Textes ....

Barthes

 

"Dans sa Préface, Chateaubriand nous parle de son confesseur, l'abbé Séguin, sur l'ordre duquel, par pénitence, il a écrit la Vie de Rancé. L'abbé Séguin avait un chat jaune. Peut-être ce chat jaune est-il toute la littérature ; car si la notation renvoie sans doute à l'idée qu'un chat jaune est un chat disgrâcié, perdu, donc trouvé et rejoint ainsi d'autres détails de la vie de l'abbé, attestant tous sa bonté et sa pauvreté, ce jaune est aussi tout simplement jaune, il ne conduit pas seulement un sens sublime, bref intellectuel, il reste entêté, au niveau des couleurs (s'opposant par exemple au noir de la vieille bonne, à celui du crucifix) : dire un chat jaune et non un chat perdu, c'est d'une certaine façon l'acte qui sépare l'écrivain de l'écrivant, non parce que le jaune "fait image", mais parce qu'il frappe d'enchantement le sens intentionnel, retourne la parole vers une sorte d'en-deçà du sens ; le chat jaune dit la bonté de l'abbé Séguin, mais aussi il dit moins, et c'est ici qu'apparaît le scandale de la parole littéraire. Cette parole est en quelque sorte douée d'une double longueur d'ondes ; la plus longue est celle du sens (l'abbé Séguin est un saint homme, il vit pauvrement en compagnie d'un chat perdu) ; la plus courte ne transmet aucune information, sinon la littérature elle-même : c'est la plus mystérieuse, car, à cause d'elle, nous ne pouvons réduire la littérature à un système entièrement déchiffrable : la lecture, la critique ne sont pas de pures herméneutiques."