Histoire du quinquennat

Entre deux extrêmes
Libération du 23 mai 2012
THOMAS GUÉNOLÉ
Politologue au Cevipof
et maître de conférences à Sciences-Po



Selon toute vraisemblance, la droite perdra les prochaines élections législatives, principalement du fait des triangulaires provoquées par le Front national. En réalité, depuis 1997, la droite perd les élections lorsque les extrêmes peuvent se maintenir au second tour. Cette situation promettant à l’UMP des pertes lourdes et persistantes, elle crée sur elle une pression objective dans le sens d’une alliance avec le FN. Selon un récent sondage d’OpinionWay, plus des deux tiers des électeurs de Nicolas Sarkozy au premier tour de la présidentielle y sont d’ailleurs favorables. Déjà, lors des élections régionales de 1998, cette question avait provoqué une crise politique marquée par un premier éclatement de l’UDF et des cas d’alliance de fait. En outre, si la ligne de droitisation de Sarkozy a différé le problème lors de la séquence électorale de 2007, ce pis-aller a été suivi par l’abstention croissante du centre droit aux élections intermédiaires, les défaites systématiques de la droite à ces dernières, et une légitimation accrue des thèses du FN dans l’espace public. La stratégie des courants de Jean-François Copé peut contenir les fractures de la droite à court terme, mais cette pression continuera de croître.

Le problème est également appelé à se poser à gauche puisque, pour la première fois depuis 1981, l’électorat de l’extrême gauche a été réunifié par Jean-Luc Mélenchon. Plus profondément, en l’état, les règles du jeu électoral obligent les partis de gouvernement à composer avec les extrêmes, soit par accords électoraux soit en internalisant leur idéologie. Or, la crise économique persistante promet, selon toute vraisemblance, des mesures croissantes d’austérité, nourrissant comme en Grèce l’essor des deux pôles antisystème entre lesquels les partis de gouvernement seront pris en étau.

Cette situation rend nécessaire une réforme simple et profonde des règles du jeu électoral par la généralisation du fonctionnement de l’élection présidentielle : deux tours, seuls les deux candidats ou listes en tête étant qualifiés pour le second. Les extrêmes deviendraient progressivement des courants minoritaires des deux grands partis, plutôt que des blocs homogènes pouvant un jour éliminer un parti de gouvernement par effet de seuil de type 21 avril. Des partis d’expression radicale perdureraient, le pluralisme étant déjà garanti par le financement des partis sur fonds publics au prorata des scores obtenus aux élections législatives, quitte à ne plus prendre en compte à l’avenir que les scores du premier tour. Le cas échéant, en complément, le Sénat pourrait être désormais élu par les citoyens à la proportionnelle départementale à un tour, de sorte que toutes les sensibilités seraient représentées, sachant qu’en cas de blocage l’Assemblée nationale a constitutionnellement le dernier mot.

En l’absence d’une telle réforme, l’étau continuerait de se resserrer. A droite, il y aurait poursuite de la droitisation de l’UMP ou alliance UMP-FN, mais plus probablement l’une puis l’autre. A gauche, une fois le PS affaibli par de probables mesures d’austérité, une percée du Front de gauche compléterait la crise politique. Ce faisant, la Ve République, sous pression des deux extrêmes dans un contexte de crise économique profonde, aurait des allures de république de Weimar.