index précédent suivant

 

 

Otto Klineberg, Race et psychologie
Courrier de l’Unesco, 1955

Bien rares sont ceux qui n’ont pas cédé à la tentation de stéréotyper les nations. Cette tendance est presque irrésistible. Nous savons que les Anglais sont réservés et les Irlandais batailleurs : nous l’avons entendu dire si souvent ! Et d’ailleurs la plupart des gens sont d’accord avec nous là-dessus. Il n’en est pas moins vrai qu’on nous embarrasserait beaucoup en nous demandant comment nous le savons.

L’une des premières études sérieuses de cette tendance a été faite en 1932 par Katz et Braly au sujet des conceptions stéréotypées que se faisaient les étudiants de l’université de Princeton.

Nous pouvons résumer les résultats de cette enquête.

Les Allemands avaient l’esprit scientifique ; ils étaient travailleurs et un peu lourds ; les Italiens étaient déclarés impulsifs, artistes, passionnés ; les Noirs superstitieux, paresseux, insouciants, ignorants ; les Irlandais batailleurs, irascibles, spirituels ; les Anglais, sportifs, intelligents et conformistes ; les Juifs avisés, intéressés et travailleurs ; les Américains, intelligents, matérialistes, ambitieux ; les Chinois superstitieux, rusés, attachés au passé ; les Japonais intelligents, travailleurs, épris de progrès ; les Turcs cruels, religieux et perfides.

Sur un plan plus étendu, une étude effectuée dans neuf pays, sous les auspices de l’Unesco, en 1948 et 1949, a montré qu’il est partout facile d’obtenir de ces jugements stéréotypés. Dans chaque pays, l’enquête a porté sur un millier de personnes environ, représentant tous les éléments de la population. Chaque personne recevait une liste de douze qualificatifs et devait choisir ceux qui lui paraissaient s’appliquer le mieux à ses compatriotes, aux Américains, aux Russes, et dans certains cas à deux ou trois autres groupes nationaux.

Les Britanniques, par exemple, ont estimé que les Américains étaient surtout épris de progrès, vaniteux, généreux, pacifiques, intelligents et doués de sens pratique. Les Américains, de leur côté, ont déclaré que les Britanniques étaient intelligents, travailleurs, courageux, pacifiques, vaniteux et maîtres d’eux-mêmes.

L’idée que les peuples se font d’eux-mêmes est également révélatrice. Les Britanniques se jugeaient pacifiques, courageux, travailleurs, intelligents ; les Français se trouvaient intelligents, pacifiques, généreux et courageux; les Américains s’estimaient pacifiques, généreux, intelligents, épris de progrès.

Tous les groupes étaient d’accord sur un point : leur pays était le plus pacifique de tous!

Bien des faits, cependant, tendent à montrer qu’un stéréotype peut prendre corps sans contenir pour autant la moindre parcelle de vérité.

Nous avons tous entendu dire que les personnes intelligentes ont le front haut, et pourtant des études scientifiques consacrées à cette question n’ont pas réussi à établir la moindre relation entre les deux faits.

Le stéréotype du criminel qui porterait sur son visage la marque de sa criminalité est très commun, mais il est également dépourvu de fondement.

Le sociologue américain La Piere a étudié les attitudes d’un certain nombre d’habitants de l’État de Californie à l’égard de la première et de la deuxième génération d’immigrants arméniens dans le Comté de Fresno (Californie). De l’avis presque général, les Arméniens avaient bien des défauts et, dans l’ensemble, l’attitude des habitants du Comté à leur endroit était plutôt hostile. La Piere entreprit d’interroger les non-Arméniens sur les raisons de leur antipathie, et les réponses lui permirent de distinguer trois stéréotypes. Tout d’abord, on disait que les Arméniens étaient malhonnêtes, menteurs et fourbes.

En réalité, une étude objective sur leur honnêteté en affaires révéla que les commerçants arméniens étaient aussi intègres que les autres, et souvent davantage. En second lieu, on affirmait que les Arméniens étaient des parasites dont la présence constituait un fardeau pour les institutions charitables, les dispensaires, etc. En fait, il apparut qu’ils recouraient à ces diverses institutions deux fois moins souvent qu’on aurait pu le prévoir, étant donné leur nombre par rapport au chiffre total de la population

On prétendait enfin que leur moralité laissait à désirer et qu’ils avaient souvent affaire à la police. Vérification faite, les Arméniens n’étaient impliqués que dans 1,5% des affaires correctionnelles, alors qu’ils représentaient environ 6 %de la population. La Piere conclut que tous ces stéréotypes présentaient un point commun: Ils étaient absolument faux.