Les vautours et les pigeons VII, 8

 

 

Mars autrefois mit tout l'air en émûte.
Certain sujet fit naître la dispute 
Chez les oiseaux ; non ceux que le Printemps 
Mène à sa cour, et qui sous la feuillée
Par leur exemple et leurs sons éclatants 
Font que Vénus est en nous réveillée ; 
Ni ceux encor que la Mère d'Amour 
Met à son char : mais le peuple Vautour, 
Au bec retors, à la tranchante serre, 
Pour un chien mort se fit, dit-on, la guerre. 
Il plut du sang ; je n'exagère point. 
Si je voulais conter de point en point 
Tout le détail, je manquerais d'haleine. 
Maint chef périt, maint héros expira ; 
Et sur son roc Prométhée espéra
De voir bientôt une fin à sa peine. 
C'était plaisir d'observer leurs efforts ; 
C'était pitié de voir tomber les morts. 
Valeur, adresse, et ruses, et surprises, 
Tout s'employa. Les deux troupes éprises
D'ardent courroux n'épargnaient nuls moyens 
De peupler l'air que respirent les ombres : 
Tout élément remplit de citoyens 
Le vaste enclos qu'ont les royaumes sombres. 
Cette fureur mit la compassion 
Dans les esprits d'une autre nation 
Au col changeant, au coeur tendre et fidèle. 
Elle employa sa médiation 
Pour accorder une telle querelle ; 
Ambassadeurs par le peuple Pigeon 
Furent choisis, et si bien travaillèrent, 
Que les Vautours plus ne se chamaillèrent. 
Ils firent trêve, et la paix s'ensuivit : 
Hélas ! ce fut aux dépens de la race 
A qui la leur aurait dû rendre grâce. 
La gent maudite aussitôt poursuivit 
Tous les pigeons, en fit ample carnage, 
En dépeupla les bourgades, les champs. 
Peu de prudence eurent les pauvres gens, 
D'accommoder un peuple si sauvage. 
Tenez toujours divisés les méchants ; 
La sûreté du reste de la terre 
Dépend de là : semez entre eux la guerre, 
Ou vous n'aurez avec eux nulle paix. 
Ceci soit dit en passant ; je me tais.