ce moment-là, s'en va ? (Applaudissements à droite et au centre.)

Ma seconde question, monsieur le président du conseil désigné, est relative à vos propositions sur l'organisation de l'Europe. Vous n'avez pas, à cet égard, modifié votre position de l'année dernière.

« C'est un fait » disiez-vous le 3 juin 1953, « qu'il existe dans l'Europe de l'Est une force militaire importante. « C’est un fait » – ce sont encore vos propos ; je m'excuse de vous citer souvent – « qu'un réarmement de l'Europe occidentale est devenu nécessaire dans l'intérêt même de la paix ; on a pu discuter de son volume, et je l'ai fait moi-même ; mais personne, dans les partis nationaux, n'a contesté qu'il faille créer des moyens de défendre et de consolider la paix. C'est un fait encore que, dans ces conditions, le problème du réarmement allemand et de ses limites et modalités éventuelles s'est posé. »

Et vous terminiez ainsi :

« L'ensemble de ces problèmes devra donc faire l'objet d'un échange de vues loyal et approfondi aux Bermudes. Au cours de cet échange de vues, il appartiendra au chef du gouvernement de traduire à ses interlocuteurs les sentiments et les réactions de notre pays et de leur demander les assurances qui paraîtront nécessaires. C'est alors que le Parlement, plus complètement informé, pourra se prononcer et dégager une majorité massive. Car il serait grandement coupable de notre part de poser la question dans des termes tels que la décision du Parlement, quelle qu'elle doive être, soit prise à une faible et étroite majorité. Dans une matière de ce genre, avec toutes ses conséquences à long terme, c'est une large majorité nationale qui doit donner la réponse finale de la France. »

De nouveau, monsieur le président du conseil désigné, une année est passée. Il n'y a plus, que je sache, de réunions internationales en vue, et vous estimez encore – et vous n'avez sans doute pas tort – « qu'il s'agit de définir les conditions qui, tenant compte des aspirations et des scrupules du pays, nous permettent de créer le large assentiment national qui est indispensable à tout projet de défense européenne ».

« De toutes manières », avez-vous dit, dans votre déclaration ministérielle, que, vous le voyez, je lis dans Le Monde, « l'Assemblée sera saisie, avant les vacances parlementaires, de propositions précises dans ce but.

« Nos alliés – et c'est là que j'attire votre attention sur vos propres déclarations – « sauront ainsi, et dès maintenant, que dans un délai rapproché, ils auront, de la part de la France, la réponse claire et constructive qu'ils sont, depuis longtemps, en droit d'attendre d'elle. »

La deuxième question que je vous propose est la suivante: Nous ne sommes plus, monsieur le président du conseil désigné, simplement en présence de conversations sur le plan national ; nous avons à envisager aussi les conversations sur le plan international. Est-il possible que nous tenions, en face de nos alliés, le langage que vous avez tenu tout à l'heure à la tribune de l'Assemblée nationale ? Est-il possible que nous parlions, le cas échéant, d'une solution de rechange ? Quelles seraient les conséquences sur le plan international d'une décision dans ce sens, Alors que vous dites être l'adversaire – et j'en suis d'accord – d'un renversement des alliances ?

Voilà, monsieur le président du conseil désigné les deux questions que j'avais à vous poser au nom de mes amis républicains indépendants.

Je vous demande instamment de bien vouloir y répondre de façon nette et précise. (Applaudissements à droite.)

M. le président. La parole est à M. Guy Petit.

M. Guy Petit. Monsieur le président du conseil désigné, j'ai été mandaté par le groupe indépendant paysan pour vous poser quatre questions précises.

Je viens de noter, en écoutant MM. Hénault et Garet, que certaines d'entre elles vous ont déjà été posées sous une autre forme ; je pense, toutefois, qu'il n'est pas mauvais que je les réitère, afin que vous nous fournissiez les réponses précises que nous attendons.

Première question : Y a-t-il une preuve que l'un quelconque des gouvernements qui vous ont précédé ait refusé ou simplement négligé d'accepter une paix honorable en Indochine ? Dans l'affirmative, lequel et quand ? (Mouvements divers.)

Deuxième question : avez-vous des raisons péremptoires de croire que vous, monsieur le président du conseil désigné, avez des moyens de faire en quatre semaines une paix honorable en Indochine ?

Troisième question : avec quels interlocuteurs avez-vous l'intention de reprendre le dialogue au Maroc et en Tunisie ?

Quatrième et dernière question : avez-vous l'intention de compléter ou de réaliser la réforme fiscale par décret et, dans ce cas, comment la concevez-vous ? (Applaudissements à droite et sur quelques bancs au centre.)

M. le président. La parole est à Mme Poinso-Chapuis. (Applaudissements au centre.)

Mme Germaine Poinso-Chapuis. Monsieur le président du conseil désigné, le groupe du mouvement républicain populaire a écouté avec beaucoup d'attention votre déclaration.

Il l'a écoutée avec un souci d'objectivité totale (Murmures sur divers bancs) et une volonté bien arrêtée d'écarter toute querelle d'intention et toute réaction passionnelle qui n'auraient pas ici leur place. (Nouveaux murmures. – Applaudissements au centre.)

L'heure est trop grave pour que quiconque a le sens de la patrie puisse décider de son vote autrement qu’à travers elle et pour elle. C'est parce que les options posées engagent nos consciences de parlementaires et l'avenir de notre pays qu'elles exigent la pleine lumière pour être levées.

Au lendemain de son congrès national de Lille, le mouvement républicain populaire a trop nettement défini ses exigences fondamentales pour qu'il soit besoin d'y revenir. Il entend demeurer fidèle à lui-même (Murmures). Son double impératif : maintien et continuation de la politique étrangère et réalisation d'une politique économique et sociale d'expansion et de justice, dominera ses décisions d'aujourd'hui.

C'est dans cet esprit et dans le cadre exact de votre déclaration qu'il nous a paru nécessaire de vous demander un certain nombre de précisions.

Votre déclaration, monsieur le président du conseil désigné, est un cadre parfaitement construit, ce qui ne saurait nous surprendre. Trois ordres de problèmes ont essentiellement retenu votre attention. Si nous nous en tenions aux termes mêmes dans lesquels ils ont été posés, il semblerait difficile, chacun ayant loisir de remplir les blancs selon ses propres intentions que la très grande majorité de cette Assemblée ne se déclarât d'accord avec vous.

Au vrai, il s'est agi surtout d'un inventaire. Il s'est agi aussi d'orientations sentimentales et générales telles que la recherche de la paix, sur laquelle, vous le savez, nous sommes tous passionnément d'accord. (Applaudissements au centre et sur quelques bancs à droite.)

Sur presque tous les bancs de cette Assemblée les réactions, quant à l'essentiel de votre déclaration, seront identiques. On pourrait y trouver un assez bon programme d'union nationale pour une investiture. Mais y trouverons-nous demain un programme de gouvernement ? Nous ne pouvons le dire. Nous avons besoin de le savoir. Nous ne le saurons que lorsque vous aurez éclairé, vous-même, chacune des orientations que vous avez formulées. Vous ne les éclairerez qu'en nous indiquant, au regard de chacune, les moyens que vous entendez mettre en œuvre pour les réaliser.

C'est sur ces moyens que je désirerais vous Interroger.

Vous entendez poursuivre énergiquement la recherche de la paix en Indochine, avez-vous dit. Nous aussi, vous le savez. (Murmures à l'extrême gauche.)

Il y en a peut-être que cela gène. Les faits sont les faits et nous avons prouvé suffisamment sur ce point notre volonté formelle pour que personne ici n'ait le droit même d'un murmure. (Applaudissements au centre.)

A cette fin – la recherche de la paix – vous entendez poursuivre, nous avez-vous dit la négociation engagée à Genève, et nous sommes d'accord. Mais nous vous demandons : « Comment, et avec qui ? »

Quels seront les interlocuteurs ? Seront-ce les mêmes qu'à ce jour ? N'y aura-t-il aucun changement dans l'action poursuivie jusqu'à maintenant par le gouvernement précédent ?

Nous aimerions alors que cela soit dit. S'il y a changement, en quoi consistera-t-il ?

Et si, malgré votre volonté d'aboutir à la paix, l'échec de vos efforts – dont force vous est d'envisager la perspective par honnêteté – venait à se produire, quelles sont les mesures que votre responsabilité de président du conseil désigné vous oblige à envisager dès maintenant ?

Vous nous avez dit dans un passage de votre déclaration qu'aucune mesure ne serait négligée ; vous avez ajouté d’une manière extrêmement claire, que des dispositions seraient prises dès le lendemain de votre investiture, et – je cite – « qu'il allait de soi que les mesures militaires nécessaires aussi bien pour faire face aux besoins immédiats que pour mettre le gouvernement qui succéderait au votre en état de poursuivre le combat si par malheur il avait à le faire » seraient prises. Vous avez précisé : « Au cas où certaines de ces mesures exigeraient une décision parlementaire, elles vous seraient proposées. »

Monsieur le président du conseil désigné, lorsqu'il s’est agi ici-même d'aborder ces mesures – je ne prends nullement parti sur le fond, vous le remarquerez – nous avons bien été obligés de constater quel désaccord a immédiatement divisé cette Assemblée. Est-ce que cela ne justifie pas notre inquiétude ?

Je continuerai les négociations, nous dites-vous, et je prendrai dès à présent les précautions nécessaires pour le cas d'échec ; et si ces précautions exigent la consultation de l'Assemblée, je la consulterai.

Mais alors, nous vous demandons: que proposez-vous à cette consultation ? A quoi, en effet, servirait de vous donner aujourd'hui, dans un accord provisoire, une large investiture si, dans huit ou quinze jours, en présence des mesures précises que vous nous proposerez, votre majorité d'investiture était appelée à se disloquer ? Qu'aurions-nous gagné, je vous le demande, à franchir la journée d'aujourd'hui ?

Nous voulons, voyez-vous, autre chose – et vous nous excuserez de vous le dire – qu’un gouvernement transitoire, autre chose qu'un gouvernement d'essai auquel nous accorderions un délai de quelques semaines pour faire la preuve de sa bonne volonté, de ses méthodes, de ses possibilités.

Car, vous le sentez bien, monsieur le président du conseil désigné et nous le sentons tous, dans quelle situation nous trouverions-nous au bout de cette période d'essai, si nous n'avons pas, au préalable, quelque chose de solide et de construit sur quoi une majorité ait pu se rassembler ?

Nous ne nous retrouverions même pas dans la situation d'aujourd'hui, mais dans une situation mille fois pire.

Il faut que nous fassions l'économie d'un galop d'essai qui ne serait que cela. Et parce que nous ne voulons pas nous lancer dans cette voie hasardeuse, dont vous ne voulez pas non plus, j'en suis certaine, parce que nous voulons faire l'économie d'un échec, nous sommes amenés à vous dire: soyez extrêmement précis, monsieur le président du conseil désigné, pour qu'il n'y ait aucune équivoque possible dans les voles qui interviendront.

Donnez-nous dès aujourd'hui, je vous en supplie, des précisions telles que nous sachions dans quelle mesure et avec quelle clarté nous pouvons ou non vous investir. (Applaudissements au centre}.

L'importance des problèmes internationaux ne nous fait pas méconnaître les réalités économiques et sociales, ni leur urgence. Si, quelquefois, le mouvement républicain populaire a paru mettre l'accent par priorité, sur la politique étrangère, c'est peut-être, par une optique qui s'apparente à la vôtre, non point qu'il s'agit de priorité dans l'importance, mais parce que certaines priorités dans le temps s'imposent à certaines minutes.

Mais nous savons bien, et nous tenons à le dire, qu'il ne saurait y avoir de politique étrangère valable si elle ne rencontre l'adhésion du pays. Or elle ne peut rencontrer cette adhésion que dans un climat économique et social d'expansion et de justice. Vous l'avez dit et nous sommes d'accord sur ce point. Mais nous voudrions que vous nous précisiez, monsieur le président du conseil désigné, quel programme d'expansion économique et de justice sociale vous entendez nous présenter dans les vingt jours et comment vous entendez le réaliser. Vous n’êtes point homme a improviser un tel programme ; il est prêt ; vous le connaissez. Nous aimerions, nous aussi, le connaître aujourd'hui, savoir ce que vous comptez mettre de concret dans les chapitres dont vous avez seulement énuméré les titres et sur lesquels nous sommes d'accord – par exemple le plein emploi et la revalorisation du pouvoir d'achat que je cite parmi d'autres.

Dans la troisième partie de votre exposé, j'ai noté, monsieur le président du conseil désigné, certaines déclarations dont je prends acte et quelques autres sur lesquelles je dois vous demander des précisions.

Au sujet de notre politique internationale et du problème de la communauté européenne de défense, qui pèse si lourdement sur cette Assemblée et sur toute majorité possible, nous devons également vous demander d'être très clair et très précis.

Vous avez déclaré que « l'une des données devant lesquelles il fallait nous incliner était la nécessité d'un réarmement occidental imposé par la situation internationale... ». J’en conclus que le neutralisme est, une fois pour toutes, liquidé, que la nécessité du réarmement occidental est une chose claire, sur laquelle il ne saurait y avoir d'équivoque et « ... qui nous a conduit à envisager, perspective cruelle pour tous les Fran­çais, les conditions de la participation de l'Allemagne à une organisation commune de défense. » Sous quelle forme envisagez vous cette participation ?

Vous ajoutez qu'étant donné la division cruelle de ce pays sur ce problème essentiel, il vous paraît utile d'employer une méthode de confrontation. Peut-être pensons-vous – et vous me permettrez de vous le dire – que les confrontations se sont déjà largement faites, et dans les commissions, et à la tribune de cette Assemblée.

Mais vous avez parlé de confrontation. Le Gouvernement en prendra donc l'initiative. Sur quel texte ? Le Gouvernement entend-il orienter ces confrontations ? Entend-il leur fournir un thème ? Interviendra-t-il d'une manière positive dans leur déroulement ou simplement en témoin détaché ?

Si ces confrontations aboutissent à l'esquisse d'une solution acceptable par une large majorité – mais qu'il resterait encore à faire accepter par nos partenaires, car il ne faudrait point que nous ayons les yeux clos sur ce qui se passe au-dehors de cette enceinte, si ces confrontations aboutissent à une espèce de position moyenne, quelle sera l'attitude du Gouvernement à ce moment-là ? Prendra-t-il l'initiative d'une proposition concrète, et laquelle ?

Et si ces confrontations n'aboutissent pas? Vous nous avez dit – je cite vos propres paroles :

« Si ces consultations devaient se révéler infructueuses, c'est le Gouvernement lui-même qui prendrait ses responsabilités ».

Fort bien, monsieur le président du conseil désigné, c'est là votre rôle. Mais quelles responsabilités prendrez-vous ? (Applaudissements au centre.)

En quoi consisteront-elles ? Que proposerez-vous à cette Assemblée ? Sur quoi lui demanderez-vous de se prononcer ? Quel est le texte que vous lui soumettrez ? (Nouveaux applaudissements sur les mêmes bancs.)

Nous avons le droit et le devoir, monsieur le président du conseil désigné, de vous poser aujourd'hui ces questions, je le répète, pour que tout soit clair, pour que la journée d'aujourd'hui ne s'achève pas dans une équivoque qui serait néfaste à la France et au régime, pour que ce soit en pleine connaissance de cause que chacun d'entre nous puisse prendre ses responsabilités, et aussi pour que, s'il se peut, une majorité cohérente se dégage enfin, permettant à la France de connaître autre chose que des crises gouvernementales et des cérémonies d'investiture, d'avoir enfin une majorité et un Gouvernement à présenter au monde. (Vifs applaudissements au centre.)

M. le président. La parole est à M. Billoux. (Applaudissements à l’extrême gauche).

M. François Billoux. Monsieur le président du conseil désigné, le groupe communiste a écouté avec la plus grande attention votre déclaration ministérielle. Celle-ci pourrait se résumer à une phrase que vous avez d'ailleurs prononcée : « Mon objectif est la paix. »

Vous avez déclaré que vous vous assigniez la tâche d'aboutir au « cessez-le-feu » en Indochine dans un délai de quatre semaines. Cette déclaration nous change du comportement du. gouvernement Laniel-Bidault.

C'est en tenant compte de cette déclaration précise que le groupe communiste déterminera son vote sur l'investiture. (Exclamations et rires sur divers bancs.)

Le parti communiste français est absolument convaincu que l'intérêt vital du peuple et du pays est de promouvoir une politique nouvelle, avec un gouvernement nouveau, et que cela est possible immédiatement.

En s'appuyant sur les décisions du treizième congrès national de notre parti, son secrétaire général, Maurice Thorez, déclarait à la clôture de ce congrès :

« En vue de rendre possible le changement d'orientation souhaité par le pays, le congrès,, approuvant unanimement le rapport du comité central présenté par Jacques Duclos, a réaffirmé avec force la résolution de notre parti d'appuyer toute politique qui tiendrait compte des trois grandes nécessités nationales :

« Premièrement, en politique extérieure, le refus de ratifier les accords de Bonn et de Paris, l'application d'un « cessez-le-feu » en Indochine, l'organisation de la sécurité collective en Europe et le règlement des différends entre les grandes puissances par voie de négociations.

« Deuxièmement, la satisfaction des revendications économiques pressantes de la classe ouvrière et de tous les travailleurs.

« Troisièmement, la défense effective des libertés démocratiques ».

Et le secrétaire général du parti communiste ajoutait :

« Le congrès a confirmé que les communistes sont toujours prêts à soutenir au Parlement et dans le pays tout pas en avant effectif, toute disposition conforme à l'intérêt de la classe ouvrière, à l'intérêt du peuple et à l'intérêt de la paix ».

Nous considérons que la fin des hostilités en Indochine est conforme à la fois à l'intérêt de la classe ouvrière, à l'intérêt du peuple, à l'intérêt national et à l'intérêt de la paix dans le monde. Elle constituerait un pas en avant effectif pour une nouvelle politique.

Il est vrai que nous aurions les plus extrêmes réserves à formuler sur la plupart des autres questions traitées dans votre déclaration. C'est ainsi que, sur le plan économique et social, vous avez été très vague en ce qui concerne la satisfaction des revendications légitimes des travailleurs et des masses laborieuses.

Nous considérons que la Communauté européenne de défense est un danger mortel pour la paix et la sécurité de la France, et que la seule solution possible à son sujet est son rejet pur et simple et non pas son application, même sous une nouvelle forme quelconque.

Le rejet de la Communauté européenne de défense conditionne la mise en œuvre d'une politique européenne de sécurité collective et un règlement pacifique du problème allemand. Il est impossible, par ailleurs, d'envisager une véritable solution des problèmes en Tunisie, au Maroc et en Algérie sans faire droit aux aspirations des peuples de ces pays.

Mais, vous l'avez dit vous-même, pendant les quatre semaines qui viennent, une tâche sacrée est à accomplir: Rétablir la paix en Indochine, cette paix que nous n'avons cessé de réclamer depuis qu'a commencé cette guerre injuste. Nous avons la certitude d'avoir agi ainsi en patriotes clairvoyants (Exclamations sur divers bancs), soucieux de la cause de la classe ouvrière, du peuple et de la France. (Applaudissements à l'extrême gauche.)

Notre action a contribué puissamment au fait qu'aujourd'hui, en votre personne, un président du conseil désigné vient dire à cette tribune: La première urgence est la paix en Indochine, car telle est la volonté populaire.

En votant votre investiture, nous vous donnerons les moyens de faire la paix en Indochine. (Vives exclamations à droite et sur plusieurs bancs au centre. – Applaudissements à l'extrême gauche.)

M. Jean Catrice. Vous acceptez le réarmement allemand ?

M. François Billoux. Nous vous donnerons ainsi la possibilité de traduire demain vos paroles en actes.

En faisant la paix en Indochine, c'est la France et son peuple qui gagneront. (Vifs applaudissements à l'extrême gauche.)

M. le président. Monsieur le président du conseil désigné, il n'y a plus d'orateur inscrit.

Je suppose que vous désirez une suspension de séance pour préparer votre réponse ? (Mouvements divers.)

J'ai dit « je suppose », mais je sais que M. le président du conseil désigné désire une suspension de séance que personne ne saurait lui refuser. (Applaudissements à gauche, au centre, à droite et à l'extrême droite.)

En conséquence, la séance est suspendue jusqu'à vingt et une heures.

(La séance, suspendue à dix-huit heures dix minutes, est reprise à vingt et une heures et demie.)

M. le président. La séance est reprise.

Mes chers collègues, à l'heure qui avait été fixée, j'ai fait annoncer la reprise de la séance, mais, à ce moment même, M. le président du conseil désigné me demandait de prolonger la suspension d'une demi-heure.

II vient, à l'instant, de me prier de demander à l'Assemblée de bien vouloir lui accorder une dizaine de minutes encore.

Si vous le voulez bien, nous allons attendre en séance l'arrivée de M. le président du conseil désigné. (Assentiment.)



Excuse et congé

M. le président. M. Barrachin s'excuse de ne pouvoir assister à la suite de la présente séance et demande un congé.

Le bureau est d'avis d'accorder ce congé.

Conformément à l'article 42 du règlement, je soumets cet avis à l'Assemblée.

Il n'y a pas d'opposition ?...

Le congé est accordé.



Reprise du débat sur l'investiture de M. le président du conseil désigné

M. le président. Je pense que l'Assemblée ne gardera pas rancune à M. le président du conseil désigné de se présenter avec quelques minutes de retard. (Non ! non !)

La parole est à M. le président du conseil désigné.

M. Pierre Mendès-France, président du conseil désigné. Mesdames, messieurs, je remercie M. le président et je demande en effet à l'Assemblée de ne pas me garder rancune d'un retard involontaire. J'espère qu'au contraire elle voudra reconnaître l'effort que j'ai fait pour réunir un certain nombre d'éléments qui me permettront de répondre avec plus de précision et plus de détails aux questions qui m'ont été posées.

Je répondrai à toutes ces questions en raison même de leur importance et pour que ce débat, quelle qu'en soit l'issue, soit utile pour le pays. C'est la raison pour laquelle j'ai tenu à réunir des informations et des renseignements que je vais maintenant vous donner sur les points qui ont fait l'objet de vos interrogations.

Je parlerai d'abord rapidement – et l'on me comprendra – des problèmes économiques qui ont été visés par Mme Poinso-Chapuis et par M. Guy Petit.

Mme Poinso-Chapuis m'a demandé des précisions détaillées sur mon programme économique et sur les moyens de le réaliser.

J'avoue que cette question m'a placé dans un certain embarras. J'ai été amené à me demander si je devrais infliger à une Assemblée, qui m'a paru désireuse d'aboutir ce soir au vote, un développement qui risquait d'être long, un développement que je présenterai de toute manière dans un mois, si vous m'accordez votre confiance, et qui, alors, nécessitera le débat approfondi qui ne peut pas avoir lieu ce soir.

Mais le programme auquel j'ai fait allusion, je l'ai exposé en détail devant vous il y a un an. Il demeure valable. On le trouve au Journal officiel. Et dans le détail du scrutin qui a suivi mon discours, on peut voir que Mme Poinso-Chapuis l'avait approuvé de son vote. (Rires et applaudissements à gauche et sur quelques bancs à l'extrême droite.}

Mais pour que nous puissions aborder ce travail de redressement économique, ce travail d'expansion auquel tient Mme Poinso-Chapuis, comme j'y tiens moi-même, une question préalable se pose, nous le savons bien aujourd'hui. Cette question préalable qui sera, je le dis d'avance, le leitmotiv de mes explications, c'est la nécessité de donner à ce pays l'atmosphère de paix sans laquelle rien de constructif ne sera fait.

M. Guy Petit, revenant aussi sur ces questions économiques, m'a plus spécialement interrogé sur la réforme fiscale. Là encore, il m'excusera de ne pas m'arrêter longuement sur une question dont j'ai parlé à cette tribune à plusieurs reprises. Mais la mention qu'il a relevée dans ma déclaration d'investiture et, je l'espère, parfaitement claire.

J'ai fait allusion à une réforme récemment votée par le Parlement, celle de la taxe sur la valeur ajoutée dont la première étape – je m'en réjouis – doit se réaliser dans quelques jours par son entrée en vigueur le 1er juillet prochain.

M. Guy Petit, qui a participé aux travaux de la commission des finances, sait que la loi votée prévoit deux étapes ultérieures destinées à compléter et à parachever la réforme. Il me paraît de bonne politique de solliciter du Parlement l'autorisation de prendre par décrets, le moment venu, les mesures d'application d'une réforme dont le principe est maintenant inscrit dans notre législation fiscale et qui doit entraîner – c'est pour cette raison que vous l'avez adoptée – les plus heureux effets sur le plan économique en stimulant et en développant la production nationale.

Mais j'ai hâte d'en venir aux vastes problèmes de l'Union française qui ont été évoqués par un grand nombre d'interpellateurs. Je répondrai tout d'abord à l'importante intervention de M. Senghor.

A vrai dire, M. Senghor ne m'a pas posé de question et je l'en remercie. Il ne m'a pas posé de question parce qu'il estime avec raison que je mesure pleinement l'importance de l'Afrique au sein de la communauté française. Il sait que je suis d'accord avec lui pour penser que la France sera demain ce que sera l'Afrique française.

M. Senghor et ses amis peuvent être assurés que mon gouvernement, si vous me permettez de le constituer, se préoccupera des moyens de réaliser vraiment cette prospérité, cette grandeur africaine dont la métropole est, à son tour, si dépendante.

Seule, la paix revenue en Asie permettra à la France de reporter sur l'Afrique, et dans une perspective pacifique, l'immense effort qu'elle a dû consentir pour alimenter la guerre en Asie.

Les difficultés que nous rencontrons en Afrique résultent paradoxalement du succès même de notre action dans ces territoires, succès qui a provoqué une prodigieuse poussée démographique et suscité aussi des aspirations que nous ne pourrons satisfaire que progressivement.

M. Senghor a dit que l'Afrique est le continent de demain. Je suis d'accord avec lui. Je pense même que, si nous voulons conserver avec elle, demain, les liens que nous souhaitons, elle doit être le continent d'aujourd'hui.

C'est pourquoi le gouvernement que je constituerai a conscience que la France doit aborder en Afrique la grande aventure du XXe siècle, assurer le plein emploi et la prospérité dans ces territoires que l'on a coutume de dire sous-développés.

La réalisation de cette immense tâche associant les pays d'outre-mer et la métropole au sein d'une Union française enfin organique, permettra, seule, d'assurer, dans le cadre d'une communauté fondée sur l'intérêt réciproque, les décentralisations nécessaires.

La fin du pacte colonial, puisqu'on en a parlé, ce ne serait pas d'abandonner les pays d'outre-mer à leurs ressources propres, c'est-à-dire à leur misère propre, ni de leur consentir la liberté de se livrer à une autre, tutelle, mais de leur donner, sur les ressources de la métropole, les moyens d'un développement personnel et complémentaire. (Applaudissements à gauche, sur plusieurs bancs à l'extrême droite et sur divers bancs.)

C'est la mise en œuvre de ce plan, comparable au plan de Colombo, appliqué à l'ensemble de l'Union française, qui constituerait une des pièces maîtresses de la politique que mon gouvernement se proposerait d'appliquer. (Très bien ! très bien ! à l'extrême droite.)

M. Hénault, M. Guy Petit m'ont interrogé sur la Tunisie et sur le Maroc. En particulier, M. Guy Petit m'a demandé avec quels interlocuteurs j'entendais engager ou reprendre le dialogue interrompu dans ces pays.

Je vais répondre à M. Guy Petit avec toute la clarté qu'il désire.

Je suis certain qu'en me posant cette question notre collègue était anxieux de connaître mon altitude à l'égard des amis si fidèles que la France compte au Maroc et en Tunisie. A ce propos, je répondrai que j'estime que l’on ne doit jamais abandonner ses amis, mais que j'estime aussi que l'on ne doit pas considérer comme ennemi tout nationaliste tunisien ou marocain. (Très bien ! très bien ! sur plusieurs bancs à gauche et à l'extrême droite.)

Le nationalisme qui veut réaliser ses aspirations dans l'amitié de la France ; le nationalisme qui veut maintenir avec elle les liens d'une solidarité politique reconnue indispensable pour les deux parties en présence ; le nationalisme qui ne met pas en cause la pleine sécurité des Français installés en Afrique du Nord et ne conteste pas la présence et les droits de ceux sans le travail et l'effort desquels ces pays n'auraient pas connu les progrès qui font aujourd'hui l'admiration des juges les plus sévères ; le nationalisme qui se réclame des principes que la France a enseignés au monde, un tel nationalisme n'est pas notre ennemi. (Applaudissements à gauche et sur plusieurs bancs au centre, à droite et à l'extrême droite.)

Lyautey disait déjà que les Marocains ont non seulement le droit, mais le devoir d'être nationalistes. Eh bien ! nous, nous avons le devoir de ne pas tolérer les désordres, comme le devoir aussi de ne pas rejeter dans l'opposition, de ne pas décourager de l'amitié française des nationalistes sincères qui ne contestent pas la permanence des liens entre leur pays et la France. S'il m'était permis de me citer moi-même, je rappellerais deux phrases du discours qu'en semblables circonstances j'ai prononcé à cette tribune, l'année dernière :

« Je pense, disais-je, qu'il ne faut pas hésiter à aller plus loin, sans oublier que si le dialogue peut être fructueux avec tel ou tel de ceux qui ne nous ont pas fait confiance jusque-là et que nous devons ramener à nous, en les forçant à reconnaître notre bonne foi, d'autres peut-être se sont comportés comme d'irréconciliables ennemis de la France lorsque, par exemple, ils ont prétendu la mettre en accusation devant l'étranger.

« Que les circonstances aient réuni contre nous les uns et les autres, voilà bien le drame ; mais que les premiers reviennent vers nous et la solution sera acquise. »

Si certains craignent que la poursuite de ces dialogues ne soit un encouragement à la persistance du terrorisme et à sa contagion, qu'ils se reportent à ma déclaration de tout à l'heure : ma résolution de ne tolérer aucune menace à la sécurité de la France et à celle de ses amis ne comporte aucune équivoque.

J'arrive maintenant, mesdames, messieurs, aux deux grands problèmes auxquels vous me permettrez de réserver quelques explications plus détaillées, et d'abord, celui de l'Indochine.

M. de Bénouville a relu un discours que j'ai prononcé à cette tribune le 22 novembre 1950, époque depuis laquelle – il en conviendra – quelques événements ont légèrement modifié la situation. Toutefois, ces lectures et ces citations n'ont pas été suffisantes pour me faire regretter les avertissements que j'ai prodigués depuis des années sur cette grave question de l'Indochine. Mais réciproquement – que M. de Bénouville se rassure – je n'aurai pas la cruauté de relire ici les discours que lui-même a consacrés au même sujet et les perspectives qu'il nous annonçait si nous poursuivions la politique qui était la sienne. (Applaudissements et rires à gauche et sur divers bancs.)

Lorsqu'on nous a demandé de voter des crédits pour la continuation de cette politique, j'ai dit souvent qu'à mes yeux c'était trop, ou pas assez pour la victoire militaire qu'on se flattait d'obtenir. Il aurait fallu, pour y parvenir, déployer des moyens beaucoup plus étendus ; il aurait fallu sans doute, dès 1948 ou 1950, avoir le courage d'envoyer le contingent. Or, je ne sache pas que M. de Bénouville ait jamais proposé une telle mesure.

Je disais à cette tribune, en 1950, que c'était le prix qu'il fallait payer.

M. Pierre de Bénouville. Je n'étais pas député en 1950.

M. le président du conseil désigné. Monsieur de Bénouville, vous n'étiez pas député, mais il y a longtemps que vous vous intéressez à la chose publique et aux grands intérêts nationaux. J'ai lu souvent des articles de talent que vous avez publiés dans la presse et je regrette de dire que je n'y ai jamais trouvé la trace des suggestions dont je parlais.

M. Pierre de Bénouville. Je n'ai pas demandé la réduction du service militaire. (Mouvements divers.)

M. le président du conseil désigné. Mesdames, messieurs, puisque l'on n'entendait pas, en 1950, envoyer le contingent en Indochine – et l'on avait bien raison, car ce n'est jamais cette politique-là que j'ai recommandée – puisqu'on ne voulait pas mettre ce prix, il fallait alors faire la paix – c'est ce que je n'ai jamais cessé de dire – en utilisant les atouts dont nous disposions alors et dont beaucoup, hélas ! ont été perdus depuis.

Au surplus, je n'ai pas compris la conclusion de mon interpellateur. Selon lui, pour faire la paix, il faudrait d'abord un succès militaire complet. J'en appelle à l'expérience militaire de notre collègue: quels moyens préconise-t-il pour remporter la victoire ? Est-ce enfin l'envoi du contingent ? Est-ce la bombe atomique ? Est-ce la généralisation du conflit ?

Voilà ce qu'il ne nous a pas dit. Ce sont, cependant, les alternatives – les seules mais cruelles alternatives – à la politique que je préconise ce soir devant vous.

Sans doute M. Garet, M. Hénault ont-ils laissé entendre que j'étais bien présomptueux en me flattant de réaliser en quatre semaines ce que nous attendons, hélas ! depuis tant de mois. M. Hénault a même indiqué qu'à son avis le délai de quatre semaines dont j'avais parlé dans ma déclaration pourrait inviter l'adversaire à se durcir.

Mesdames, messieurs, je n'en crois rien. L'adversaire va se trouver, demain, en présence d'un délai clairement affirmé à la face de ce pays et à la face du monde. Il saura qu'il doit, lui aussi, dans ce délai, prendre sa détermination. (Exclamations au centre et à droite.)

Il ne s'agira pas d'une initiative diplomatique banale : c'est le Parlement français, parlant au nom de la nation tout entière, qui va affirmer, par sa décision, qu'il veut la paix, qu'il veut une paix honorable et digne et qu'il la veut prochaine. Lorsque vous aurez pris vos responsabilités, il appartiendra aussi à l'adversaire de prendre clairement les siennes. (Applaudissements à gauche et sur quelques bancs à l'extrême droite.)

On m'a demandé si je me croyais plus capable que mon prédécesseur de parvenir au résultat recherché. Non, certainement non. Mais j'aurai derrière moi la décision solennelle du Parlement français, sur le sens de laquelle personne, ni en France ni à l'étranger, ne pourra se méprendre.

Cette décision aura, croyez-le bien, un grand retentissement à Genève, et j'en attends, pour ma part, des conséquences salutaires pour le l’établissement de la paix.

Une voix à droite. Avec les cent voix d'en face !

M. le président du conseil désigné. Nous évoquons un problème suffisamment grave, mon cher collègue, pour que vous évitiez certaines interruptions, dont le moins qu’on puisse dire est qu'elles sont étrangères à la dignité qui doit être conservée à cette discussion. (Applaudissements à gauche.)

M. André Mutter. Je suppose que vous ne vous adressez pas à moi ? Je n'ai rien dit. Je vous écoute.

M. le président du conseil désigné. Je m'adresse à l'un de nos collègues dont j'ai entendu la voix sans pouvoir le distinguer.

Mme Poinso-Chapuis m'a demandé avec qui je négocierai à Genève.

Je négocierai avec nos adversaires. C'est l'objet même de toute négociation et je m'excuse de cette lapalissade. Celte négociation – je l'ai dit cet après-midi et je le répète – sera poursuivie en étroite liaison avec nos alliés et avec les États associés.

Mais je comprends la question qui m'a été posée par plusieurs d'entre vous lorsqu'ils m'ont demandé quelle serait la situation dans le cas d'un échec. La question est importante et je me la suis moi-même posée.

Mme Poinso-Chapuis, M. Hénault, M. Garet ont, en effet, évoqué cette possibilité et je ne l'oublie pas.

Je crois pouvoir affirmer, mesdames, messieurs, que si les efforts de la délégation française, par malheur, se révélaient infructueux, si la guerre devait se poursuivre et s'étendre en Indochine, je laisserais à mes successeurs une situation meilleure que celle que j'aurais reçue.

Sur le plan militaire, j'aurais pris, dans l'intervalle, ces précautions dont je parlerai tout à l'heure. (Murmures au centre.)

Sur le plan diplomatique, la preuve catégorique, la preuve irréfragable des intentions françaises aurait été faite, et de manière éclatante, et personne ne pourrait mettre en cause ni nos intentions ni nos mobiles.

Sur le plan intérieur, notre peuple saurait que ce n'est pas par la faute de ses représentants au Parlement ou au Gouvernement que le conflit se prolonge ou s'étend.

Aussi, dans cette hypothèse que je veux écarter de toutes mes forces, mais que nous avons Ie devoir de considérer, Ie peuple français accepterait-il sans doute plus aisément les mesures pénibles qui pourraient alors devenir nécessaires. (Applaudissements sur certains bancs à gauche et sur divers bancs à l'extrême droite.)

A vrai dire, certaines de ces mesures devront intervenir avant.

Nous ne resterons pas inactifs tandis que, de l'autre côté du front, l'adversaire prépare peut-être une nouvelle offensive.

Le Gouvernement prendra donc, dans les jours suivants, les mesures qui relèvent de lui et qui ont été mises à l'étude depuis plusieurs semaines déjà. Il étudiera le détail de ces mesures en toute connaissance de cause. Il vous en tiendra informés le moment venu.

Cette déclaration, mesdames, messieurs, ne vous étonnera pas car, le 9 juin, à cette tribune, au moment où j'interpellais le Gouvernement, je tenais à ce qu'il n'y ait pas d'ambiguïté au moins sur ce point.

Je m'excuse de procéder à une citation ; voici deux phrases du discours que j'ai prononcé ici il y a quelques jours à peine :

« Je le dis nettement, aucun Français digne de ce nom ne refusera son assentiment aux mesures qui seraient nécessaires demain pour assurer la sécurité des nôtres qui sont là-bas...

« Qui refuserait l'aide dont ils ont besoin à ces soldats qui viennent d'écrire une nouvelle page d'héroïsme, qui combattent à 12 000 kilomètres de la patrie et dans les conditions matérielles et psychologiques les plus cruelles et les plus ingrates ? Oui, qui oserait proposer de les abandonner au milieu des périls ? »

Mais, mesdames, messieurs, si c'est notre devoir de fournir à ceux des nôtres qui sont là-bas l'aide dont ils ont besoin ; si c'est même, je le dis nettement, notre devoir d'envisager le pire, d'envisager que, par malheur, la négociation puisse ne pas aboutir, et de prendre, par conséquent, les précautions qui s'imposeraient, c'est un devoir, je le .dis nettement aussi, auquel nous ne manquerons pas. Mais, dans le même temps, nous ferons tout ce qui dépend de nous pour éviter l'échec et pour que ce soit la cause de la paix qui l'emporte et qui prévale.

Je n'ai pas de prétention au monopole de l'attachement eu de l'amour de la paix. M. Caret m'a dit cet après-midi que le désir de paix est partagé par un grand nombre de députés. Je le sais bien et c'est pourquoi je leur demande de m'aider dans mon entreprise.

Il me semble cependant qu'après un débat de ce genre et la décision que je vous demande de prendre, les chances de paix seront accrues et renforcées et que vous aurez, par votre vote, mis une nouvelle et puissante arme de paix dans les mains de vos négociateurs.

J'arrive maintenant à la question de la Communauté européenne de défense.

M. Hénault a apporté l'adhésion de son groupe à l'appel que j'ai lancé de cette tribune pour rapprocher tous les patriotes sur cette dramatique question de la Communauté européenne de défense, qui, selon Mme Poinso-Chapuis – et comme elle a raison ! – pèse si lourdement sur notre vie politique et sur toute majorité possible.

Je n'ai jamais changé d'opinion. J'ai toujours dit que, dans une matière aussi délicate, aucune solution n'était bonne, je dirais même admissible, si elle ne résultait que de la décision unilatérale prise par une faible majorité contre une minorité ardente.

J'ai toujours dit qu'en pareille matière un large accord national s'impose. D'ailleurs, tous les pays démocratiques ne nous donnent-ils pas l'exemple en pratiquant ce qu'on appelle une politique bipartisane lorsque sont en cause les grands et durables engagements qu'ils doivent contracter ?

L’an dernier, à cette tribune, sur cette question de la Communauté européenne de défense, j'ai exposé mon point de vue en des termes que M. Garet a relus tout au long et qu'il a approuvés, m'a-t-il semblé.

Comme je n'ai pas changé d'avis et que je reprends sans réserve ce que j'ai dit l'an passé, M. Garet peut sans hésiter m'accorder sa confiance. (Sourires sur divers bancs.)

M. Pierre Garet. Je n'ai pas dit cela.

M. le président du conseil désigné. J'ai proposé tout particulièrement ce que j'ai appelé une confrontation des thèses antagonistes.

Mme Poinso-Chapuis m'a dit que cette confrontation s'était déjà faite. Je n'en crois rien. Nous avons assisté, depuis plusieurs années déjà, à d'interminables polémiques, tantôt passionnelles et idéologiques, tantôt juridiques au cours desquelles les deux parties se sont crispées, durcies sur leurs positions respectives.

Je ne crois pas qu'un véritable effort, qu'un effort suffisant ait été fait pour les rapprocher, pour demander à chacune des sacrifices ; ces sacrifices, seuls, permettront la conciliation qui est indispensable dans l'intérêt de l'unité nationale ; des sacrifices, je le rappelle, sur les moyens, puisque tout le monde est d'accord sur le but que nous voulons atteindre.

M. Jean Binot. Non.

M. le président du conseil désigné. Ce sera la tâche du Gouvernement de dire à chacune des parties qu'elle a plus à attendre d'un accord de conciliation que d'une intransigeance qui annule toute possibilité constructive, qui paralyse l'action, qui retarde toute solution, qui porte atteinte à notre situation internationale et démoralise le pays et son armée.

Le Gouvernement mettra donc en présence des représentants qualifiés des deux écoles de pensée qui s'affrontent. Son rôle essentiel sera de faciliter leur collaboration.

S'il ne parvient pas à les rapprocher, il prendra lui-même ses responsabilités et proposera au Parlement les textes sur lesquels celui-ci se prononcera.

Mme Poinso-Chapuis m'a demandé le détail de ces textes. Comment donnerais-je ici la moindre précision .sans compromettre l'effort de rapprochement que je veux entreprendre ? C'est seulement après avoir mesuré ce qui sépare adversaires et partisans de la Communauté européenne de défense, mais aussi après avoir apprécié leurs points de convergence, que des propositions claires et nettes pourront être élaborées.

Bien entendu – et sur ce point c'est à M. Garet que je réponds – ces propositions devront tenir compte de la situation internationale, des perspectives dans lesquelles s'inscrit la politique de nos alliés et des nécessités de la défense occidentale.

J'y insiste, il ne s'agit pas – et je pense que sur ce point il ne peut y avoir aucun malentendu – d'une nouvelle mesure dilatoire, d'un nouveau retard ; c'est avant les vacances parlementaires que l'Assemblée nationale devra clairement se prononcer.

Avant de conclure sur ce point, je demande à Mme Poinso-Chapuis de comprendre la gravité politique de ce débat. Si, dans cette affaire de la Communauté européenne de défense, partisans et adversaires sont déterminés, quoi qu'il arrive, à ne se rien concéder, à ne se rien sacrifier les uns aux autres ; si, dans un débat d'investiture, on exige des candidats qu'ils prennent à ce sujet des positions catégoriques, aucune majorité ne pourra plus jamais se constituer dans cette Assemblée. (Applaudissements à gauche, sur plusieurs bancs au centre et à droite et sur de nombreux bancs à l'extrême droite.)

M. Raymond Triboulet. Ni dans celle qui lui succédera !

M. le président du conseil désigné. Vous vous acheminerez alors vers une véritable crise de régime, dans un moment où s'impose, au contraire, autant par les périls qui nous menacent que par les chances qui s'offrent au redressement national, une union comme la France a toujours su en réaliser dans les heures décisives de son histoire.

Je tiens, maintenant, à offrir mes remerciements à M. Billoux pour le précieux concours qu'il m'a apporté à cette tribune (Rires sur de nombreux bancs.) et pour les 90 suffrages supplémentaires qu'il a bien voulu apporter à mon investiture.

Sans doute M. Billoux, consacrant tout son temps à la préparation de son important discours, a-t-il omis de lire la presse ces derniers jours et dans doute ignore-t-il la détermination que j'ai prise – et que j'ai confirmée dans ma déclaration d'investiture à cette tribune – de ne pas accepter de voir figurer dans ma majorité d'investiture les voix qu'il est venu m'offrir si généreusement. (Applaudissements sur certains bancs à gauche et à l'extrême droite.)

Les raisons qui me déterminent en ce sens me paraissent décisives, en dehors même des désaccords politiques profonds qui me séparent de mon parti.

J'ai évoqué tout à l'heure la situation de nos combattants en Indochine. Je le demande à M. Billoux lui-même : quel serait demain le sentiment de nos combattants s'ils apprenaient que leur patrie, la patrie pour laquelle ils se battent, la patrie pour laquelle ils versent leur sang, est gouvernée par des hommes qui auraient été, ne serait-ce que partiellement, désignés par un parti qui depuis tant d'années les a désavoués, a condamné leur combat et a été jusqu'à refuser de rendre l'hommage qui est dû à « ceux qui pieusement sont morts pour la patrie » ? (Vifs applaudissements à gauche, au centre, à droite et à l'extrême droite.)

Ce n'est pas tout. Des raisons politiques commandent aussi ma décision. Nous allons demain négocier à Genève avec des hommes qui, depuis des années, sont nos adversaires. Je n'entends pas créer dans leur esprit la moindre illusion et leur donner à croire que la France est désormais, en face d'eux, représentée par un gouvernement qui devrait son existence au parti communiste, lequel tant de fois leur a marqué non seulement sa sympathie mais aussi sa solidarité.

Et lorsque, dans un mois, je reviendrai devant vous, porteur, je l'espère, d'un accord négocié, je veux aussi que vous tous n'ayez aucun doute sur les conditions dans lesquelles cet accord aura été obtenu et que vous ne puissiez pas redouter un seul instant qu'une circonstance politique quelconque ait pu porter atteinte à l'indépendance de la délégation française à Genève. (Applaudissements à gauche, à l'extrême droite et sur divers bancs à droite.)

Mais, mes chers collègues, l'incident qui s'est produit a la fin de la séance de cet après-midi soulève un problème politique nouveau, qui mérite réflexion.

On me dit que certains collègues ne veulent pas – et, au premier abord, je comprends leurs scrupules – mêler ce soir leurs bulletins de vote à ceux du groupe communiste. Cela signifie-t-il que, dans l'avenir, il suffirait que le groupe communiste vote une investiture, n'importe laquelle, pour qu'un grand nombre d'autres députés s'en détournent ?

Ainsi, c'est le parti communiste qui deviendrait l'arbitre, que dis-je ? le dictateur de nos débats ! (Applaudissements à gauche, à l'extrême droite et sur plusieurs bancs au centre.)

M. Jean Cayeux. C'est vrai pour la C. E. D. aussi ? (Vives exclamations à l'extrême droite et sur divers bancs.)

M. Raymond Triboulet. C'est de la politique de café du commerce, monsieur Cayeux !

M. Auguste Joubert. Le parti communiste a été également l'arbitre pour renverser le Gouvernement.

M. le président du conseil désigné. Il suffirait au parti communiste de feindre de se rallier à un candidat ou, peut-être, demain, par exemple, à une loi ou à une réforme pour les invalider.

Tomberez-vous dans ce piège qui vous est tendu une fois de plus ? Laisserez-vous au parti communiste le bénéfice de la manœuvre ? Le laisserez-vous une fois de plus peser sur vos décisions, et, selon les cas, les paralyser ou les commander ?

Ma déclaration d'investiture comportait, sans nul doute, un grand nombre de propositions auxquelles le parti communiste n'est pas habitué à apporter ses suffrages : la défense occidentale, le renforcement du pacte de l'Atlantique, la défense de nos intérêts en Extrême-Orient, la présence française en Afrique, que sais-je encore ? Mais ne serait-ce pas pour faire obstacle à des réformes qu'il redoute – car le parti communiste, dans tous les pays du monde, s'est toujours opposé aux réformateurs – qu'il a choisi celte heure pour prendre une initiative théâtrale ou spectaculaire ?

Écoutez, mes chers collègues, cette citation que j'extrais d'un vieux manuel que nous avons tous utilisé à l'école:

« Les barbares ayant envahi Athènes et ayant brûlé toutes les maisons, n'en laissèrent qu'une intacte : celle de Périclès. Ils voulaient ainsi désigner à la méfiance de ses compatriotes le citoyen qu'ils .détestaient le plus et qui avait bien servi la patrie. » (Applaudissements à gauche et sur divers bancs à droite et à l'extrême droite.)

Le parti communiste s'est livré ici ce soir à une opération politique. Je vous pose cette question: permettrez-vous que cette opération réussisse ? Refuserez-vous l'investiture à un homme qui s'engage à rechercher une paix honorable dans un bref délai et dans des conditions que vous auriez approuvées si cette opération n'avait pas eu lieu ?

Serons-nous les jouets du parti communiste ? Et – je vous le demande – le pays qui, demain, lira la déclaration d'investiture, le comprendrait-il ?

C'est vous qui devez lui donner la réponse.

Je répète, en tout cas, pour conclure sur ce point sans ambiguïté, que si la majorité constitutionnelle est de 314 voix, j'entends, en ce qui me concerne, qu'elle soit composée des députés auxquels j'ai fait appel dans ma déclaration d'investiture et que je ne la .tiendrai pour acquise que dans ces seules conditions.

M. Jacques Duclos. C'est anticonstitutionnel ! (Exclamations et rires sur de nombreux bancs.)

M. le président du conseil désigné. Mesdames, messieurs, on a beaucoup cité ce soir mes anciens discours et je veux en remercier mes interpellateurs. Il m'a semblé ne pas y trouver beaucoup de contradictions, mais plutôt des répétitions qui ont pu lasser parfois quelques-uns de mes auditeurs.

A vrai dire, un homme politique n'a que le choix entre se redire ou se contredire. J'appartiens plutôt à l’école de ceux qui se redisent et je m'en excuse.

Mais je voudrais que cela soit, pour vous, ce soir, une raison de plus de me faire confiance. Sans doute j'aurais pu, dans ma déclaration d'investiture, traiter de nombreuses autres questions, dont certaines fort importantes. J'aurais pu mentionner, par exemple, la réforme de notre Constitution que je crois urgente. Soit dit en passant, j'espère vivement qu'avant de se séparer, l'Assemblée aura pu adopter, en deuxième lecture, le premier train de réformes, lorsqu'il aura été voté par le Conseil de la République.

J'aurais pu aussi traiter des grands problèmes de structure que M. de Benouville a mentionnés avec plus d'éloquence que de précision. (Sourires.)

Mais ces grandes réformes de structure auxquelles j'aspire avec autant d'impatience que lui ne seront pas réalisées tant que régnera dans ce pays cette atmosphère de trouble que nous devons dissiper.

C'est pour cela qu'il faut d'abord la paix.

Mes chers collègues, sachons sérier nos ambitions. Sachons déterminer ce que sera la première pierre de l'édifice que nous avons à construire ensemble: c'est la paix ; c'est la paix d'abord.

En quatre semaines, je veux lutter pour l'obtenir. Quelques-uns d'entre vous, je le sais, ont paru sceptiques lorsque j'ai proposé celle échéance. Je ne suis pas sceptique et je ne suis pas pessimiste, car si la grande voix de la France s'élève une fois de plus dans le trouble qui règne aujourd'hui dans le monde, et si cette grande voix se prononce dans le sens de la paix, croyez-moi, elle ne sera pas sans écho.

Beaucoup de questions importantes m'ont été posées. A chacune d'entre elles il existe une réponse préjudicielle, une réponse sans laquelle toute solution technique reste illusoire et, cette réponse, je ne crains pas de le répéter, c'est la paix.

Si vous me demandez de résumer d'un mot ma politique, je vous réponds : je ferai la paix.

Si je réussis la paix, alors, nous pourrons promouvoir la grande politique africaine que souhaite M. Senghor ; alors le redressement économique et social qu'appelle une large majorité de cette Assemblée et à laquelle Mme Poinso-Chapuis a fait allusion, deviendra possible ; alors aussi, le plus irritant de vos fardeaux étant écarté, l'union nationale, sans laquelle aucun sursaut intérieur n'est possible, aucun crédit international ne peut être attendu, alors l'union nationale servira de base à l'un de ces sursauts dont notre pays a donné déjà des exemples éclatants au cours de son histoire. (Vifs applaudissements à gauche, sur plusieurs bancs au centre et à droite et sur de nombreux bancs à l'extrême droite.)

M. le président. Aux termes du troisième alinéa de l'article 45 de la Constitution, le « président du conseil et les ministres ne peuvent être nommés qu'après que le président du conseil ait été investi de la confiance de l'Assemblée, au scrutin public et à la majorité absolue des députés ».

A ce propos, j'ai reçu de M. Delbos la motion d'investiture suivante :

« En conformité de l'article 45, paragraphe 3, de la Constitution, l'Assemblée nationale investit M. Mendès-France de sa confiance ».

Mme Sportisse a demandé la parole pour expliquer son vote.

Sur de nombreux bancs à gauche et à l'extrême droite. Suspension !

M. le président. J'entends demander une suspension de séance.

Il n'y a pas d'opposition ? La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt-deux heures vingt minutes, est reprise le vendredi 13 juin, à zéro heure cinq minutes.)

M. le président. La séance est reprise.

La parole est à M. d'Astier de La Vigerie pour expliquer son vote.

Je rappelle que les explications de vote ne doivent pas dépasser cinq minutes.

M. Emmanuel d'Astier de La Vïgerie. Monsieur le président du conseil désigné, vous avez voulu vous présenter aujourd'hui, ici, comme un homme nouveau préconisant une politique nouvelle, mais vous paraissez trop préoccupé des mensonges répandus par les hommes qui nous ont menés où nous sommes.

Quels mensonges ?

Ces hommes appellent « capitulation » la volonté d'aboutir à un cessez-le-feu et à un règlement politique en Indochine.

Ces hommes appellent « renversement des alliances » toute velléité de sauvegarder notre indépendance dans le cadre même des traités existants et du pacte atlantique.

Ces hommes se proclament volontiers nationaux quand ils ont abandonné l'indépendance nationale au bénéfice d'une stratégie étrangère qui n'a aucun rapport avec nos intérêts nationaux. (Applaudissements à l'extrême gauche. – Protestations à droite.)

Nous sommes étonnés que vous, qui prétendez dire la vérité au pays, vous vous incliniez devant ces mensonges jusqu'à en reprendre un certain nombre à votre compte.

Nous ne croyons pas qu'il suffise d'avoir mené une guerre désastreuse en Indochine, d'avoir gravement compromis en Afrique le sort de l'Union française et d'avoir préparé le réarmement de l'Allemagne pour s'intituler parti national. (Applaudissements à l'extrême gauche.)

Vous avez déclaré, monsieur le président du conseil désigné, que vous ne feriez pas appel aux voix de « ceux qui ont, directement ou indirectement épousé la cause de ceux qui nous combattent ». Déjà, le 13 mai dernier, M. Laniel, s'adressant à certains de ses collègues de la majorité – dont vous étiez – les accusait de préférer compter sur nos ennemis plutôt que de faire fond sur nos alliés.

Pas plus que vous, nous n'avons cherché à compter sur des ennemis ; mais nous n'avons pas voulu faire, nous, du peuple vietnamien, l'ennemi de la France ; nous avons voulu en faire l'ami de la France. (Applaudissements à l'extrême gauche.)

Nous n'avons pas cessé de dénoncer une erreur et de vouloir la réparer, et cela dans l'intérêt national. Vous l'avez fait, vous, monsieur Mendès-France, avec quatre années de retard sur ceux dont vous prétendez aujourd'hui écarter les voix. (Applaudissements sur les mêmes bancs.)

Monsieur le président du conseil désigné, il y a onze années, nous avons combattu ensemble une politique qui abusait déjà du terme national et de certains procédés que vous avez employés à cette tribune. Vous n'avez pas songé alors, pas plus que le général de Gaulle, à récuser les concours qu'on vous apportait et qui vous ont permis peut-être d'être ici ce soir (Applaudissements sur les mêmes bancs.)

Aujourd'hui, l'avenir de la France comme grande puissance est de nouveau en cause, comme en 1943. Le bilan est tragique : de graves revers en Indochine, des menaces de guerre généralisée, des révoltes en Afrique du Nord, la perspective du réarmement de l'Allemagne et de son hégémonie en Europe.

Nous avons bien des réserves à faire sur votre programme social. Nous avons bien des réserves à faire sur votre comportement à l'égard de la communauté européenne de défense. Il nous semble étonnant, pour notre part, qu'un homme qui aspire à gouverner le pays n'ait pas une opinion définie sur la communauté européenne de défense et sur le réarmement de l'Allemagne. Mais nous considérons qu'il n'y a pas de tâche plus urgente qu'un cessez-le-feu et un règlement politique en Indochine.

C'est ce qui motivera nos votes. Ce que vous pensez de ces votes et de nos voix nous importe peu. (Rires à gauche et sur divers bancs. – Applaudissements à l'extrême gauche.)

Ces voix ne vont pas à votre personne ; elles vont à la paix. (Applaudissements à l'extrême gauche. – Protestations à droite el sur divers bancs.)

Il y aura peut-être, ce soir, ici, des dupes ; ce ne sera pas nous. (Applaudissements à l'extrême gauche. – Rires et applaudissements sur de nombreux bancs au centre et à droite.)

Il ne s'agit pas ici d'un jeu parlementaire dont vous venez de donner un exemple qui ne vous grandit pas. Il s'agit d'exprimer la volonté de paix des Français.

Enfin, nous estimons que, si l'occasion vous est donnée de mener à bien la tâche de paix que vous vous êtes assignée, si vous obtenez l'investiture, vous n'avez pas le droit de vous dérober. En vous dérobant, vous favoriserez la politique que vous avez si fortement condamnée. En vous dérobant, vous donnerez au pays des doutes sur votre sincérité, vous commettrez une lâcheté ; vous ferez le jeu de la guerre. (Protestations à gauche et sur de nombreux bancs. – Applaudissements prolongés à l’extrême gauche.)

M. le président. Monsieur d'Astier de La Vigerie, je vous rappelle à l'ordre pour le terme que vous avez employé. (Applaudissements sur de nombreux bancs.)

La parole est à M. Lussy. (Applaudissements à gauche.)

M. Charles Lussy. Monsieur le président du conseil désigné, il y a un an, lorsque vous vous êtes présenté pour la première fois devant cette Assemblée et alors qu'un groupe, qui vous apporte aujourd'hui si bruyamment ses voix, vous les refusait, le groupe socialiste vous les a déjà accordées parce que déjà, à cette époque, vous étiez à ses yeux le chef de gouvernement qui, avec énergie, voulait obtenir la fin des hostilités en Indochine.

Je m'étonne que le groupe communiste ait attendu un an pour vous apporter son concours. On se demande dans quelle intention et pour quelles fins, qui n'ont probablement aucun rapport avec les intérêts de la France, ni même peut-être avec ceux de la paix. (Applaudissements à gauche, sur de nombreux bancs à l'extrême droite et sur plusieurs bancs au centre et à droite.)

Je me référerai essentiellement, pour expliquer les raisons qui nous font, aujourd'hui, adopter la même attitude, au passage de votre déclaration dans lequel vous avez demandé « la confiance de l'Assemblée pour un premier délai de quatre semaines consacré à votre premier objectif: le « cessez-le-feu » indochinois.

Vous nous avez demandé une réponse claire. La réponse du groupe socialiste sera claire:

Nous n'entendons, aujourd'hui, mettre en cause, en aucune manière, les divers aspects de la politique intérieure ou extérieure, ni les problèmes d'Union française, ni la politique sociale, ni la politique financière.

Lorsque vous aurez accompli – avec succès, nous l'espérons – la première étape dont vous avez vous-même fixé le temps et le but, à ce moment-là, votre gouvernement devra sans doute – et je pense que c'est déjà dans votre intention – réclamer une sorte de deuxième investiture. C'est alors, et alors seulement, que nous aurons à discuter votre programme et peut-être à faire un certain nombre de réserves sur quelques-unes de vos propositions.

Nous avons tenu à vous le dire dès aujourd'hui, devant l'Assemblée nationale et devant le pays, afin qu'on sache exactement dans quelles conditions nous vous apporterons nos suffrages.

Depuis des années, nous n'avons cessé de réclamer à tous les gouvernements ce qu'aujourd'hui vous nous promettez de rechercher avec le maximum de tenace volonté et, ce qui importe plus encore, de conviction et de courage. C'est parce que nous connaissons votre caractère que nous vous faisons confiance.

Mais entendons-nous bien, la confiance que nous vous accordons, les bulletins que nous vous apportons, il est bien entendu que c'est pour vous permettre de mener à bien les négociations pour la paix, pour aboutir au cessez-le-feu attendu et à la paix. Si, par conséquent, quelque jour, comme l'indique votre déclaration, vous veniez demander à l'Assemblée de revenir sur la loi militaire pour envoyer le contingent en Indochine, vous devez savoir dès à présent que vous n'auriez probablement pas à compter sur les voix du groupe dont je suis le porte-parole à cette tribune. (Interruptions à droite. – Applaudissements à gauche.)

M. Jean Legendre. C'est la majorité de la capitulation !

M. Charles Lussy. En volant pour vous aujourd'hui, nous savons que nous répondons au sentiment du pays, dans lequel, à n'en pas douter, vos déclarations ont provoqué beaucoup d'émotion et aussi beaucoup d'espérance, comme votre première déclaration, dont le son nouveau avait emporté notre adhésion.

En votant pour vous, nous votons pour l'espérance. En vous apportant nos voix, nous entendons voter l'investiture du président du conseil de la paix. (Applaudissements à gauche.)

M. le président. La parole est à M. Jean Lecanuet. (Applaudissements au centre.)

M. Jean Lecanuet. Monsieur le président du conseil désigné, c'est la seconde fois en un an que nous sommes appelés, en vue d'assumer les responsabilités nationales, à faire crédit à votre personne sur vos déclarations.

L'an dernier, l'arithmétique, qui était en défaut, si elle est en excès aujourd'hui, vous avait trahi, de peu il est vrai, mais votre tentative ne devait pas demeurer sans traces ni, nous le voyons maintenant, sans lendemain.

Et voici qu'aujourd'hui se déploie dans cette enceinte votre talent retrouvé et l'on y reconnaît plus d'un accent auquel faisaient écho plusieurs de nos angoisses et certaines de nos aspirations.

Mais avant qu'il vous ait été donné de vous prononcer une nouvelle fois en candidat au gouvernement de la France, vous avez eu à vous exprimer en qualité de leader de l'opposition. C'est ce que vous avez fait dans votre discours à celte tribune la semaine dernière, et si votre intervention n'a été qu'un des facteurs de la crise, elle a été déterminante pour votre situation présente et pour la nôtre.

Aussi, pour nous déterminer à notre tour, devrons-nous nous référer à ce qui aura été l'acte originel de voire candidature, celui qui n'était pas enveloppé des prudences nécessaires que commande aujourd'hui votre qualité de président du conseil désigné.

Comment ne pas mesurer, malgré toute la sympathie que vous savez que je porte à votre personne, l'écart entre les deux langages d'une semaine à l'autre ?

Il y a huit jours, vous prononciez le réquisitoire le moins mesuré contre les équipes gouvernementales dont le comportement, depuis des années na jamais cessé, disiez-vous, d'être caractérisé par l'imprévoyance et qui, dans les temps les plus récents, se sont signalées par l'impulsivité, l'irrationalité et une contradiction continuelles.

Vous avez, la semaine dernière, en trente minutes de discours fameux, tranché, pour condamner, des problèmes sur lesquels vous avez voulu ensuite passer plus de trois jours à compléter votre information. Personne, certes, ne saurait vous reprocher ce souci d'information, mais peut-être souffrirez-vous que je vous dise qu'il n'aurait pas été moins bien venu chez le procureur que chez le postulant. (Applaudissements au centre et à droite.)

Vous avez cru, la semaine dernière, pouvoir établir une antithèse entre la pensée que vous prêtiez aux négociateurs français et la ténacité, l'inlassable patience, l'admirable connaissance de la psychologie asiatique avec lesquelles les Britanniques s'emploient à renouer les fils rompus.

Je me contenterai de vous demander aujourd'hui, en toute bonne foi : qui donc, hier et ce matin encore, vient de se rendre a Genève précisément pour renouer les fils rompus au moment où l'inlassable patience des Britanniques semblait avoir été mise à trop rude épreuve par l'attitude du camp adverse, en particulier par ce que vous avez appelé vous-même les sentiments modérés du chef de la délégation du Viet-Minh ?

En tout état de cause, un des premiers objectifs atteints, celui qui est devant nous, c'est la chute d'un gouvernement et la crise ouverte au milieu d'une conférence internationale, au terme d'un harcèlement que manifesta trois fois en trois semaines l'épreuve de la question de confiance, d'un harcèlement que vous jugiez naguère malsain lorsque, dans votre précédent discours d'investiture, vous disiez, parlant du Gouvernement, qu'il ne devait pas être arrêté dans son œuvre par la crainte constante d'être renversé et que vous ajoutiez :

« Le Parlement a, sans doute, le droit de retirer sa confiance au Gouvernement à chaque instant, mais le Gouvernement doit, lui aussi, à chaque instant pouvoir agir comme s'il était assuré de durer vingt ans. »

Vous vous fixez aujourd'hui quatre semaines ! (Applaudissements au centre et à droite.)

Du moins la crise maintenant ouverte pourra-t-elle avoir l'issue salutaire par laquelle vous tentiez hier de la justifier.

Nous venons de vous entendre. Quelle novation, monsieur le président du conseil désigné, apporte votre programme ?

Faire la paix, négocier, dites-vous, dans l'honneur et sans esprit de capitulation. Mais que, disaient d'autre, qu'ont jamais dit d’autre mes amis, quels qu'ils soient et à quelque gouvernement qu'ils aient appartenu ? (Vifs applaudissements au centre et à droite.)

Je me permets de vous le demander avec toute la sincérité que vous me connaissez: Accepteriez-vous, monsieur le président du conseil désigné, que l'on fit à votre endroit le procès d'intentions auquel vous cédiez hier ?

Et lorsque vous parlez de négociations dans l'honneur, toléreriez-vous que nous pensions un instant que vous cachez derrière cet objectif le contraire de vos desseins ? .Nous nous interdisons de céder à cette tentation indigne de vous, indigne du Parlement. (Applaudissements sur les mêmes bancs.)

Nous nous sommes étonnés de vous entendre dire que si vous n'obteniez pas la paix dans le délai de quatre semaines vous démissionneriez et vous remettriez à votre successeur la charge de faire la guerre.

Votre politique du choix prend ici l'aspect inattendu, permettez-moi de vous le dire, d'une politique de transfert des responsabilités. (Nouveaux applaudissements sur les mêmes bancs.)

Par contre, nous nous sommes vivement félicités de vous entendre dire qu'en poursuivant les efforts entrepris par la délégation française à Genève, vous pensiez pouvoir obtenir le cessez-le-feu en Indochine d'ici le 20 juillet. C'est là un hommage qui, quoique tardif, est rendu au ministre des affaires étrangères pour ses initiatives dont vous constatez aujourd'hui qu'elles servaient efficacement la paix. (Applaudissements au centre et à droite.)

Le concours, sans doute inattendu, sinon totalement imprévu, qui vous est promis de ce côté de l'Assemblée (L'orateur désigne l'extrême gauche) tend également, semble-t-il, à ne pas remettre en cause les efforts antérieurs et déjà commencés. Serait-il, lui aussi, un hommage nouveau, un hommage insolite, venant de ce côté, aux initiatives de la France, ou l'aveu, lui aussi tardif mais néanmoins notable et digne de remarque ce soir, que les méthodes utilisées par notre diplomatie dans les conférences internationales étaient valables puisque vous entendez les poursuivre ? (Applaudissements au centre et à droite.)

Nous tenons donc à prendre acte et de l'hommage et de l'aveu. Nous tenons à prendre acte de cette double reconnaissance de la volonté de paix manifestée en tous temps et en tous lieux par les représentants de la France, à Genève et ailleurs.

Mais s'il en est ainsi, pourquoi ce débat et pourquoi cette crise ? Pourquoi avoir interrompu ou menacé d'interrompre la conférence de Genève puisqu'il nous est annoncé maintenant de votre bouche, puisqu'il est reconnu que la poursuite de cette action diplomatique peut conduire réellement et rapidement à la paix ?

Pourquoi, à son tour, le parti communiste approuve-t-il aujourd'hui les conditions, les moyens et le cadre diplomatique d'une négociation qu'il condamnait hier dans ses desseins ?

C'est peut-être qu'il y a encore autre chose et que, sous le couvert de la paix passionnément recherchée, se cache une autre volonté. Ne s'agirait-il pas, en réalité, de tenter de remettre en cause l'ensemble de la politique internationale de la France et, particulièrement, sa politique européenne ?

La seule explication ne serait-elle pas que le parti communiste veut s'efforcer de montrer, non seulement aux Français, mais aussi au monde tout entier, qu'il pourrait, sinon dès ce soir, demain sans doute – et l'avertissement vient de nous en être donné – déterminer une majorité de rechange, ce qui donne une singulière signification, permettez-moi de vous le dire, mes chers collègues, aux solutions de rechange dont il a été tant question aujourd'hui ? (Applaudissements au centre et à droite.)

M. Charles Lussy. Vous avez tort de parler de majorité de rechange.

M. Jean Lecanuet. Je crains que vous ne soyez obligé d'y recourir dans quelques instants, monsieur Lussy. (Rires et applaudissements au centre.)

La novation que vous annonciez hier, la novation qui n'apparaît pas, qui ne peut pas apparaître dans les problèmes asiatiques, faut-il donc que nous la cherchions à propos des problèmes européens ? Mais quelle serait alors sa signification ?

Dans votre discours d'investiture de l'an dernier, vous dénonciez avec force l'erreur fondamentale des neutralistes. « Aucune politique imaginable, disiez-vous, ne saurait faire que si la guerre, par malheur, devait éclater à nouveau, nous puissions y échapper ».

Vous affirmiez en conséquence la nécessité de poursuivre le réarmement de l'Europe occidentale pour tenter d'équilibrer l'importante force militaire de l'Europe de l'Est et vous constatiez la cohérence et la continuité des votes successifs du Parlement fiançais se prononçant pour la création d'une force internationale qui incorporerait les contingents allemands plutôt que de voir se reconstituer une armée allemande autonome.

C'est sur ces constatations, sur ces affirmations que tant de mes amis et moi-même vous apportions, l'an dernier, avec notre vote, notre confiance. Nous étions sensibles au souci que vous semblez manifester de ne jamais séparer les principes de notre sécurité en Occident de la recherche de la paix négociée en Asie.

Il est vrai qu'à cette époque déjà, comme aujourd'hui encore, vous souhaitiez que l'inévitable réarmement allemand se fît sous une forme qui obtiendrait un large accord, inclinant ainsi vers ce qu'il est convenu d'appeler une solution de rechange.

Cette tendance, il est vrai aussi que vous l'ayez manifestée fort clairement le 24 novembre 1953, lorsque vous avez voté contre l'ordre du jour présenté par le groupe socialiste qui, favorable à la poursuite de l’édification d'une Europe unie, renouvelait son approbation de principe d'une armée européenne unifiée ouverte à toutes les nations démocratiques.

Une formule de rechange, dites-vous, ou de complément ; en quoi consisterait-elle ?

Si vous n'avez pas été en mesure, dans votre déclaration, ni dans vos réponses, de la définir, si même vous la subordonnez au règlement d'un nouveau préalable, le préalable indochinois, et si vous reportez jusqu'au 20 juillet le soin de vous prononcer sur une formule de compromis indéterminé, c'est sans doute parce que vous ne pourrez plus dissimuler ni à vos propres yeux ni aux nôtres son véritable caractère.

En admettant que vous puissiez trouver des interlocuteurs pour négocier une formule de rechange ou de complément, vous avez le devoir de vous dire et de nous dire dès maintenant qu'elle ne pourra envisager que la reconstitution inévitable d'une farce allemande autonome.

Si vous vous engagiez dans cette voie, vous vous mettriez en contradiction non seulement avec la volonté du Parlement, telle que votre précèdente déclaration d'investiture l'avait elle-même constatée, mais encore avec le souci du large consentement de l'opinion derrière lequel vous vous abritez aujourd'hui.

Il est clair, en effet, que cette formule nouvelle, en raison même de la conséquence qu'elle entraînerait infailliblement, dresserait contre elle la grande majorité de l'Assemblée.

Ne craignez-vous pas ainsi de détruire ce qui était devenu l'un des fondements de la politique française, sans être en mesure de les remplacer par rien, par rien du moins qui soit acceptable ?

Pourquoi ne pas dire, dès lors, dès aujourd'hui, que, dans votre manière, ce qui nous avait le plus séduit était votre appel aux options nécessaires ?

Ce courage d'oser et de choisir que vous avez si souvent invoqué vous adressant à la jeunesse, pourquoi ne le déployez-vous pas ce soir et pourquoi différez-vous sur le point le plus essentiel, le choix le plus important, celui-là même dont vous savez, par les nouvelles de Bonn, de Washington et même de Moscou, que si nous prétendons l'éluder, les événements le feront à notre place, sans nous et peut-être contre nous ?

Attendrez-vous pour le faire que M. Churchill et M. Eden soient revenus de Washington ? Et que se passera-!-il pendant que vous vous engagerez dans la réouverture des négociations sur le problème de la Communauté de défense ? Que pourrions-nous attendre ? Que Moscou renouvelle ou confirme ses propositions d'unifier l’Allemagne et de lui rendre son armée et non peut-être cette fois – nous le redoutons – sans éveiller un inquiétant écho ? Ou que nos propres alliés reviennent à leur projet de septembre 1950, que la France n'avait dépassé qu'en proposant cette solution qui demeure, à nos yeux, la seule solution de rechange, je veux dire, la Communauté européenne de défense ?

Qu'adviendrait-il, dès lors, de cette coexistence pacifique que vous souhaitez comme nous-mêmes et dont vous savez bien, comme nous-mêmes, qu'elle suppose un équilibre préalable des forces ?

Et sans équilibre, qu'adviendrait-il des possibilités de négociation ?

Je crains, monsieur le président du conseil désigné, que l'attente que vous inscrivez dans votre déclaration de ce soir ne compromette la détente. A notre tour de vous demander: Que choisissez-vous dans l'immédiat sur ces problèmes essentiels ?

Croit-on que les irrésolutions devant ce choix nécessaire soient de nature à fortifier votre position à Genève demain ? Croit-on que cette irrésolution puisse rapprocher en Indochine l'heure de la paix ?

On sait bien que, dans la mesure même où serait compromise la solidarité occidentale, ce serait encourager l'espoir qu'a toujours eu l'adversaire de nous acculer à la solitude, nous nous éloignerions de notre but commun.

La vérité, à nos yeux, c'est que, dès l'instant que la France s'écartera de la politique qu'elle-même a proposée au monde libre, dès l'instant qu'elle laisserait, par ses tergiversations, le monde libre incertain, elle se priverait, sur tous les terrains, de ses moyens diplomatiques les plus essentiels.

Ce serait l'isolement pour la France, toutes les tentations pour l'Allemagne, la désunion du monde libre. Voilà les risques dont nous percevons déjà les symptômes redoutables, et qu'amplifieraient l'attente, l'irrésolution et l'indécision dans les semaines qui viennent.

Nous nous refusons, pour notre part, à différer pour un instant un choix qui nous paraît nécessaire. C'est parce que nous sommes conscients de cette exigence, c'est parce que nous ne voulons pas compromettre ce soir la chance de bâtir l'Europe, la chance du dialogue et de la paix qui seule peut faire échapper l'univers à la division des blocs hostiles, que nous ne pouvons pas vous suivre lorsque vous nous proposez de prolonger l'attente et de surseoir, dans l'équivoque, au choix nécessaire.

Vous accorder ce soir la confiance, ce serait, à nos yeux, prolonger cette équivoque, donner à votre gouvernement cette figure composite et cette démarche irrésolue que vous décriiez hier chez les autres.

Nous ne voterons pas votre investiture, monsieur le président du conseil désigné, pour indiquer clairement que la crise que nous n'avons pas ouverte ne peut trouver d'issue que dans la continuité de la politique extérieure française, dans la volonté d'en assumer toutes les obligations, dans la force retrouvée d'une majorité résolue (Exclamations à gauche et à l'extrême droite. – Applaudissements au centre.) sur les exigences et les échéances maintenant inéluctables du progrès et de la paix. (Applaudissements au centre et sur plusieurs bancs à droite.)

M. le président, La parole est à M. Waldeck Rochet. (Applaudissements à l'extrême gauche.)

M. Waldeck Rochet. Mesdames, messieurs, M. Mendès-France a cru devoir se livrer à une attaque contre le parti communiste.

Nous savions déjà que les politiciens qui ne veulent aucun changement et qui sont prêts à précipiter le pays dans une guerre généralisée s'élevaient à l'idée que M. Mendès-France pourrait être investi et faire la paix en Indochine avec l'appui des voix communistes. Si l'on suit ces politiciens, il est logique, paraît-il, que M. Mendès-France renonce, en fin de compte, à faire triompher son projet de paix en Indochine, dès lors que les voix communistes sont nécessaires pour cela.

Je veux dire que ce chantage, auquel a cédé M. Mendès-France, est peut-être très astucieux de la part de ceux qui l'utilisent pour s'accrocher au pouvoir afin de poursuivre une politique condamnée par le pays, mais qu'il a le grave défaut de tourner complètement le dos à l'intérêt national et à la paix. (Applaudissements à l'extrême gauche.)

Car, enfin, mesdames, messieurs, l'intérêt de la France est de mettre fin à la guerre d'Indochine et, pour cela, il faut nécessairement s'appuyer sur tous ceux qui sont pour la paix, afin de battre ceux qui sont pour la guerre. (Applaudissements à l'extrême gauche.)

Pour tenter de justifier l'attitude qu'il a adoptée à l'égard du groupe communiste, M. Mendès-France a fait état de notre opposition à la guerre d'Indochine dès le début. C'est vrai : il y a plus de sept ans que nous luttons contre la guerre d'Indochine, et nous en sommes tiers (Interruptions à droite.), car fidèles aux traditions du mouvement ouvrier international et du mouvement ouvrier français, nous considérons que toute guerre faite contre un peuple qui lutte pour son indépendance et pour sa liberté va à l’encontre de l'intérêt national. (Applaudissements à l'extrême gauche.)

Comme l'a dit Karl Marx (Exclamations au centre et à droite) il y a un siècle : « un peuple qui en opprime un autre ne peut pas être un peuple libre ». (Applaudissements à l'extrême gauche – Exclamations, rires et applaudissements sur de nombreux bancs au centre, à droite, à l'extrême droite et à gauche.)

M. Pierre July. Et s'il en opprime plusieurs autres ?

Plusieurs voix au centre et à droite. Vive la Pologne !

M. Waldeck Rochet. Et c'est fidèle à cet enseignement qu'un jeune Français Henri Martin (Exclamations à droite et à l'extrême droite) a dit, devant la cour martiale: « J'aime trop la liberté pour mon peuple pour ne pas la vouloir pour les autres peuples ». (Applaudissements à l'extrême gauche.)

M. Mendès-France ne veut donc pas compter les voix communistes. Je tiens à souligner que le procédé est absolument contraire à la Constitution et au principe de la démocratie. (Rires et exclamations sur de nombreux bancs à gauche, au centre, à droite et à l'extrême droite.)

Suivre cette voie de la discrimination politique, cela revient, qu'on le veuille ou non, à décider que les cinq millions de travailleurs qui font confiance au parti communiste français ne doivent plus être représentés au Parlement. (Applaudissements à l'extrême gauche.)

Que vous le vouliez ou non, c'est une conception typiquement fasciste (Exclamations au centre, à droite et à l'extrême droite), et M. Mendès-France devrait être le premier à savoir que cette discrimination s'apparente fort au maccarthysme, qui a conduit à l'assassinat des Rosenberg. Nouvelles exclamations sur les mêmes bancs.)

M. Pierre Montel. Vous allez donc voter pour un fasciste !

M. Waldeck Rochet. M. Mendès-France ne veut pas compter les voix communistes.

M. Félix Gaillard. Alors, votez contre lui.

M. Waldeck Rochet. Mais, hier, pour renverser le gouvernement Laniel-Bidault, dont il jugeait la politique désastreuse et dangereuse...

M. André Burlot. Bravo ! C'est tout le problème.

M. Waldeck Rochet. ... on a bien été obligé de les compter et demain encore elles seront nécessaires pour empêcher le retour d'un tel gouvernement. (Applaudissements à l'extrême gauche et sur plusieurs bancs au centre.)

Ce qui est certain, mesdames, messieurs, c'est que demain le peuple de ce pays qui veut la paix ne comprendrait pas que M. Mendès-France, cédant au chantage des ennemis de la paix, abandonne, en fin de compte, la partie à leur profit.

De toute façon, notre position est claire. (Exclamations au centre, à droite et à l'extrême droite.) Oui, je veux répéter, après notre ami François Billoux, que ce qui déterminera le vote du groupe communiste dans ce débat, ce ne sont pas les sentiments que M. Mendès-France nourrit à notre égard (Rires et exclamations sur tes mêmes bancs), ce n'est pas la personne morale de M. Mendès-France, mais l'intérêt de la classe ouvrière, de la nation et de la paix. (Applaudissements à l'extrême gauche.)

Ce que nous voulons exprimer par notre vote, c'est la volonté de paix et de changement de politique de notre peuple et de notre pays. M. Mendès-France a fait, cet après-midi, des déclarations précises à propos de l'Indochine. Il a dit notamment:

« Si le conflit d'Indochine n'est pas réglé, et réglé très vite, c'est le risque de la guerre internationale, peut-être de la guerre atomique ».

II ajoutait : « Ma conviction a été confirmée qu'un règlement pacifique du conflit est possible. Le gouvernement que je constituerai se fixera un délai de quatre semaines pour y parvenir ».

Eh bien, oui ! Comme l'a dit notre ami François Billoux, nous, communistes, qui n'avons cessé de lutter pour la paix en Indochine, nous voulons mettre M. Mendès-France en mesure de réaliser ses déclarations, de mettre ses actes en accord avec ses paroles.

Notre parti a décidé qu'il était prêt à soutenir toute initiative d'un gouvernement qui s'affirmerait pour un cessez-le-feu immédiat et pour la conclusion de la paix.

Encore une fois, ce n'est pas la personne de M. Mendès-France qui compte, c'est la volonté de paix du peuple. (Exclamations et rires à gauche, an centre, à droite et à l'extrême droite. – Applaudissements à l'extrême gauche.)

Nous maintiendrons notre position, avec la conviction qu'ainsi faisant nous servons bien les intérêts de la France, les intérêts de la paix. (Vifs applaudissements à l'extrême gauche.)

M. le président. Conformément au troisième alinéa de l'article 45 de la Constitution, je mets aux voix, par scrutin, la motion d'investiture.

Je rappelle que la majorité constitutionnelle est de 314 voix.

Le scrutin est ouvert.

(Les votes sont recueillis.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?... Le scrutin est clos.

Conformément à l'article 82 du règlement, le pointage est de droit.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à une heure, est reprise à une heure cinquante-cinq minutes.)

M. le président. La séance est reprise.

Voici, après vérification, le résultat du dépouillement du scrutin sur la motion d'investiture :


Nombre des votants :466

Majorité constitutionnelle :314

Pour l'adoption :419

Contre :47

La majorité constitutionnelle étant atteinte, l'investiture est accordée à M. Mendès-France. (Vifs applaudissements à gauche, sur quelques bancs au centre et à droite et sur de nombreux bancs à l'extrême droite. – Sur certains bancs à gauche, MM. les députés se lèvent et applaudissent.)

 



Journal Officiel de la République française,
débats parlementaires, vendredi 18 juin 1954