Elysées 2012

Dette : et si nous devions revoir notre copie ?

LAURENCE VICHNIEVSKY Membre du bureau exécutif d’Europe Ecologie-les Verts


La décroissance n’est pas un projet politique conçu par des écologistes radicaux, c’est la réalité des économies de l’Europe de l’Ouest dont le taux de croissance baisse régulièrement depuis cinquante ans : en France, ce taux a été de 5,91% dans les années 60, de 4,15% dans les années 70, de 2,29% dans les années 80, de 1,86% dans les années 90 et de 1,36% dans les années 2000 (source Insee).
Rien ne garantit qu’il doit rester positif. Le recours massif au crédit a permis de soutenir la demande durant la dernière période, mais la crise des subprimes en 2008 et celle des dettes souveraines depuis 2010 ont montré les limites d’une telle politique. Au-delà d’un certain seuil, le niveau d’endettement doit cesser de croître sous peine de provoquer la perte de confiance des prêteurs et l’implosion du système. De l’avis de tous les économistes, ce seuil est aujourd’hui atteint.
Mais si l’endettement est devenu le soutien obligé de l’activité, celle-ci devrait stagner, voire décliner, en cas de stabilisation de la dette. Peu importe que cette baisse d’activité soit appelée décroissance, selon le vocabulaire écologiste, ou récession, selon la formulation classique. Elle devrait entraîner, dans un premier temps, des pertes d’emplois et des moins-values fiscales. A cet égard, les prévisions de recettes fondées sur un taux de croissance de 2% relèvent de la méthode Coué, elles ne peuvent servir de base à la décision.
Faut-il, alors, refuser le désendettement, renoncer à l’objectif de réduire les déficits publics en dessous de 3% du PIB dès 2013, auquel se sont engagés les dirigeants de la zone euro le 21 juillet ? Peut-on continuer à creuser ces déficits, en sanctuarisant niches et exemptions fiscales «créatrices d’emplois», comme le propose la majorité, ou en augmentant la dépense publique par des «investissements d’avenir», comme le suggère l’opposition de gauche ? Ce ne serait pas raisonnable.
Une poursuite de l’endettement alourdirait la charge de la dette, non seulement à proportion de l’augmentation des sommes dues mais surtout en raison de la hausse des taux d’intérêt, consécutive à la dégradation de notre crédit par les agences de notation. La situation deviendrait vite intenable, les premières victimes du réajustement seraient sans doute les plus pauvres.
Certains proposent donc d’aller plus loin, d’accepter le défaut de paiement de la France, au motif que la dette est le produit des politiques néolibérales menées depuis trente ans, de sortir de l’euro, de dévaluer et de relancer l’économie en finançant une partie des dépenses par le recours à la création monétaire. Plusieurs raisons l’interdisent. La première est qu’il n’existe pas de majorité politique pour porter un tel projet. La deuxième est qu’une dévaluation n’est efficace qu’assortie d’un sévère plan de rigueur (incluant blocage des salaires et gel des traitements des fonctionnaires), ce qui n’est pas le but recherché par les promoteurs de cette idée, du moins ceux de gauche. La troisième est qu’il ne faut pas confondre politique et morale : rien ne sert de rechercher qui sont les responsables ou les profiteurs de la dette, il faut la réduire. Enfin et surtout, la sortie de l’euro par la France porterait un coup très dur à la construction européenne ; en 1983, alors qu’il était envisagé de quitter le SME, Mitterrand a eu la lucidité de s’y opposer.
Aujourd’hui, la réduction de la dette s’impose à nous comme un rappel au principe de réalité. Elle nous oblige à revoir notre projet, non dans ses principes, mais dans sa mise en œuvre : le retour à l’âge légal de la retraite à 60 ans est une lubie, les créations d’emplois publics doivent être gagées par des suppressions de postes, les investissements publics doivent être financés, non par les économies à venir qu’ils sont censés générer ou par une affectation autoritaire sur l’épargne, mais par des recettes budgétaires concomitantes, les dépenses du système de santé et des collectivités locales doivent être maîtrisées. Cela sera difficile.
Les marges dont nous disposons résident dans le choix d’une fiscalité plus écologique et plus juste : plus écologique pour amorcer une transformation de nos modes de vie et de consommation, avec l’instauration d’une taxe carbone dissuasive, plus juste parce qu’il n’y a pas de démocratie sans une relative égalité entre les citoyens. Les revenus du capital et du travail doivent être taxés de manière égale et progressive. Les inégalités de fortune doivent être limitées par un impôt frappant l’ensemble du patrimoine, sans exonération, lui aussi progressif. La fraude doit être réduite.
Dans la crise que nous traversons, les efforts qui seront exigés pèseront plus lourdement sur les plus riches, mais ils n’épargneront personne. La transition vers la société écologique passe par l’apurement de la dette, qu’en tout état de cause nous ne pouvons pas léguer à nos enfants. L’urgence, aujourd’hui, est financière.