Textes

Camus Carnets III
1951

 

Mauriac. Preuve admirable de la puissance de sa religion ; il arrive à la charité sans passer par la générosité. Il a tort de me renvoyer sans cesse à l'angoisse du Christ. Il me semble que j'en ai un plus grand respect que lui, ne m'étant jamais cru autorisé à exposer le supplice de mon sauveur., deux fois la semaine, à la première page d'un journal de banquier. Ul se dit écrivain d'humeur. En effet. Mais il a dans l'humeur une disposition invincible à se servir de la croix comme d'une arme de jet. Ce qui en fait un journaliste de premier ordre, et un écrivain de second.Dostoïevski de la Gironde.

 

L'idée que je me fais de la vulgarité, je la dois à quelques grands bourgeois, fiers de leurculture et de leurs privilèges, comme Mauriac, dès l'instant où ils donnent le spectacle de leur vanité blessé. Ils essaient alors de blesser au niveau même où ils le furent et découvrent en même temps la hauteur exacte où ils vivent en réalité. La vertu d'humilité pour la première fois triomphe alors en eux. Petits pauvres, en effet, mais en méchanceté.

 

 

Extrait du dialogue avec les dominicains (1948)

 

En second lieu, je veux déclarer encore que, ne me sentant en possession d'aucune vérité absolue et d'aucun message, je ne partirai jamais du principe que la vérité chrétienne est illusoire, mais seulement de ce fait que je n'ai pas pu y entrer. Pour illustrer cette position, j'avouerai volontiers ceci : il y a trois ans, une controverse m'a opposé à l'un d'entre vous et non des moindres. La fièvre de ces années, le souvenir difficile de deux ou trois amis assassinés, m'avaient donné cette prétention. Je puis témoigner cependant que, malgré quelques excès de langage venus de François Mauriac, je n'ai jamais cessé de méditer ce qu'il disait. Au bout de cette réflexion, et je vous donne ainsi mon opinion   sur   l'utilité   du   dialogue   croyant-incroyant, j'en suis venu à reconnaître en moi-même, et publiquement ici, que, pour le fond, et sur le point précis de notre controverse, M. François Mauriac avait raison contre moi.