Histoire du quinquennat

L'exemple du scrutin proportionnel européen
Thierry Chopin
Le Monde.fr du 25.05.2011

"Le peuple, dans la démocratie, est, à certains égards, le monarque ; à certains autres, il est le sujet. Il ne peut être monarque que par ses suffrages qui sont ses volontés. (...) Les lois qui établissent le droit de suffrage sont donc fondamentales dans ce gouvernement", écrivait Montesquieu, un guide toujours précieux, dans De l'esprit des lois (1748).

En apparence technique, la question du mode de scrutin est en réalité une question éminemment politique tant au sein des Etats nationaux que de l'Union européenne. En particulier, la représentation politique au sein du Parlement européen bute aujourd'hui sur deux problèmes majeurs : d'abord, la capacité à organiser une alternance politique régulière et suffisamment marquée en son sein et par ricochet à la Commission européenne, afin d'instaurer un lien direct entre la volonté majoritaire exprimée par les électeurs et les politiques conduites par les institutions communautaires ; par ailleurs, le lien entre les électeurs et les élus renvoyant à la capacité des citoyens à se reconnaître dans des représentants facilement identifiables.

ALTERNANCE POLITIQUE ET MAJORITÉS INDISPENSABLES

Le mode de scrutin proportionnel est simple dans son principe (les sièges étant attribués selon le nombre de voix) et en apparence efficace et légitime du point de vue de l'exigence de représentation (offrant une image fidèle du pluralisme politique et des préférences exprimées par les électeurs). Pourtant, il n'est pas sans présenter des inconvénients importants comme en témoignent trente ans d'élections européennes. Jusqu'ici, seules les élections de juin 1999 ont en effet accouché de résultats suffisamment nets pour que puisse se constituer une majorité cohérente (en l'espèce entre le Parti populaire européen - le PPE, classé à droite - et les Libéraux de l'ALDE, eux aussi classés à droite).

Au début de la législature actuelle (2009-2014), comme lors des précédentes, c'est une entente entre le PPE et les sociaux-démocrates du S&D qui a prévalu pour l'attribution des postes importants. Même si cette entente n'empêche pas que ces deux partis s'opposent ensuite au moment de certains votes, elle nuit évidemment à la visibilité politique du fonctionnement du Parlement européen aux yeux des citoyens européens et affecte par là même la légitimité du système politique européen. Si cette logique majoritaire venait à nouveau à s'imposer, cela illustrerait le pouvoir nouveau que détient l'électeur européen, puisqu'il lui serait alors désormais loisible de faire et défaire les coalitions à Strasbourg et à Bruxelles et d'introduire ainsi une alternance politique, élément clé du fonctionnement des démocraties.

Une nouvelle modification de l'Acte de 1976 relatif à l'élection du Parlement européen serait sans doute susceptible de favoriser l'émergence de majorités plus claires et plus cohérentes. Elle pourrait par exemple prévoir la création de listes transnationales auxquelles seraient attribués 5 à 10% des sièges, et dont l'élection aurait par nature lieu sur des bases à la fois européennes et partisanes. Cette modification pourrait aussi indiquer que l'existence d'un scrutin proportionnel est certes l'un des "principes communs" à respecter, mais qu'il est désormais tout aussi nécessaire de dégager des "majorités de gouvernement" plus claires au Parlement européen, sur la base de modes de scrutin donnant moins d'importance aux partis les moins représentatifs. Les "petits partis" représentés à Strasbourg pourront naturellement s'estimer lésés par une telle modification ; mais leur influence n'en sera en réalité que peu réduite par rapport à celle qu'ils exercent aujourd'hui, et dont le caractère limité découle logiquement du fait qu'ils ont recueilli un assez faible nombre de suffrages. Par ailleurs, de telles modifications ne seraient certes pas aisées à obtenir, dès lors qu'elles requièrent l'unanimité au Conseil des ministres et un avis conforme adopté par la majorité des membres qui composent le Parlement européen.

RAPPROCHER LES ÉLUS DES CITOYENS

Néanmoins, si l'Acte de 1976 ne pouvait pas être modifié à court terme, il conviendrait alors que les autorités nationales utilisent les marges de manœuvre que cet Acte prévoit pour réformer le mode de scrutin en vigueur dans leur pays en vue des élections de 2014. En France, cela devrait avoir pour effet de créer des circonscriptions législatives de plus petite taille que les huit grandes circonscriptions actuelles (échelon encore lointain et peu familier), par exemple dans le cadre des vingt-six régions existantes (ce niveau étant désormais bien connu des citoyens). Une telle réforme aurait pour effet de rapprocher les parlementaires de leurs électeurs, ce qui serait bénéfique tant les effets d'échelle gênent encore l'identification des électeurs à leurs représentants au Parlement européen : à titre de comparaison, un eurodéputé élu dans le Sud-Ouest de la France représente 800 000 habitants quand un député à l'Assemblée nationale en représente autour de 100 000.

Le système politique européen étant probablement incapable d'assumer, à ce stade de son évolution, le fait clairement majoritaire qu'impliquerait un système majoritaire uninominal, il conviendrait peut-être de s'inspirer du système électoral allemand, qui combine l'approche proportionnelle et majoritaire, le scrutin uninominal et celui de listes. Les variantes concrètes à envisager sont nombreuses, mais il semble essentiel de trouver un système qui permette aux électeurs d'identifier plus facilement leurs représentants et aux eurodéputés d'exercer leur travail d'élu à l'échelle d'une circonscription clairement définie et dotée d'une taille facilitant un réel travail politique de terrain.

Compte tenu de la diversité de l'Union européenne, le mode de scrutin aux élections européennes restera donc proportionnel dans son principe, permettant de représenter la pluralité politique de l'UE au sein du Parlement, mais ce principe ne doit pas pour autant déboucher systématiquement sur une "grande coalition" transpartisane permanente, facteur essentiel du manque de lisibilité de l'action politique de l'Union aux yeux des électeurs. C'est la légitimité politique de l'Union qui est en jeu.

Thierry Chopin est l'auteur, avec Yves Bertoncini, de la note de la Fondation Robert-Schuman "Elections européennes : l'heure des choix" (2009), et, avec Lukas Macek, de "Après Lisbonne, le défi de la politisation de l'Union européenne" (in Les études du CERI, n°165, CERI / Sciences Po, 2010).

Thierry Chopin, directeur des études de la Fondation Robert-Schuman, professeur au Collège d'Europe (Bruges) et à Sciences Po