Histoire du quinquennat

Sommet de la Terre à Rio

 

Interview Marina Silva, ex ministre de l’Environnement du Brésil, pointe le manque d'ambition du Sommet qui vient de se clore.
Par ELIANE PATRIARCA

Vingt ans après le Sommet de la Terre qui avait imposé l’environnement sur l’agenda mondial, le sommet Rio+20 doit s'engager à promouvoir une «économie verte» épargnant les ressources naturelles de la planète et éradiquant la pauvreté. Mais l'absence d'objectifs contraignants et de financement donne lieu à de nombreuses critiques. Marina Silva, ex ministre de l’Environnement du Brésil, pointe son manque d'ambition.

Quel bilan tirez-vous de ce sommet ?

A Rio + 20, les leaders politiques ont choisi de ne pas avancer. Ils donnent la priorité à la crise économique et repoussent tout ce qui a trait à la protection de l’environnement. Il n’est pas question de nier la réalité mais nous avons besoin de résoudre toutes les crises auxquelles est confrontée la planète: sociale - trop de gens vivent avec moins de 2 dollars par jours, financière  - les caisses sont vides - et écologique : contamination des eaux, pollution de l’air, réchauffement climatique, perte de la biodiversité alors que 50% du PIB des pays dépend de la biodiversité. Il faut inventer un modèle de développement capable de protéger toutes les formes de vie , les biens immatériels aussi, la beauté des paysages. On n’a plus temps pour une transition lente.

Quelle est la solution ?

Je soutiens l’idée d’un organisme mondial pour l’environnement sur le modèle de l’Organisation mondiale du Commerce afin de donner plus de poids et de financements à la gouvernance internationale dans ce domaine. Il faut que les pays développés aident financièrement les pays en voie de développement pour que ceux-ci puissent se développer sans détruire leurs ressources naturelles. Mais les pays émergents, comme la Chine, le Brésil ou l’Inde, ne doivent pas non plus fuir leurs responsabilités.

Quelles sont les chances de réussite ?

Je ne suis ni optimiste ni pessimiste mais je crois qu’il faut être persévérant. C’est la persévérance qui nous permettra de construire un nouveau modèle économique et environnemental. Au Brésil, on est en régression. Ces dernières années, nous avions progressé dans trois domaines très importants: la réduction de la pauvreté, la diminution de la déforestation et la croissance économique. Malheureusement, le gouvernement vient de modifier le code forestier, celui-là même qui nous avait permis de limiter le déboisement. Et il est probable qu'à partir de 2013, on observe à nouveau une progression de la déforestation, particulièrement en Amazonie. Pourtant, le Brésil n’a pas besoin de détruire la forêt pour être une grande puissance agricole !


 

L’accord final de la conférence, très décrié, est déconnecté des enjeux environnementaux.
Par Éliane Patriarca Envoyée spéciale à Rio de Janeiro

Depuis deux jours, le Rio Centro, où s’est achevée vendredi la Conférence des Nations unies sur le développement durable, baignait dans une atmosphère surréaliste. Tandis que chefs d’Etats et de gouvernement se succédaient à la tribune de l’assemblée plénière pour une brève allocution, beaucoup de leurs homologues avaient déjà quitté les lieux. Et les autorités brésiliennes avaient résolument choisi d’éloigner à 50 km du lieu de la Conférence officielle le sommet alternatif des peuples, où les ONG ont réuni quelque 20 000 personnes durant dix jours.

«Rio + Vain». Vingt ans après le Sommet de la Terre de 1992, qui a donné naissance aux conventions sur le climat, la biodiversité ou la désertification, l’édition 2012 a déçu. Rebaptisée «Rio + Vain» ou «Rio - 20», elle souffre d’une cruelle absence d’ambition. Dès mardi soir, sous la houlette du ministre brésilien des Affaires étrangères, les négociateurs, au travail depuis le 13 juin, avaient trouvé un accord, échappant à l’arbitrage politique des chefs d’Etat arrivés le lendemain. Vendredi, les 191 pays représentés à Rio ont ratifié le projet de déclaration finale, 49 pages intitulées «Le futur que nous voulons». «Ce futur n’est pas dans ce texte», ont rétorqué les leaders de la société civile, parties prenantes de la préparation de la conférence, mais qui ont adressé jeudi une lettre aux Nations unies pour se désolidariser d’un texte dénué «d’engagements concrets». Parmi les signataires : Marina Silva (ancienne ministre brésilienne de l’Environnement), Kumi Naidoo (patron de Greenpeace), Ignacy Sachs (l’économiste à l’origine de l’éco-développement) ou la philosophe et militante indienne Vandana Shiva.

Les principales ONG ont exprimé leur colère face à ce qu’elles qualifient d’échec. Au final, la déclaration de Rio frappe par la place mineure qu’y tient l’environnement. «Les Nations unies portent une grande responsabilité dans cette minoration, estime Lucien Chabason, conseiller à la direction de l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri). Elles n’ont pas établi, en préalable à la conférence, le rapport introductif habituel. Un diagnostic [...] qui aurait montré que, si les aspects économiques et sociaux du développement durable ont progressé, celui environnemental est en panne.» Au final, la déclaration acte un «renforcement» du Programme des nations unies pour l’environnement (Pnue). Loin du projet d’organisation mondiale de l’environnement, porté par la France, l’UE et les pays africains, qui visait à hausser le Pnue au rang d’agence onusienne. La gouvernance mondiale du développement durable devrait être confiée au Conseil économique et social des Nations unies.

L’économie verte, qui avait été présentée comme le fer de lance de Rio + 20, a, elle, fait un bide. Appuyée par le Pnue, vantée par les pays industrialisés et les multinationales, elle a été balayée par les pays émergents qui la considèrent comme un greenwashing (écoblanchiment) du capitalisme, masquant des freins à leur développement et des entraves au commerce international. Le thème de la protection des océans, porté par une coalition d’ONG, soutenu par la France et le Brésil notamment, a réussi à émerger. Mais le lancement du processus de négociation sur la protection de la haute mer a finalement été torpillé par les Etats-Unis, qui ont notamment réussi à repousser toute décision à 2015.

«Anesthésiant». Seul l’accord sur la création d’Objectifs du développement durable, destinés à prendre le relais des Objectifs du millénaire pour le développement qui arrivent à échéance en 2015, est salué comme un point positif. Applicables aussi bien aux pays du Nord qu’à ceux du Sud, ils seront définis d’ici 2015. Reste néanmoins à trouver les financements pour les atteindre (le groupe des 77 pays en développement et la Chine attendent des engagements financiers de leurs homologues du Nord), et à inventer les clés d’une répartition équitable des efforts entre pays. «La crise économique a eu un effet anesthésiant sur Rio + 20», estime Pierre Radanne, président de l’association 4D sur le développement durable. Elle a provoqué une logique de repli sur les intérêts nationaux au détriment de l’intérêt général.

Démonstration de diplomatie, la déclaration de Rio + 20 semble déconnectée de l’état de la planète, ignorant l’épuisement des ressources naturelles, les défis démographiques ou de sécurité alimentaire. On peut aussi s’interroger sur l’état de la gouvernance mondiale et de l’adaptation du processus onusien aux bouleversements géopolitiques : une Europe affaiblie, un Brésil émergent, mais qui ne veut pas quitter son statut de pays en voie de développement, une Chine très discrète qui s’est abritée derrière les pays du Sud à la manœuvre, un Canada en pleine régression environnementale à la remorque des Etats-Unis. A Rio, on a assisté à l’émergence d’«un monde de nations plutôt que d’institutions internationales», conclut Laurence Tubiana, fondatrice de l’Iddri.