palimpseste Chroniques

A propos de l'Europe

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Il y a toujours quelque chose d'émouvant à voir les uns et les autres braver l'interdit ou l'inconscient européen en évoquant (invoquant) le fédéralisme. On sent bien, avec la crise de l'euro, qu'on est parvenu désormais à un point de rupture qui nécessite d'aller plus loin ou ... de renoncer.

La communauté européenne a une histoire agitée, elle se survit au gré de ses crises de croissance, on le sait et l'on peut toujours espérer qu'il en aille de même aujourd'hui. Le paradoxe de l'histoire reste quand même que cette Europe qui ne sut se faire politiquement et se contenta longtemps de s'échafauder par le bas, par l'économique, dut à chaque fois attendre de l'audace des politiques l'opportunité d'un bond en avant.

Qui aujourd'hui aura cette audace ?

J'aime assez, qu'in fine, ce soit le politique qui ait la main, l'initiative et le dernier mot. Mais toute la question est là, pas ailleurs. Le déficit démocratique est immense qu'un modeste replâtrage ne comblera pas et les frilosités comptables de Merckel d'un côté, les synthétiques prudences de Hollande de l'autre configurent plus une posture de gestionnaire que d'innovateurs.

Reste l'essentiel : pour un vieux pays comme la France qui s'est construit autour de l'identification progressive de son territoire et de son État, qui est le modèle pensé et voulu de l'Etat-Nation mais qui en même temps traîne son idéal démocratique de 89 dans la bandoulière de sa mauvaise conscience autant que de sa suffisance, il n'est pas certain que tout nouveau transfert de souveraineté soit facilement admissible surtout si c'est à une instance dont le moins que l'on puisse dire est que la simplicité n'est pas le fort, ni la transparence la vertu.

Il n'est pas faux de dire que :

Le paradoxe de l’Europe est que sa plus spectaculaire invention, l’État nation, est aussi ce qui l’empêche d’exister comme telle
F Furet

Sans doute avons-nous trop appris à confondre territoire, culture et État pour ne pas répugner à délaisser ainsi ce qui nous semble si fondateur : notre acte souverain. Sans doute avons-nous trop oublié combien les nationalités sont finalement choses récentes, autant que les frontières d'ailleurs pour y tenir autrement que pour les liserés des cartes scolaires de notre enfance.

Mais, pour autant, demeure la question de la taille : je ne suis pas convaincu que de si gros ensembles soient aisément gouvernables et je crains bien que le principe de subsidiarité ne cède trop souvent le pas devant l'ogre bureaucratique. Ce que l'on retrouve du côté des entreprises ivres de trouver la taille critique, on l'a ici. Or si grandes soient-elles les institutions politiques sont trop faibles d'avoir été dépossédées par quarante années d'idéologie libérale ...

On ne voit pas assez qu'au delà de la nation, le peuple doit pouvoir se reconnaître dans un État qui régit sa vie quotidienne ; doit pouvoir reconnaître que cet État c'est le sien parce qu'il émane de lui. Ce n'est pas le cas aujourd'hui. Nul ne sait avec précision qui fait quoi dans ce mille-feuilles institutionnel par ailleurs bougrement paradoxal : une première fois parce que ce n'est pas le peuple qui participe directement à l'élection de ses dirigeants ; une seconde fois parce que le système n'y est pas supranational en demeurant une simple juxtaposition de partis pris nationaux ce que l'élection du parlement sur listes nationales illustre parfaitement. Giscard avait cru que la désignation d'un président y pût suffire : encore aurait-il fallu que ses compétences fussent clairement identifiées et que son élection fût démocratique.

Tout le problème de l'Europe réside ici : la sensation que ce contrat fût de dupes ! qu'on eût passé contrat sans que rien en retour ne vînt, en tout cas rien de démocratique. Nous avons créé des problèmes à la mesure du monde, mais des institutions inadaptées même au seul continent, au moment même où nos politiques persévèrent de raisonner en simple nationaux. L'Europe continue de payer le prix fort de n'avoir pas su se fonder politiquement et d'avoir cru que d'arrangements en adaptations successives, cela finirait par aller tout seul.

Oui, c'est bien d'un sursaut politique dont nous aurions besoin ... mais ceci se peut-il encore ? D'une révolution, au moins culturelle et idéologique : la gravité de la crise la rendra peut être inéluctable.


1) relire

2) Cité dans Paul Sabourin, L’État nation face aux Europes, Paris, PUF, 1994, p. 18.