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Maurice Agulhon, qu'est-ce que la gauche ? Histoire Vagabonde Tome III

 

La gauche s'est constituée dans l'histoire à partir de la philosophie des Lumières, dans sa plus large acception : faire le bien (et d'abord le définir) à partir des critères de la raison humaine, accessibles à tous (sans « révélation » religieuse), acceptables pour tous (universels dans leur portée) et applicables à tout (gouvernement des sociétés compris). Ce qu'on peut traduire par la formule toute simple : « appliquer la morale à la politique » en entendant, naturellement, par « morale » la morale kantienne. Par rapport à cette définition de la gauche, on voit très bien les doctrines, implicites ou explicites, qui sont de droite : d'une part, celles qui refusent le lien de la politique à la morale, en d'autres termes qui réduisent la politique à un empirisme sans principes de référence autres que le succès ; d'autre part, et surtout, celles qui lient la politique à des valeurs morales non universalisables, qu'il s'agisse des religions révélées ou de ces quasi ou pseudo-religions que sont les attachements nationaux. Toute théocratie, tout cléricalisme, tout nationalisme, tout racisme sont de droite par définition puisque, de leur propre aveu, ils mettent au sommet de leur échelle de valeurs l'une d'entre elles (leur race, leur religion, leur nation) à laquelle l'humanité entière ne peut avoir part.

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Il est en effet de la nature de la gauche, exigeante parce que moraliste, de vouloir établir un bien qui n'existe pas encore, bref de croire au progrès et de vouloir le progrès. La liaison banalement reconnue entre gauche et progrès, entre gauche et mouvement, ou encore, sur un autre plan, entre gauche et Révolution de 1789, est simplement le corollaire de la liaison entre gauche et exigence morale universaliste.