Vérité romanesque

 

 

 

J 'ai toujours été étonné de la méprise qui fait du roman , pour tant d'écrivains, un instrument de connaissance, de dévoilement ou d'élucidation (même Proust pensait que sa gloire allait se jouer sur la découverte de quelques grandes lois psychologiques). Le roman est un addendum à la création, addendum qui ne l'éclaire et ne la dévoile en rien : ce qu'un enfant de sept ans sait parfaitement dès qu'il a mis le nez dans son premier vrai livre (il aura tout le temps de ses études pour tenter de l'oublier laborieusement). Que le roman soit création para itaire, qu'il naisse et se nourrisse exclusivement du vivant ne change rien à l'autonomie de sa chimie spécifique, ni à son efficacité : les orchidées sont des épiphytes.

Je ne sais pas ce que c'est que la vérité romanesque. Il y a une présence romanesque que chacun constate en face de Stendhal, de Dostoïevski ou de Dickens : elle se passe en tout point de la corroboration des expériences vécues du lecteur. La lecture d'un roman (s'il en vaut la peine) n'est pas réanimation ou sublimation d'une expérience déjà plus ou moins vécue par le lecteur : elle est une expérience, directe et inédite , au même titre qu 'une rencontre, un voyage, une maladie ou un amour - mais, à leur différence, une expérience non utilisable. Je relisais l'an dernier La Chartreuse de Parme, et parce que je la relisais d'un oeil purement critique, je la relisais avec un étonnement admiratif et amusé : il n'y avait pas une once de «vérité» là-dedans, pas plus de vérité historique, sociale, politique ou psychologique que dans les Trois Mousquetaires : il y avait une vision bien-aimée et un peu folle, doublée d'une passion réalisatrice captivée et captivante, qui s'imposait de bout en bout. Et il n'y a pas une once - j 'ose le dire - de «vérité» dans Dostoïevski : il a d'autres chats à fouetter.