LE RAT ET L'ELEPHANT Livre VIII, fable 15

 

 

Se croire un personnage est fort commun en France.
        On y fait l’homme d’importance,
        Et l’on n’est souvent qu’un bourgeois :
        C’est proprement le mal françois .
La sotte vanité nous est particulière.
Les Espagnols sont vains, mais d’une autre manière.
        Leur orgueil me semble en un mot
        Beaucoup plus fou, mais pas si sot.
        Donnons quelque image du nôtre,
        Qui sans doute en vaut bien un autre.
Un Rat des plus petits voyait un Eléphant
Des plus gros, et raillait le marcher un peu lent
        De la bête de haut parage ,
        Qui marchait à gros équipage .
        Sur l’animal à triple étage
        Une Sultane de renom,
        Son Chien, son Chat, et sa Guenon,
Son Perroquet, sa vieille , et toute sa maison,
        S’en allait en pèlerinage.
        Le Rat s’étonnait que les gens
Fussent touchés  de voir cette pesante masse :
Comme si d’occuper ou plus ou moins de place
Nous rendait, disait-il, plus ou moins importants.
Mais qu’admirez-vous tant en lui vous autres hommes?
Serait-ce ce grand corps, qui fait peur aux enfants ?
Nous ne nous prisons pas, tout petits que nous sommes,
        D’un grain moins que les Eléphants.
        Il en aurait dit davantage ;
        Mais le Chat sortant de sa cage
        Lui fit voir en moins d’un instant
        Qu’un Rat n’est pas un Eléphant.