palimpseste Chroniques

«Son vocabulaire est devenu inquisiteur, négatif, culpabilisant» C Salmon
Libé 6 avril

 

RECUEILLI PAR NATHALIE RAULIN


En mars 2012, vous avez publié dans Le Monde une tribune pour saluer sa capacité à renouveler le débat public. Le regrettez-vous ?

Non. Durant sa campagne, Mélenchon avait opéré un véritable changement de paradigme politique et ce, grâce à un triple déplacement. Primo, un déplacement de la scène du débat public de la scène médiatique à la scène du forum et de la place publique. Deuxio : un changement de perception sur la solidarité, sur l’identité nationale, sur le rapport à l’autre. Tertio : un changement dans le langage ; il y avait du carnavalesque, de l’épique, de la poésie dans son vocabulaire.

Ses déplacements ont-ils tenu leur promesse ?

Malheureusement non. Depuis la rentrée, Mélenchon a fait son retour sur la scène médiatique, délaissant les places publiques. J’observe le retour des provocations. Bref, une logique de la captation des attentions. La langue imagée de sa campagne a cédé la place à un vocabulaire inquisiteur, négatif, culpabilisant. Enfin, le carnavalesque a disparu. Il revient à la vieille rhétorique de la troisième internationale qui stigmatisaient les socio-démocrates comme des «socio-traîtres», des «pourris», etc. La rhétorique du «coup de balai», la métaphore du nettoyage, de la purification, est en contradiction avec la société qu’on prétend défendre, une société du métissage, voire de l’impureté. Mélenchon hausse le ton mais il est moins transgressif qu’il ne l’a été pendant sa campagne…

Que s’est-il passé?

J’ai l’impression que ce changement est un effet feed-back de la gauche morale à laquelle Mélenchon a longtemps appartenu. C’est flagrant avec l’affaire Cahuzac. On ne peut penser le réel avec une syntaxe moraliste qui oppose les menteurs, les pourris, les bons et les autres. Les attaques contre l’«oligarchie politico-médiatique», ses dénonciations d’un «système qui révèle sa pourriture intrinsèque» se légitiment des révolutions citoyennes d’Amérique latine. Mais Chávez s’attaquait lui à une véritable oligarchie qui monopolisait la rente pétrolière, et avait tiré sur la foule lors des émeutes de la faim en 1988, faisant 3 000 morts. La révolution citoyenne de Chávez a réintégré dans le jeu politique l’écrasante majorité de la population qui était exclue du jeu démocratique. La crise politique en France est très différente.

Comment cela ?

Avec l’affaire Cahuzac, nous sommes à la confluence de deux crises majeures . 1. Décrédibilisation de la parole politique, amorcée il y a trente ans suite aux révolutions néolibérale et à la révolution des technologies de l’information. 2. Perte de crédibilité de la signature de l’Etat, avec la crise des dettes souveraines. Le Cahuzac qui ment devant la représentation nationale est le même qui détient, comme ministre du Budget la signature de l’Etat. Si l’affaire est explosive, c’est qu’elle est à la croisée de cette crise de souveraineté de l’Etat. En en faisant une crise morale, Mélenchon passe à côté de l’essentiel et, par les excès, accentue la perte de crédit dans la parole publique.