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La Porte des fées

 

 

Il est ainsi des lieux étranges qui fonctionnent comme des sas, des passages ou des portiques ! Ne nous y trompons pas : ils ne mènent pas nécessairement de l'ombre à la lumière. Cela seul Platon le crut, lui qui nous mit dans sa caverne. Parfois c'est tout le contraire qui se produit et ces lieux nous plongent de la lumière à l'ombre.

La Porte des Fées - c'est bien ainsi que l'on nomme cet amas pierreux non loin du Malzieu en quelques mètres après avoir quitté chapelle romane et cimetière de St Pierre-le-Vieux. Vous ne pourrez peut-être pas visiter l'église : elle n'est ouverte qu'une fois par semaine mais elle vaut qu'on se plante devant et regarde la jolie perspective qu'elle offre sur l'arrière.

 

 

 

De style roman quoique du XIVe siècle, bâtie sur le sie d'une église plus ancienne du XIe bâtie par les bénédictins de la Chaise-Dieu mais détruite entre-temps.Elle n'a pas de clocher quoique des restes de murs permettent de le situer et de penser qu'il s'agissait d'un clocher-mur.

 

 

Deux légendes

L'une est classique puisqu'elle promet à toute jeune fille qui se trouverait sous la porte au premier coup de minuit de la nuit de Pâques, descendrait rapidement jusqu'au fond des gorges de la Truyère, une bougie allumée dans une main, un récipient dans l’autre et parviendrait à remonter sous la porte avant le douzième coup, lui promettrait, dis-je qu'elle serait mariée dans l'année. Voici bien un rite de passage engageant classiquement fécondité et féminité tout juste singulier parce que ce portique ne débouche sur rien, juste une impressionnante paroi rocheuse en bas de quoi, effectivement, se faufile la Truyère. Il n'est sans doute pas de rite sans épreuve, mais celle-ci semble bien plus irréalisable que celles de nos contes même pour fringante et résolue jeune fille. La légende d'ailleurs ne dit pas si l'une quelconque y parvînt jamais.

La seconde justifie la référence aux fées puisqu'elle relate l'aventure malencontreuse d'un jeune berger qui, ayant perdu une de ses brebis, surprit en la cherchant, trois fées se baignant dans la Truyère. Les fées, on le sait, ne sont pas toute méchantes : celles-ci, surprises, promirent au berger à la fois richesse et amours accomplies pour peu qu'il se gardât d'éventer leur secret. Ce qu'il promit mais omit de faire puisque sitôt de retour au Malzieu, il s'empressa de raconter à la ronde la merveilleuse rencontre qu'il avait faite. Fut ce par vantardise ou par crainte, fut-ce tout simplement en le confiant aux autres villageois pour donner quelque consistance à cette histoire qui autrement ressemblait par trop à un rêve, délicieux mais un rêve nonobstant ? Toujours est-il qu'évidemment personne ne le crut, qu'on finit par le prendre pour un sot ou un fou et que pour récompense, en lieu et place des amours promises et de la fortune escomptée, il mourut pauvre et seul. Désespérément triste et contrit. Je ne sais si, comme le dit l'adage, toute vérité n'est pas toujours bonne à dire, en tout cas celui-ci parla ; ne sut pas se taire et le paya cher.

Voici toute l'ambivalence de la parole qui file aussi rapidement que plume au vent, de bénédiction à malédiction.

Mal parler ou parler du mal ?

blasphemia en grec : a-t-on jamais insisté sur le fait que le terme est le contraire exact d'euphémisme ? au sens général revient à diffamer, médire, calomnie ; au sens religieux c'est parole qui ne doit pas être prononcée lors d'un rite religieux ou de mauvaise augure, par extension,on y considérera parole impie, offensante à l'encontre des dieux. On sait que dans la tradition hébraïque, depuis le Décalogue, prononcer en vain le nom de Dieu fait partie du même interdit que celui de l’idolâtrie. C'est bien la vacuité ici qui est en jeu - et la vanité qui l'accompagne - laquelle fonctionne comme le contraire même du serment. Ici, brutalement, au mot ne correspond rien et ceci apparaît d'autant plus injurieux qu'il s'agit de la personne de Dieu, de l’Être au sens plein du terme. C'est l'engagement qui vient à faire défaut dans le juron avant même le fait de médire ou de calomnier - comme s'il se pouvait être paroles en l'air s'agissant du divin. D'où, dans le Sermon sur la Montagne, l'insistance à ne pas jurer et se contenter d'un oui ou d'un nom - tout le reste venant du Malin. (Mt 5,37)

L'euphémisme c'est parler bien parler du bien. Mesurer son propos, parler juste, peu ; jamais en négatif …

Les mots ont une puissance créatrice : parler, dit le Talmud en substance, c'est emprunter aux mots la puissance créatrice que Dieu y a dès la Genèse insufflé ; la moindre réponse que nous lui devions qu'il attend de nous c'est que nous nous y engagions comme lui s'est engagé - et n'a eu de cesse depuis - en prononçant la Parole originaire. Ce pourquoi l'étude de la Torah doit être publique et à haute et intelligible voix : elle vaut serment.

Le malheureux berger fit une promesse qu'il fut incapable de tenir : sa faute ne consista pas ici à avoir menti - il avait dit le vrai - mais à se parjurer. Dès lors, évidée de toute intention, de tout engagement, ses mots perdirent leur sens, sonnèrent creux et furent impuissants à produire d'autre conséquence que l'isolement et le malheur. Étymologiquement l'antonyme du blasphème est l'euphémisme que la rhétorique voit plutôt comme le contraire de l'hyperbole. Il n'est pas faux que l'euphémisme adoucit l’expression d'une réalité désagréable quand l'hyperbole en est la systématique exagération. Le grec craignait trop l'hubris - ὕϐρις - mais ce que l’hébreu fuit ce n'est pas l'outrance mais le mal, c’est-à-dire tout ce qui s'opposerait au divin ou bien en sous-estimerait la bonté.

Alors oui, vaut mieux savoir parler et plutôt se taire que de parler pour ne rien dire ou; pire encore, médire.

 

Qu'y-a-t-il de l'autre côté ? du miroir ou de la porte des fées ? mais surtout que voit-on si l'on se place de l'autre côté ? Comme ici où l'on voit la chapelle St Pierre de l'autre face des gorges ?

 

Que nous passions notre curiosité à scruter ce que nous ne voyons ni ne comprenons, voici tout le sel de la connaissance et l'instabilité de la posture humaine fondée ! Qu'il nous arrive parfois de voir ce que nous n'aurions pas du voir, sans doute ! et c'est bien ce qui arriva à notre malencontreux berger.

Mais pourquoi donc cherchons-nous avec tant d'obstination à nous mettre à la place de l'objet ? à deviner ce que l'objet verrait ? comment il nous voit ? Cette inversion n'est pas anodine ni d'ailleurs rare. Il ne fallut pas longtemps pour que l'on réalise que ce que nous percevions ne l'était que d'un point de vue, celui où nous étions placés et qu'élaborer un savoir total impliquerait d'occuper toutes les places possibles, en surface comme en profondeur, de la sphère de l'univers. Ichnographie impossible, seule accessible au divin. Le point de vue absolu, celui pris de l'autre côté revient à imaginer le monde nous regardant. Il n'est pas de contrées en France, ni sans doute ailleurs, où l'on ne raconte histoires insensées de puits, de caverne, de montagne ; d'où et où l'on verrait des choses, des êtres et des événements exceptionnels, maléfiques souvent, parfois non.

Connaissez-vous celle du Mirail ? racontée par M Serres :

un puits au fond duquel se terrait un monstre si abominable que, de seulement l'entrapercevoir, vous terrassait définitivement. A en deviner les contours difformes et flasques, quelque chose comme le souvenir d'une Gorgone remontait en mémoire … et vous faisait fuir ou le devrait faute d'y périr. Rémanences fétides, cris et hurlements ressemblant tantôt à de sourds grognements, tantôt à des feulements de bête traquée, sans compter les inquiétantes lumières se grisant alternativement de rouge puis de jaune puis leur mélange orange mais soufré prêtant inquiétante vie aux silhouettes devinées en contre-bas, oui, voici ce qui s'offrait à qui, de curiosité, se piquait d'enjamber la margelle ne serait ce que du regard. Le diable assurément. Il arriva qu'un jour, un jeune homme plus curieux que d'autres, peut-être simplement moins craintif, ou bien peut-être seulement empressé de prouver à sa promise sa virile témérité pour la mieux rassurer des années à venir, s'enquit non sans habileté et ingéniosité à prendre la bête à son propre jeu. Sous le treuil, à la place du seau, il plaça un miroir, tourna la glace vers le fond du puits. … Le monstre se vit et ne s'en remit pas. Le maléfice s'inversa. Est-ce pour cette raison que l'on appelle ce puits du Mirail, c'est-à-dire du miroir ?

Je vous l'avais dit … quand on creuse, le merveilleux n'éest jamais loin.