index précédent suivant

 

 

Ce qu'il n'a jamais dit des Français

 

LAURELINE DUPONT

Notre identité, notre défaitisme, le complotisme, la trahison des intellectuels et la mondialisation des patrons, ses racines... Le président de la République se livre de façon inédite. PROPOS RECUEILLIS PAR LAURELINE DUPONT

page 20

Un écran noir. Puis, quelques branchements plus tard, dans le salon vert de l'Elysée, au milieu des tables en U, surgit l'image d'Emmanuel Macron. Il ne s'agit pas de la projection d'un documentaire consacré au chef de l'Etat mais bien d'un entretien entre L'Express et celui qui a déjà, ce soir du jeudi 17 décembre, quitté les lieux et rejoint la résidence de la Lanterne, à Versailles, pour « s'isoler et continuer à travailler », comme on a pris de soin de le préciser à l'Elysée. Drôles de conditions pour un entretien inhabituel.

Quand nous lui proposons, quelques semaines auparavant, de dessiner, d'analyser, de questionner aussi, dans L'Express, sa relation avec les Français et sa foi en ce qui nous lie, nul ne peut se douter que le président aura, à son tour, à faire face au virus. La rencontre est programmée le 17 décembre en milieu de matinée, à l'Elysée. Mais l'annonce, le même jour, de sa contamination bouscule tout.

Est-ce parce que le thème de l'entretien lui paraît essentiel dans une période de grand éparpillement ou parce qu'il a lu, au-delà des sondages sur sa personne, les études récentes dans lesquelles les Français apparaissent comme les champions de la défiance envers leurs gouvernants et leurs institutions qu'il choisit de maintenir le rendez-vous en en adaptant le format? « Nous sommes à présent pris par notre volonté farouche, absolue, de reprendre le contrôle de notre vie, de notre vie intime et de la France comme nation », dit-il dans cette conversation hors-norme qui l'incite à prendre des accents presque aussi métaphysiques que politiques. C'est donc l'urgence qui le guide. Il semble avoir perçu chez ce « peuple de paradoxes, très politique et perclus de passions contraires », une « vulnérabilité » nouvelle et le besoin impérieux d'être tranquillisé sur son destin.

Entre une Europe dont nous nous demandons, selon lui, si elle nous rend vraiment plus grands ou si elle est devenue « une machine qui nous oppresse », et un monde qui paraît ne plus comprendre nos valeurs, nos principes, de l'universalisme à la laïcité, nous voici coincés et par conséquent enclins au « doute existentiel ». C'est ainsi que la France devient le terreau d'un relativisme ambiant, d'une perception manichéenne de l'histoire mais aussi, et c'est Emmanuel Macron qui le dit, d'une « société victimaire et émotionnelle ».

De sa doctrine pour conjuguer l'universel et le particulier à son action pour réinventer un patriotisme contemporain, le chef de l'Etat révèle à L'Express ce qui lui servira de boussole pour la fin de son quinquennat. Un entretien auquel pourront se référer ceux qui souhaiteront, un jour, faire le bilan du macronisme. W L. D.

Vous êtes président de la République depuis trois ans et demi, qu'avez-vous appris des Français?

Emmanuel Macron Ces trois dernières années ont conforté ma conviction : nous sommes un peuple de paradoxes. Cela avait été très mal compris quand j'avais dit que nous étions un peuple de Gaulois réfractaires, mais je m'incluais dans les Gaulois réfractaires! Nous sommes un pays qui peut produire la crise des gilets jaunes, être extrêmement dur, vocal et, en même temps, nous sommes l'un des pays d'Europe où le confinement a été le plus respecté.

Nous ne sommes pas un pays qui se réforme comme les pays anglo-saxons, scandinaves, ou l'Allemagne, nous sommes un pays qui se transforme. Un pays très politique, perclus de passions contraires. C'est ce que j'aime profondément en nous. Cette tension créatrice.

Avec un rapport à l'Etat et à la responsabilité très singulier, on l'a vu pendant les crises récentes.

Le traumatisme, c'est effectivement le rapport à l'Etat. La France naît de la langue et de l'Etat, les deux piliers de notre Nation. L'Etat est ainsi perçu comme un socle d'unité qu'on aime mais il est aussi vécu comme une contrainte, toujours. Nous sommes dans cet entre-deux permanent, c'est notre belle névrose. Dès que quelque chose ne va pas, on le reproche à l'Etat : voilà ce qui explique que depuis des décennies, la confiance en nos responsables politiques, en nos structures, est beaucoup plus faible qu'ailleurs. L'Etat est tenu responsable de nos malheurs. Quand un problème surgit, les élus locaux dénoncent les manques ou les faiblesses de l'Etat, mais chacun se tourne vers l'Etat quand l'urgence ou la gravité sont là. Car seul l'Etat protège in fine et seul l'Etat réconcilie liberté et égalité. Cette espèce d'amourhaine fait de nous un peuple à part.

Les crises successives ont-elles modifié votre perception des Français?

Nous avons renoué avec nos doutes ancestraux. La crise sociale de l'automne 2018, les conflits sociaux de l'hiver 2019 et maintenant la pandémie l'ont montré. Cela ne me rend pas pessimiste pour autant! Car je suis certain que ces doutes sont une énergie politique très rare.

Une question se pose : de quel côté va tomber cette énergie, comment allons-nous métaboliser cette crise que nous vivons? Beaucoup de choses très profondes se passent, des choses intimes, morales, psychiques, profondes, à l'échelle individuelle comme à l'échelle du peuple. La peur est revenue, le prix de la vie ne sera plus le même. Mais nous sommes un pays qui a su montrer sa force de résistance, qui a su inventer, innover, de façon extraordinaire.

Ce que je sens très profondément c'est que, ces derniers mois, ces dernières années, les Français ont réaffirmé leur volonté de prendre leur destin en main, de reprendre possession de leur existence, de leur Nation.

Il s'agit là d'un processus lent, l'élection de 2017 a été un jalon sur le plan politique. Mais cela remonte à plus loin.

Le jour où on a dit à la France qu'elle était une puissance moyenne, quelque chose de grave a commencé. Ce n'était pas vrai, et les Français ne pouvaient pas se vivre comme cela. Ces dernières décennies, le modèle de l'intégration permanente des classes moyennes par le progrès s'est cassé. Puis, il a fallu faire face aux délocalisations, c'està-dire au fait que la mondialisation devenait un processus qui se réalisait aux dépens des Françaises et des Français, en particulier dans certains territoires. Certains appellent cela « la France périphérique », personnellement je n'adore pas ce terme. C'est pour moi la France des villes moyennes, des villes qui ont vécu le départ d'entreprises, les reculs, la fin d'une histoire de progrès éducatif, culturel, économique, et la fin de ce qui était notre socle.

Ce doute existentiel en nous, nous avons tenté de le dépasser par le rêve européen et ce fut la grande intuition de François Mitterrand. Mais le référendum de 2005 et les divisions lors de la crise de 2007 sont passés par là et chacun s'interroge : l'Europe nous rend-elle plus grands ou est-ce une machine qui nous oppresse?

Nous sommes, je suis, l'héritier de tout cela. Et nous sommes à présent pris par notre volonté farouche, absolue, de reprendre le contrôle de notre vie, de notre vie intime et de la France comme nation.

C'est cela que nous devons accompagner. Cela, le chemin que nous devons tracer. Y compris en nous battant pour l'Europe qui est à la fois un idéal et un formidable outil de reprise de contrôle de notre destin économique, technologique, militaire, culturel. Non plus une Europemarché mais une Europe géopolitique, une

Europe de projet. Au fond, retrouver la force et le sens d'une souveraineté qui ne soit ni repli ni conflictualité mais qui puisse s'appuyer sur une autonomie stratégique européenne indispensable aux côtés des EtatsUnis et de la Chine, et pour nouer un nouveau partenariat avec l'Afrique.

La crise sanitaire a semblé faire émerger nos instincts enfouis, à commencer par le premier d'entre eux : le doute permanent. Etes-vous inquiet de constater qu'un peuple historiquement rationnel croie soudain aux complots petits ou grands?

Ce n'est pas tant le doute qui m'inquiète car le doute peut être moteur de progrès et de connaissance. Mais le relativisme, je dirais même l'obscurantisme. Au fond, il y a, dans ce que l'on vit en ce moment, quelque chose d'un destin prométhéen. Notre société, qui s'était habituée à la fin des guerres, au confort permanent et croissant, a redécouvert avec les crises climatique et terroriste la vulnérabilité. Et la crise sanitaire a ceci de particulier qu'elle a fait revenir la vulnérabilité dans le quotidien, l'intime même. Chacun a compris que tout le monde pouvait être touché, sans exception. Et c'est assez inédit dans notre Histoire récente.

Face à ce grand défi, il y a la science. Et je regarde pour ma part avec beaucoup d'admiration ce que les scientifiques ont accompli jamais dans l'histoire de l'humanité nous n'avions assisté à l'apparition d'un virus et, moins d'un an plus tard, à la découverte d'un vaccin, Mais la science n'est plus exempte du doute.

Car lorsqu'on voit sa vie bousculée, son quotidien chamboulé et qu'à côté les controverses scientifiques se déploient sur les chaînes d'information et les réseaux sociaux, alors l'inquiétude gagne.

Le problème clef pour moi, c'est l'écrasement des hiérarchies induit par la société du commentaire permanent : le sentiment que tout se vaut, que toutes les paroles sont égales, celle de quelqu'un qui n'est pas spécialiste mais a un avis sur le virus vaut la voix d'un scientifique.

C'est ce poison qui nous menace. Nous l'avons vu dans le champ politique depuis des années avec une grande intensité au moment de la crise des gilets jaunes où être élu, c'était finalement être frappé du sceau de l'illégitimité, ce qui est un renversement singulier. Ce phénomène gagne désormais le champ scientifique.

Nous payons les conséquences de cet écrasement des hiérarchies, selon vous?

Oui, cette société qui s'horizontalise, ce nivellement complet, crée une crise de l'autorité. Et quand cette crise d'autorité touche la science, au moment où l'on attend de cette dernière des vérités définitives auxquelles se raccrocher, même si elles sont provisoires, même si elles sont imparfaites. Les conséquences psychologiques et sociales sont terribles car on finit par ne plus croire en rien.

Voici le cercle vicieux : un nivellement, qui crée du scepticisme, engendre de l'obscurantisme et qui, au contraire du doute cartésien fondement de la construction rationnelle et de la vérité, conduit au complotisme. Ce n'est plus « je doute donc je suis ». C'est je doute donc je me raccroche à une narration collective qui, même si elle est fausse, infondée, a le mérite de sembler robuste.

Toutes les sociétés contemporaines vivent cette espèce d'horizontalisation de la société, de la contestation de toute forme d'autorité, y compris de l'autorité académique et scientifique.

Vous mentionnez les réseaux sociaux, mais il existe aussi une responsabilité médiatique.

C'est vous qui le dites. Mais, effectivement, on observe aujourd'hui un processus de déconstruction de tous les discours, qu'il s'agisse d'un discours politique, d'organisation ou de vérité.

Je ne vais pas me faire le commentateur de ce phénomène car je fais partie des protagonistes, mais c'est une réalité! Vous voyez bien que le moindre discours, la moindre annonce, est suivi de plusieurs heures de commentaires. Cela, c'est précisément un processus de déconstruction accélérée. A la fin de la soirée, ceux qui sont restés devant leur télévision se demandent : « Finalement, qu'est-ce qu'il a dit? »

Vous voyez combien cette déconstruction, qui peut être légitime, complexifie les choses. Une société, pour avancer, a besoin de commun, que des principes d'autorité politique, académique, scientifique existent. Et ce commun, parce qu'aussi l'espace public est de plus en plus fragmenté, est de plus en plus difficile à produire. Parce qu'il fait toujours l'objet de critiques, de controverses. Mais le commentaire ne peut être permanent, il faut revenir aux faits, à qui parle, sur quoi, avec quelle légitimité et quelle responsabilité.

C'est crucial. Car le relativisme délitant tout, il nourrit la défiance et affaiblit, à la fin, la démocratie. Chacun doit donc prendre ses responsabilités pour changer cela.

Comment répond-on politiquement, culturellement, à cette défiance à l'heure de « la société du commentaire permanent » ?

Je ne me fais aucune illusion, on continuera à déconstruire mes discours [rires]. Pour répondre à la défiance, il faut, me semblet-il, pour ce qui concerne les responsables, mêler l'action, la cohérence et l'explication. Voilà, en tout cas, la ligne que je me fixe.

Concrètement, quand une crise survient, nous devons savoir y répondre et agir. Expliquer ensuite la cohérence de l'action que l'on mène.

Je suis convaincu que cette cohérence est un agrégateur de confiance. Même si, sur le coup, certains expriment leur insatisfaction, même s'ils ne veulent pas forcément vivre la contrainte et rechignent, la cohérence d'une décision la renforce dans le temps. Et permet de retrouver l'efficacité de l'action publique.

Pensez-vous que nous vivions une crise de la démocratie?

Si crise de la démocratie il y a, c'est une crise de l'efficacité. Nous passons trop de temps à expliquer ce qui est impossible plutôt qu'à régler les problèmes concrets. Surtout, en quelque sorte, l'Etat « légal » l'a emporté. Ce qui compterait au fond serait de changer les textes, les lois, plus que de changer la vie des Français.

Pour recréer de la confiance, je crois au contraire qu'il faut une action qui ait véritablement une efficacité, un effet des mots aux choses. A ce titre, le deuxième confinement est un exemple d'efficacité car nous avons pris la décision au bon moment. Nous l'avons expliqué, les Françaises et les Français ont agi et, par leur action, ont réussi à casser le cycle du virus.

Je suis très prudent et il faut toujours rester humble, mais nous sommes l'un des pays européens qui se porte le mieux face à cette épidémie à ce stade. Et cela grâce à l'action, la cohérence, et à un travail d'explication qui refuse l'espèce d'hypersimplification à la mode.

Mais pour revenir à la crise de la démocratie, il y a d'une part un besoin de mieux associer à la décision par la délibération (c'est ce que nous avons fait avec le grand débat puis la convention citoyenne). Il y a plus encore le besoin d'avoir des démocraties qui protègent et retrouvent de l'efficacité collective par l'engagement et le consensus.

J'ai toujours fait ce pari, parce que le peuple français est un peuple extraordinairement politique qui cherche constamment à comprendre, le cours du monde et ce qu'il affecte.

Ce peuple français « extraordinairement politique » n'est-il pas aussi en train de sombrer dans un manichéisme inquiétant dont la conséquence principale serait une forme de censure? En 2018, vous en avez déclenché une polémique en qualifiant Pétain de « grand soldat » pendant la Première Guerre mondiale. Mitterrand avait fait fleurir jusqu'en 1992 sa tombe, Chirac lui avait rendu hommage pour le 90e anniversaire de la bataille de Verdun, sans parler évidemment de De Gaulle. Pourquoi, selon vous, même notre histoire ne semble-t-elle plus avoir le droit d'être ambivalente, d'avoir des zones grises? Parce que nous sommes entrés dans une société de l'émotion permanente et donc de l'abolition de toute acceptation de la complexité.

Nous sommes devenus une société victimaire et émotionnelle. La victime a raison sur tout. Bien sûr, il est très important de reconnaître les victimes, de leur donner la parole, nous le faisons. Mais dans la plupart des sociétés occidentales, nous assistons à une forme de primat de la victime. Son discours l'emporte sur tout et écrase tout, y compris celui de la raison.

Par conséquent, celui qui a tenu un discours antisémite ou a collaboré tombe forcément dans le camp du mal radical. Je combats avec la plus grande force l'antisémitisme et le racisme, je combats toutes les idées antisémites de Maurras mais je trouve absurde de dire que Maurras ne doit plus exister. Je me suis construit dans la haine, dans le rejet de l'esprit de défaite et de l'antisémitisme de Pétain mais je ne peux pas nier qu'il fut le héros de 1917 et un grand militaire.

On doit pouvoir le dire. A cause de la société de l'indignation, qui est bien souvent de posture, on ne regarde plus les plis de l'Histoire et on simplifie tout.

C'est très dangereux, tout le monde parle en permanence mais personne ne débat vraiment. Ça s'entrechoque, c'est émotion contre émotion. Il faut accepter les complexités des vies, des destins, des hommes.

Vous avez fait campagne sur votre conscience de la diversité sociale, religieuse, scolaire, ces « mille odyssées françaises », avez-vous écrit. A présent, on a le sentiment que le tronc commun qu'est la République l'emporte, c'est ce que suggère en tout cas le projet de loi « confortant le respect des principes de la République ». C'est un changement de paradigme du macronisme?

Non. Ce que vous rappelez de la campagne de 2017 a souvent été mal compris ou caricaturé : on a dit que j'étais un multiculturaliste, ce que je n'ai jamais été. Ma matrice intellectuelle et mon parcours doivent beaucoup à Jean-Pierre Chevènement et à une pensée républicaine. Il n'y a pas « mille odyssées » s'il n'y a pas d'aventure commune à laquelle se raccrocher. C'est l'aventure française.

Au fond, l'intuition de Nicolas Sarkozy il y a dix ans était bonne même s'il me semble que la formule « d'identité nationale » était sujette à trop de polémiques.

L'interrogation à laquelle nous devons répondre est à la fois simple et difficile : qu'est-ce qu'être français? Elle taraude notre peuple car le doute dont nous parlions s'est installé. Et parce que ce doute s'est nourri de phénomènes qui, comme les migrations, ont créé une forme « d'insécurité culturelle » et qui conduit à se demander ce que signifie être français.

Il me semble qu'être français, c'est d'abord habiter une langue et une histoire, c'est-à-dire s'inscrire dans un destin collectif. C'est pour cette raison que nous renforcerons les cours de français et nos exigences en histoire, en particulier pour accéder à la nationalité.

Etre français, c'est aussi une citoyenneté définie par des valeurs « liberté, égalité, fraternité, laïcité » qui reconnaissent l'individu rationnel libre comme étant au-dessus de tout. Cette citoyenneté est ce qui a permis à Garibaldi de devenir député français de la IIIe République. Nous n'avons jamais eu cette approche par le sang et la République s'est ainsi structurée.

Vous avez besoin de cette matrice commune pour que toutes les autres odyssées se conjuguent. Comment accueillir en effet si je ne sais pas ce qu'est ma maison? Quand certains attaquent notre socle, le remettent en cause, nient nos valeurs, l'égalité entre les femmes et les hommes, la laïcité, ils rendent impossible le fait d'être français. Car ils viennent contester ce qu'il y a de plus fondamental.

Le projet porté par la loi confortant les principes républicains, notamment la lutte contre cette idéologie qu'est l'islamisme radical, consiste à nous battre pour préserver la solidité du socle commun menacé par des coups de boutoir à l'école, dans certains quartiers, parce que nous avons été trop hésitants à le défendre. Nous avons trop tardé collectivement à le faire : sans doute la classe politique n'avait-elle pas compris qu'il fallait une politique volontariste.

Pour autant, cette citoyenneté ne doit pas être la revendication d'une singularité univoque qui nierait les différences. Dans notre texte constitutionnel, il est écrit, on l'oublie trop souvent, que la République est plurielle. L'erreur commise par ceux-là même qui défendent l'universalisme républicain ou les valeurs de la République est de refuser de voir cette pluralité, de la craindre, de déformer la laïcité pour en faire une sorte de religion qui s'opposerait aux autres, d'affirmer qu' « au fond, vous n'aimez pas la France si vous choisissez des prénoms qui ne sont pas vraiment français ».

Mais comment apaiser concrètement cette tension permanente entre l'universel et le particulier?

Je crois à une politique de la reconnaissance. Dans notre Code civil figure encore cette notion très problématique d'assimilation. Elle ne correspond plus à ce que nous voulons faire. Nous devons miser sur l'intégration, permettre à chacun de rejoindre le coeur de ce modèle républicain mais en reconnaissant sa part d'altérité. Quand vous parlez l'arabe à la maison, que votre famille vient des rives du fleuve Congo, que vous possédez une histoire qui ne se noue pas entre l'Indre et la Bretagne, vous avez une singularité qui importe et il faut pouvoir la reconnaître. Chacun doit pouvoir vivre entre plusieurs horizons culturels. Je suis frappé de voir que notre République a laissé son socle se faire attaquer sans jamais reconnaître la richesse de nos diasporas pour nous-mêmes. C'est la double peine : on est tombé, en quelque sorte, dans le pire des schémas, celui du rétrécissement et de l'affaiblissement. Nous devons pouvoir être pleinement français et cultiver une autre appartenance. C'est un enrichissement et pas une soustraction. Et c'est aussi ce qui permettra à chaque Français, quelle que soit son origine, d'aimer la France, de voir la part qu'il peut y prendre et par sa différence ce

qu'il peut lui apporter. C'est aussi pour cela que dans le discours des Mureaux j'ai voulu insister sur la reconnaissance par la mémoire, par les diplômes, par une visibilité médiatique, par l'accès aux postes à responsabilité.

Donc vous assumez une part de discrimination positive?

Je ne parlerais pas de discrimination positive, mais force est de constater que notre histoire n'a pas embrassé toutes les histoires. Nous avons des mémoires fracturées, c'est « l'histoire en miettes », il y a trop de mémoires, ce que Benjamin Stora dit très bien sur la guerre d'Algérie. Les historiens travaillent, bien sûr, et c'est légitime. Mais il y a aussi la place que la Nation donne à l'histoire, dans nos livres, par nos statues, nos noms de rues... les traces de ces mémoires, de cette histoire.

Et sur ce sujet, il faut bien admettre que si le fleuve principal est là, bien présent, les affluents ne sont pas tous présents. Cela ne veut pas dire qu'il faut effacer, déboulonner, cela n'apporte rien. Mais savoir regarder en face notre Histoire. Dans sa pluralité, et ses parts d'ombre.

Prenons Colbert. Colbert est un formidable organisateur de l'Etat, il a aussi contribué avec d'autres à la rédaction du Code noir et je comprends totalement qu'il apparaisse avec les lunettes de notre époque comme une figure ayant nié la dignité humaine de tant de nos semblables. Mais il fait partie de cette histoire française. Il faut enseigner le Code noir. Raconter à quel moment et pourquoi cela s'est passé, replacer cette histoire dans sa plénitude. Je suis pour qu'on reconnaisse les histoires qui pétrissent notre pays, pour que les enfants ultramarins apprennent toute l'histoire de l'esclavagisme que la France a fait vivre à leurs aïeux. Qu'on leur enseigne les bégaiements même après Schoelcher que certains territoires ont pu vivre, les libérations que leurs propres héros leur ont fait connaître.

Je suis pour aussi qu'on reconnaisse chaque affluent qui alimente le fleuve France. Toussaint Louverture et plusieurs autres n'ont certainement pas leur juste place dans notre Panthéon national et ne sont pas suffisamment connus et reconnus. De la même manière, des enfants de la République ont une histoire prise entre l'Afrique et la France, il faut le reconnaître et le rendre tangible.

La France a cette capacité d'hospitalité, il ne faut pas en avoir peur. Au contraire, c'est une richesse inouïe, mais on a trop souvent voulu la dissimuler à nos concitoyens. Nous avons occulté ces histoires : en ne faisant pas défiler les troupes africaines sur les Champs-Elysées le premier jour de la libération à Paris, en oubliant la part d'Afrique dans le débarquement de Provence, ce que j'ai tenu à corriger le 15 août 2019. Tout cela est vrai. Tous ces plis de notre histoire collective se retrouvent dans des histoires individuelles qui par conséquent sont mal à l'aise avec l'histoire officielle. Elles ont le sentiment qu'elles n'ont pas leur place. Et cela crée du malheur, les jeunes et les moins jeunes ont le sentiment d'aider à faire tourner le pays mais de ne pas se retrouver dans les médias, dans la haute fonction publique, ils ont l'impression d'être effacés.

Voilà pourquoi nous devons faire un travail historique et mémoriel qui ne consiste pas à effacer ce que nous sommes mais à compléter notre histoire, avec de nouvelles statues, de nouvelles appellations de rue. C'est le travail de la commission que nous avons confiée à l'historien Pascal Blanchard et dont l'objectif est d'élaborer un carnet de noms qui sera ensuite mis à la disposition des maires et des associations.

Sans oublier le travail que je souhaite accélérer sur les stages et les diplômes. Nous allons mettre en place des circuits d'accès plus rapides aux grandes écoles car on ne peut pas se satisfaire de la situation actuelle.

Vous pensez qu'être un homme blanc de moins de 50 ans est un privilège?

C'est un fait. On ne le choisit pas, je ne l'ai pas choisi. Mais je constate que, dans notre société, être un homme blanc crée des conditions objectives plus faciles pour accéder à la fonction qui est la mienne, pour avoir un logement, pour trouver un emploi, qu'être un homme asiatique, noir ou maghrébin, ou une femme asiatique, noire ou maghrébine. Donc, à cet égard, être un homme blanc peut être vécu comme un privilège même si, évidemment, quand on regarde les trajectoires individuelles, chacun a sa part de travail, de mérite. Le problème commence quand cette donnée de base devient un facteur principal d'explication.

Est-ce que le combat pour l'universalisme que vous évoquiez n'est pas perdu d'avance car il s'agit d'un concept aux contours abstraits? La force du communautarisme n'est-elle pas dans sa

dimension concrète, palpable? Vous avez raison mais je pense qu'il n'y a pas de fatalité. Comme président de la République, je ne reconnais qu'une communauté qui est la communauté nationale. Mais je ne dénie pas aux autres communautés le droit d'exister. C'est la vie de chacun! Qui ne se réunit pas en fonction de son appartenance

géographique, culturelle, familiale? En même temps, et c'est la beauté de notre République, il faut de la transcendance.

La Nation française a toujours connu une tension forte entre le particulier et l'universel : c'est le cheminement séculaire de la langue française avec ses patois, le cheminement de la République avec ses municipalités et ses territoires, il suffit de se plonger dans Maurice Agulhon pour retrouver l'histoire longue de ces mouvements.

L'intelligence des séparatistes est de proposer une forme d'appartenance radicale. C'est un totalitarisme idéologique parce qu'il sépare, il est exclusif, il annihile la raison et réduit la personne à l'état de minorité en niant sa capacité à s'ériger en un individu libre. Mais il séduit car il propose à la fois une appartenance et une transcendance à ceux qu'il convoite.

Finalement, le problème de la France n'est-il pas encore et toujours un manque d'incarnation? Le général de Gaulle en donnait une représentation presque charnelle mais, comme l'a souligné l'historienne Mona Ozouf dans un entretien à la revue Zadig, « c'est d'abord une nation-idée », et sa devise « liberté, égalité, fraternité » « égrène des concepts, pas une figure ».

Je crois que cette « nation-idée » dont parle Mona Ozouf peut s'incarner concrètement. En particulier en célébrant les héros passés et présents qui ont porté haut les valeurs françaises. C'est pour cela que j'ai tenu à panthéoniser Maurice Genevoix et tous ceux de 14, ces fils de France qui sont morts pour notre liberté. Pour cela aussi que je rends hommage aux héros contemporains qui, comme Arnaud Beltrame, Cédric de Pierrepont et Alain Bertoncello ou, récemment, Samuel Paty sont les visages contemporains de la République en actes.

Après, le patriotisme, c'est aussi un quotidien. Je lisais Gaspard Proust qui se plaignait qu'on lui parle toujours de République alors qu'il aime les fleuves, la littérature, bref tout ce qui constitue les formes sensibles, presque charnelles, de l'attachement à la France.

Je partage ce qu'il dit. A côté de l'idée, il faut une forme sensible. Et il faut aimer. Ce rapport sensible, c'est ce que le patriotisme apporte : ce n'est pas seulement l'attachement à des valeurs. c'est un attachement charnel, à des textes, des poèmes, une histoire, des paysages. Et cela justifie et porte un engagement.

Vous avez, enfant, passé beaucoup de temps à Bagnères-de-Bigorre, dans cette France où les routes, les intersections, sont encore ornées de croix et de vierges, des « formes sensibles » de la religion catholique, pour reprendre votre expression. Comment cela vous a-t-il façonné personnellement? Est-ce un patrimoine à protéger?

Ces terres, plutôt radicales et socialistes historiquement, sont en effet jalonnées de présences religieuses qui font partie du paysage, ce qui montre qu'on peut vivre avec les principes républicains au milieu d'une culture et d'une civilisation chrétiennes. Dans les discussions amicales et familiales de mon enfance, de mon adolescence dans ce cadre des Pyrénées, la République était une passion, l'Etat était une passion, les sujets politiques une passion. Il n'y avait donc jamais de rétrécissement. C'était une espèce de tension entre l'enracinement, l'attachement, l'appartenance à un paysage, à une chaîne de montagnes et, en effet, dans cette géographie, la présence du religieux en ce qu'il était d'ailleurs assumé comme religieux ou devenu une habitude, une présence familière, un élément rassurant, une trace d'un passé qui structure... et un rapport à la Nation, à la patrie comme quelque chose qui dépassait. Sans doute aussi parce qu'il s'agissait de générations qui avaient connu la guerre et qui étaient forgées par cela. Ces terres pyrénéennes peuvent être dures mais elles sont marquées par cet ancrage très profond et ce rapport tellurique au pays qui dépasse tout.

Qu'y avez-vous appris d'autre?

J'y ai appris ce qu'est le déclassement. La Somme comme les Pyrénées étaient des terres d'industrie textile qui ont profondément souffert pendant les années 1980. J'ai vu ces usines fermer, ces gens perdre leur emploi et un début de perte de sens, j'ai vu s'installer le doute dont nous parlions en début d'entretien. J'ai vu Bagnères-de-Bigorre comme se figer, la ville peu à peu changer depuis les années 1970, avec ce charme suranné des villes thermales, mais quelque chose s'est arrêté. Cela dit beaucoup de notre histoire des années 1980-1990-2000.

On m'a souvent caricaturé en prétendant que je croyais uniquement à la « start-up nation ». Mais je suis persuadé que, dans tous les domaines, il nous faut renouer avec notre capacité à nous projeter dans l'avenir, à retrouver une confiance en nous et en chacun et la certitude que nous pouvons bâtir. Pas simplement éviter que les choses ne se détricotent encore davantage mais reconstruire, inventer. Renouer avec l'esprit de conquête.

Mais comment retrouver confiance quand on a le sentiment que la France, pourtant le pays des droits de l'homme, est complètement incomprise et regardée par l'étranger comme une nation en pleine déroute?

Mais attendez! Nous, Français, quand l'étranger ne nous comprend pas ou nous attaque, c'est un motif de combat!

Pour vous aussi, donc?

Oui. Et quand je m'exprime sur la chaîne Al-Jazeera, quand j'écris au Financial Times pour défendre notre liberté d'expression, notre laïcité, c'est bien ce combat que j'assume, celui, séculaire, des Lumières.

J'assume aussi ce combat chez nous. Car ne vous trompez pas : le camp de la défaite, des corporatistes, des égoïstes a toujours été très fort dans le pays. Ceux qui ont de l'ambition pour le pays, qui veulent relever le gant, qui croient en la grandeur, n'ont jamais été la majorité. L'esprit de capitulation, les gens qui doutent sont légion. Un défaitisme est là depuis longtemps et sa responsabilité est énorme : je pourrais vous renvoyer à Marc Bloch. Il y a une immense trahison des clercs dans ce malaise français que j'évoquais. Beaucoup d'intellectuels n'ont pas su penser un avenir français durant ces décennies de crises, l'élite économique s'est mondialisée, ce qui aurait pu être une excellente chose si cela avait consisté à aller tirer le meilleur de l'étranger pour le ramener chez nous. Sauf qu'elle est partie! Elle s'est nomadisée, elle est devenue de nulle part.

Mais le monde change, la génération qui est là n'est pas celle d'hier. Les patriotes sont de plus en plus nombreux. Patriotes et européens, qui sont portés par la volonté de créer, d'entreprendre, de prendre pour notre pays et notre continent des risques pour bâtir un avenir commun.

Pourtant, beaucoup d'intellectuels de tous bords pointent encore notre déclassement, notre déclin, et, même, la réduction de nos libertés.

Nombre d'intellectuels sont attachés au pays et à ses valeurs. Mais il existe un hyper relativisme contemporain, on regarde au scalpel les crises et les troubles qui sont les nôtres. On perd tous les repères jusqu'à affirmer que la France vit une crise des libertés, en nous caricaturant comme un pays qui s'effondrerait sur lui-même. Là-dessus, soyons clairs, il faut essayer de garder un solide bon sens et ne pas tout confondre. Pendant la crise sanitaire, ce que nous avons fait n'est pas une privation de libertés. Nous avons librement et collectivement consenti à réduire certaines de nos capacités à faire, à interagir pour protéger les autres. Une espèce de fantasme consisterait à dire que la liberté est un absolu qui ne connaît pas de contraintes. Ma liberté ne vaut rien si c'est la liberté d'infecter l'autre, elle ne se tient que dans un système de responsabilités. Et au contraire nous avons collectivement montré un humanisme véritable en renonçant à des plaisirs, à des facilités, pour protéger les plus faibles, nos soignants et notre système de soins parce que la liberté ne vaut que quand la liberté des autres s'articule.

Et que répondez-vous à ceux qui s'insurgent et dénoncent ce qui serait chez vous un penchant liberticide non pas pour nous protéger d'un virus mais bien par volonté de réduire l'Etat de droit?

Nous avons à faire face au terrorisme et à une société de plus en plus violente. Nous devons apporter une réponse. Notre réponse est-elle disproportionnée? Non. Elle s'est toujours faite sous le contrôle du juge. Moi-même j'ai soumis au Conseil constitutionnel les grands textes qui ont conduit à sortir de l'état d'urgence. Nous voyons des tensions très dures au quotidien, entre les forces de l'ordre, des black blocs, etc. Mais le coeur du sujet à mes yeux, ce qui me laisse penser que certains tombent dans la facilité d'une grammaire qui n'est plus celle du moment, est : comment faire vivre notre démocratie et penser ses libertés dans un temps d'une extrême violence? C'est un défi auquel nous n'avions jamais été confrontés avant. Le fait terroriste a toujours été là, mais il est internationalement mieux organisé et donc plus menaçant. Cette violence des séparatistes et en particulier de cette idéologie islamiste me conduit à apporter une réponse dans le cadre de notre Etat de droit absolument et complètement. Et j'y suis très vigilant. Mais nos ennemis utilisent nos libertés pour nous tuer, ils sont d'une sophistication extrême, ils utilisent nos libertés pour nier cette liberté. Quand des petites filles ne vont plus à l'école et se retrouvent, voilées, dans un état de servitude dans des madrasa où on les assoit par terre en leur interdisant de dessiner des visages, c'est au titre de la liberté d'instruction. On devrait laisser faire? Je m'y refuse.

Diriez-vous qu'une violence antirépublicaine a vu le jour ou s'est accentuée?

Nous sommes confrontés à une violence de rue parfois inouïe. Ont resurgi un mouvement d'extrême droite et plus encore dans notre pays un mouvement d'extrême gauche qui prône une violence anticapitaliste, antipolicière, avec un discours structuré, idéologisé, et qui n'est rien d'autre qu'un discours de destruction des institutions républicaines. C'est très grave car la démocratie et la République ne tiennent qu'aussi longtemps qu'il y a dans le débat démocratique la fin de la violence.

Précisément parce que ceux qui sont élus peuvent être chassés, parce que vous avez élu ceux qui font vos lois, qu'il y a des rendez-vous électoraux réguliers et des principes d'équilibre. La démocratie exige la fin de la haine. Or, sous couvert d'une espèce de tolérance à tout, nous avons fini par accepter la haine et la violence. Pour moi, c'est la ligne rouge. Et je considère que toutes les forces politiques qui justifient la violence en arguant que ceux qui la pratiquent sont des victimes de l'ordre établi font une erreur existentielle d'un point de vue démocratique. Ils sont en train de tuer la démocratie.

Nous pouvons exiger de chaque citoyen la non-violence parce que chaque citoyen a la possibilité de choisir ses dirigeants, et chaque voix compte. Et chaque citoyen a la liberté de s'exprimer, de critiquer le président, d'être publié, de manifester librement. Mais par la violence extrême qu'ils créent, ils menacent ces libertés parce qu'ils en détruisent les fondements. Ils détruisent par exemple progressivement la liberté de manifester. Le véritable débat démocratique à avoir ne porte pas sur l'organisation des policiers ce sont des aspects opérationnels sur lesquels le ministre de l'Intérieur est fortement engagé mais sur les moyens et les façons d'éradiquer cette violence dans la société à laquelle les forces de police sont confrontées.

L'inacceptable dans notre société contemporaine, c'est le retour de la violence extrême qui consiste à blesser ou tuer celui ou celle qui est là pour défendre l'ordre républicain. Si on ne prend pas cette hauteur, si on ne repense pas les choses en ces termes, c'est l'anéantissement de toute autorité légitime, de tout ordre et, par voie de conséquence, de toute liberté. Car seul l'ordre démocratique et républicain assure l'avancée des libertés individuelles et collectives. Le désordre, ce n'est pas la liberté, mais bien la barbarie.

A vous écouter, on a quand même le sentiment que vous vous sentez assez isolé à l'intérieur même de nos frontières.

Je suis frappé par cette espèce de mélasse intellectuelle qui tout à la fois dénonce toute forme d'autorité, la défense de l'ordre républicain, justifie la violence de rue sans jamais l'interroger et ne vient pas au secours de la défense de la liberté d'expression et de nos principes fondamentaux quand ils sont menacés. Au fond, certains aiment la liberté qui crée la chienlit mais ne défendent pas la liberté d'expression. C'est un biais extraordinaire, quand même!

Je pense exactement le contraire. Je serai toujours l'allié, le combattant déterminé du respect des libertés individuelles dans notre pays, du respect des migrants, de la défense du droit d'asile, de la lutte contre ses détournements, de la protection des libertés individuelles de nos concitoyens, mais jamais au nom de ces libertés je ne justifierais quelque désordre que ce soit. Je serai toujours du côté de l'ordre républicain mais je serai aussi le combattant de notre liberté d'expression qui ne cédera rien à un relativisme contemporain. Il y a dans tous ces commentaires tout à la fois la défense du violent et la justification de l'intimidation : « Pour ne pas choquer, on ne devrait pas vraiment dire. » Etonnant, quand même. Etonnant!

Qu'est-ce qu'un président français?

C'est un président qui se bat pour les valeurs qui sont les nôtres dans un monde en bascule. Présider notre pays, c'est porter ici et à l'international l'universalisme français, l'attachement au multilatéralisme, le combat contre les injustices, contre le dérèglement climatique, pour l'éducation, pour la santé. C'est aussi le combat pour tous les combattants de la liberté dans tous les pays du monde.

Etre président, c'est pour notre pays deux choses. Essayer de contribuer à révéler une idée : les raisons profondes que nous avons de vivre ensemble, et retrouver le fil d'un destin français sous le signe de l'optimisme. Aujourd'hui, être président français, c'est essayer de bâtir avec la Nation ce chemin vers une ambition collective qui ne soit pas une adaptation au monde car ce monde est en fracas, mais qui soit la construction d'une voie qui nous est propre.

Donc, vous dont l'objectif en 2017 était de réconcilier les Français, objectif non atteint à ce jour, vous ne vous avouez pas vaincu?

Jamais! Je ne m'avoue pas vaincu d'abord parce que dans la position où je suis, je n'en ai pas le droit. Beaucoup disent : « Il avait dit qu'il réconcilierait les Français, regardez dans quel état est le pays. » Je pense que, depuis le début de mon quinquennat, se sont révélées beaucoup de divisions ancrées depuis longtemps et c'est un processus profond qui est remonté avec la crise des gilets jaunes. Nous n'en avons pas fini avec ce mouvement de notre Nation.

La réconciliation ne se décrète pas. Mais le combat qui est le mien ne consiste pas à essayer de réconcilier en ayant des mots émollients, les Français savent que ce ne sont pas seulement des mots qui les réconcilieront, mais l'action.

Il nous faut en particulier réconcilier nos mémoires, retrouver une fierté apaisée dans notre histoire et rebâtir la trajectoire de progrès pour l'ensemble de la société française et de nos provinces. En quelque sorte, agir tous ensemble pour retrouver foi dans le progrès et l'avenir qui nous permettra de choisir notre vie et de vivre mieux.

Dans cette démarche, l'Europe a un rôle central. Et elle évolue. Qui aurait dit il y a trois ans que l'Europe adhérerait si vite à la relance budgétaire par l'endettement commun, à l'autonomie stratégique militaire et technologique, etc. C'est essentiel car la capacité française à retrouver son destin passe par cette Europe, plus souveraine. Et donc ce « Nous, Français » ne se construira qu'en retrouvant le goût de l'avenir dans ce monde si incertain. Ce « Nous, Français » est un principe d'action, à la fois une identité narrative, historique, culturelle et une praxis pour aujourd'hui et pour demain.