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Mazarine Pingeot au sujet des nouveaux combats féministes : « Ce mortel ennui qui me vient… »

TRIBUNE

Mazarine Pingeot

Autrice

La romancière dénonce le nouveau féminisme qui, selon elle, se complaît dans la morale au lieu d’agir de façon politique.

Manifestation devant la mairie de Paris à l’appel du collectif Nous toutes et d’Europe Ecologie-Les Verts, le 23 juillet.Manifestation devant la mairie de Paris à l’appel du collectif Nous toutes et d’Europe Ecologie-Les Verts, le 23 juillet. BERTRAND GUAY / AFP

Ce mortel ennui qui me vient, devant la victoire d’extrémistes de la médiocrité au nom de « l’éthique », discréditant les combats féministes : ceux qui luttent pour l’égalité des droits, l’égalité des chances, avec à l’horizon une véritable révolution anthropologique. Combats politiques et non moraux !

Aujourd’hui, les femmes sont assez puissantes pour mener ce combat politique, pourquoi s’en tiendraient-elles à occuper la seule place du ressentiment et de la vengeance, de la délation et de la vindicte ? Est-ce cela, la place naturelle de la femme ?

Ce mortel ennui qui me vient, devant une certaine jeunesse sans désir mais pleine de colère, ces jeunes femmes mieux loties que leurs mères et leurs grands-mères, qui ont mené la lutte pour elles, déblayé le terrain pour leur laisser en héritage de continuer le combat : les unes se sentent insultées quand un homme, de sa violence ancestrale, ose un compliment – et c’est comme une gifle en plein visage, certaines appellent ça un viol, au mépris de celles qui en ont vraiment été victimes ; les autres se déguisent en putes pour imiter les danseuses des clips de rap qui vantent l’argent facile et l’amour monnayable.

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Elles ne se connaissent pas, elles cohabitent. Il y a les pauvres, celles qui pensent que cacher un bifton dans leur string est le comble de la classe ; il y a les riches, les pourvues socialement et culturellement, qui identifient tout acte évoquant leur corps sacré comme un viol – réveil la nuit, manifestation du désir, expression du vivant.

Ce mortel ennui, devant les générations à venir, qui en seront réduites à des relatioÒrifées ou contractuelles. Devant les enivrés de haine, qui ne considèrent pas l’intelligence comme un atout et ont décidé plus que de s’en passer, de la piétiner systématiquement.

Qu’est-ce qu’une morale adossée à la haine ?

Devant le règne de la bêtise, du mimétisme, de la libération des pulsions de haine, et, pire que tout, de l’exaltation narcissique de croire appartenir à la morale, s’en revendiquer, en être le bras armé. Mais qu’est-ce qu’une morale adossée à la haine ?

Ce mortel ennui devant ce qui était l’arme des révolutionnaires – l’indignation – devenue la monnaie courante de tous les frustrés de la terre, des médiocres, de ceux qui veulent exister mais n’ont d’autres moyens que de vomir des insultes, de confondre les plans, l’opinion, la justice, la rumeur, les faits, d’invoquer un nouvel ordre moral au lieu de faire de la politique.

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Ce mortel ennui devant ces combattants des réseaux, qui prennent le risque suprême de descendre dans la rue masqués – le Covid-19 aura au moins fourbi les armes de la lâcheté – pour hurler des approximations et des contresens, avec le but avoué de détruire psychiquement et socialement des cibles qui sont toutes masculines, blanches et d’un certain âge, n’importe qui fera l’affaire. L’homme blanc occidental a exploité tant de monde, de cultures, et même la nature. L’homme blanc n’est pas un concept, puisqu’il est incarné par tous les hommes blancs, indistinctement. Le concept n’a plus lieu d’être, le symbolique est déchiré, anéanti, il n’y a plus de commun, pour ne pas dire d’universel, ce gros mot honni par les partisans identitaires.

Ce mortel ennui devant ces gens fiers d’eux, sûrs de leur bon droit, et qui crient. Crient pour tout, contre tout, enfonçant des portes ouvertes.

Devant les contempteurs de la domination masculine, blanche et occidentale, qui ont comme seul projet de renverser la domination, non pour un monde plus égal et construit sur un autre paradigme, mais bien pour substituer une domination à une autre.

Et l’art, dans tout ça ?

Ce mortel ennui devant l’orgasmique onanisme d’une colère pseudoféministe, quand des femmes sont encore excisées, quand des femmes sont encore lapidées, quand des femmes sont exploitées, quand des femmes gagnent moins bien leur vie que les hommes, se battent sur tous les fronts… Il faut respecter les différences culturelles, diront les nouveaux révolutionnaires, et reconstruire des murs. On se régale d’avance à la perspective de la convergence des luttes qui, à ce compte, ne peut aboutir qu’à de nouvelles frontières. Ennui mortel devant l’inconséquence des nouveaux maccarthystes.

Et que deviendra l’art, dans tout ça ? Des livrets de vertu qu’on distribuera au seuil des nouvelles églises ? Des éditoriaux pleins de bons sentiments mâtinés de haine rance de vieilles filles ? Des imprécations béni-oui-oui de néoromantiques exaltés par les combats sur Facebook ? Des œuvres théâtrales où l’on dira le catéchisme, le mal contre le bien, dont on voit vite les incarnations ? Des tableaux respectant la parité, homme, femme, Noir, Blanc, vieux, jeunes, handicapés, dans des champs de blé bio et des plants de tomates en permaculture ?

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Mortel ennui. Et où mettra-t-on donc les déviants ? Car ils risquent de devenir très nombreux. Si la police des mœurs s’exerce comme l’appellent de leurs vœux les nouveaux parangons de vertu. Reste l’autocensure, l’intériorisation de l’interdit. Un nouveau vocabulaire est à disposition, et, pour les écrivains, on pourra toujours fournir un dictionnaire officiel des mots acceptables. La morale a aussi son mot à dire sur la culture. Dieu merci, morale et culture sont des substantifs féminins…

Avant même de mourir du réchauffement climatique, nous risquons de mourir d’ennui. Car nous avons prévenu nos enfants qu’ils auraient à se battre pour sauvegarder la planète. Mais leur avons-nous glissé qu’ils auraient aussi à affronter le mortel ennui qui s’abat sous le drapeau brandi d’une morale de la haine ? L’idée même de combat politique risque d’y succomber.

 


« Les nouveaux combats féministes sont tout sauf ennuyeux… »

TRIBUNE

Léa Domenach

Autrice et réalisatrice

Myriam Levain

Autrice et journaliste

Loin de l’image donnée par Mazarine Pingeot, les « luttes pour l’égalité femmes-hommes sont pleines de joies et de promesses », estiment la réalisatrice et l’autrice dans une tribune au « Monde », à la tête d’un collectif de féministes.

 

Lors d’une mobilisation du groupe féministe « Toutes en grève », à Toulouse, le 8 juin.Lors d’une mobilisation du groupe féministe « Toutes en grève », à Toulouse, le 8 juin. LIONEL BONAVENTURE / AFP

Tribune. Lorsqu’une missive antiféministe est publiée, c’est toujours un coup au cœur pour celles et ceux qui, comme nous, portent cette cause. Quand elle vient d’une femme de lettres et (malgré elle ?) héritière d’une certaine gauche, la tristesse est encore plus grande. Nous ne nous reconnaissons en rien dans ce monde où vit Mazarine Pingeot. Pour nous, les changements auxquels nous assistons en matière de luttes pour l’égalité femmes-hommes sont pleins de joies et de promesses. Certes, cette « jeunesse » que juge Mazarine Pingeot du haut de son pas si grand âge exprime de la colère car les choses n’avancent pas assez vite pour elle, mais, contrairement à ce qu’elle affirme, elle est surtout pleine de désir : celui de construire un monde juste et égalitaire. Ce qui est d’un ennui mortel, en revanche, c’est de prendre les jeunes pour des incapables.

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Quelle joie en effet pour la jeune génération d’honorer l’héritage de ses aînées et de prolonger leurs combats en interrogeant aussi ce qui est resté impensé. De voir des filles de 16 ans en tête des cortèges pour revendiquer une égalité qu’elles savent ne pas avoir acquise. Il suffit pour elles de se promener dans la rue pour savoir qu’elles restent encore aujourd’hui confrontées à une violence sexiste quotidienne. Cette prise de conscience est générale et nous invite à dépasser tous les clivages. Mais apparemment, dans le monde peu sororal de Mazarine Pingeot, ceux-ci se résument à une lutte entre celles qui se sentent « insultées quand un homme ose un compliment » et celles qui « se déguisent en putes pour imiter les danseuses des clips de rap ».

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Nous préférons penser que, dans notre monde, celui de 2020, toutes ces femmes ne vivent pas « à côté » mais marchent main dans la main, avec comme point commun de pouvoir dire haut et fort qu’elles font ce qu’elles veulent de leur corps, reprenant ainsi le slogan de leurs aînées. Qu’elles peuvent refuser un rapport sexuel ou s’habiller en microshort sans avoir la peur de passer pour une « allumeuse » et de « l’avoir bien cherché » si elles se font agresser. Certes, chacune se bat avec ses armes. L’union, parce qu’elle est plurielle, est aussi complexe qu’intéressante, mais nous avons un but commun : mettre un terme à la domination patriarcale que nous nous prenons constamment en pleine figure et qui unit nos destins de femmes. Ce qui est d’un mortel ennui, c’est d’être dans le déni d’une réalité vécue par 52 % de notre planète.

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Quel bonheur, donc, de vivre dans ce monde post-#metoo où cette possibilité devient réalité. Quelle joie aussi pour les hommes de pouvoir enfin se débarrasser des codes de la masculinité toxique. D’endosser un autre rôle que celui du mâle dominant et s’épanouir dans des rapports de séduction dénués de notion de performance. D’exprimer ses émotions, sa vulnérabilité, de découvrir que le monde est plus vaste quand on l’observe de plusieurs endroits. Un monde où « l’expression du vivant » n’est pas seulement un désir unilatéral envers une femme objet, mais un endroit où son désir s’exprimerait pleinement. Sans une nouvelle pandémie, nous pourrions assister à une réelle révolution sexuelle. Comme celle qu’auraient connue nos aînés, mais en mieux. Ce qui est d’un mortel ennui, c’est de ne pas la désirer ardemment et de le manifester publiquement.

Dans le monde de 2020, c’est aussi une grande joie de voir que la nomination d’un ministre de l’intérieur sous le coup d’une enquête judiciaire pour viol suscite l’indignation – la déception qu’il soit maintenu en poste n’en est que plus grande. Ou que des élus d’un conseil municipal n’acceptent pas que soit nommé un adjoint qui a été complaisant envers Gabriel Matzneff. C’est un débat tout sauf ennuyeux, et nous avons enfin le droit de le poser en France. Un débat où, dans le monde que nous essayons de construire, on ne rabaisse pas ses adversaires à des « médiocres », des « frustrés », des « vieilles filles ». C’est cela qui « construit des frontières » entre les femmes, et non pas l’intersectionnalité. Dans ce monde, nous tentons d’opposer des idées, voire des idéaux, avec de l’humour, et même du recul, notions qui semblent faire défaut au monde de Mazarine Pingeot. Continuer à confondre exigence éthique et puritanisme, voilà qui est d’un mortel ennui.

Lire aussi la tribune de militantes féministes : « Gisèle Halimi vient de mourir et Mazarine Pingeot souffre d’un mortel ennui »

Quel bonheur aussi de voir une domination séculaire s’effriter. Non pas pour lui en substituer une autre, mais pour qu’une pluralité de voix soit entendue. Pour qu’elles reflètent la réalité de tous et non pas la réalité fantasmée de quelques-uns. Il ne s’agit pas de décapiter les hommes blancs, mais qu’ils choisissent d’être nos alliés en cessant d’entretenir un système dont nous ne voulons plus et eux non plus. Et ce dont nous ne voulons plus, c’est du silence, d’une parole encore confisquée par une élite monolithique et monochrome. Pour nous, c’est ce silence, auxquelles les femmes – et toutes les minorités – ont été réduites pendant des siècles, qui est d’un mortel ennui.

Et l’art, dans tout ça ? Quelle incroyable joie de se dire qu’en matière artistique, tout est à inventer. Quel plaisir de relire certaines œuvres avec notre conscience d’aujourd’hui, non pour en avoir un « jugement moral » mais pour mieux les appréhender et se féliciter du chemin parcouru. N’est-ce pas la fonction même d’un artiste que de faire travailler son imagination au gré de son époque ? Quel plaisir de se dire que notre langage est encore et toujours en mouvement. Qu’il y a tant de choses qui n’ont pas été dites, tant de points de vue à faire émerger. Ce qui est d’un mortel ennui et le sera toujours, c’est le « c’était mieux avant ».

Nous ne voulons pas d’ennui et encore moins de haine dans le monde que nous souhaitons construire. Nous voulons de l’amour, beaucoup. Nous invitons Mazarine Pingeot et toutes celles et ceux qui le veulent à nous aider, car c’est un combat éminemment joyeux et éminemment politique que de vouloir construire ensemble ce monde-là.

Léa Domenach est autrice et réalisatrice. Elle a réalisé plusieurs documentaires dont l’Ecole du genre (www.ecoledugenre.com), qui traite de la construction des inégalités femmes-hommes en France aujourd’hui. Elle écrit actuellement des fictions pour le théâtre, le cinéma et la télévision.
Myriam Levain est journaliste et cofondatrice du site d’information féministe Cheek Magazine. Elle est l’autrice de Et toi, tu t’y mets quand ? (Flammarion, 2018), un essai sur l’autoconservation des ovocytes et l’injonction à la maternité.


Néoféminisme : « La morgue de Mazarine Pingeot ne nous tuera pas »

TRIBUNE

Camille Froidevaux-Metterie

Philosophe

La philosophe Camille Froidevaux-Metterie considère, dans une tribune au « Monde », que le féminisme universaliste défendu par les autrices Mazarine Pingeot et Belinda Cannone est en retard d’un monde.

Tribune. Dans de récentes tribunes (Le Monde du 29 juillet et du 1er août), Mazarine Pingeot et Belinda Cannone se désolent que le féminisme contemporain ne soit pas politique mais moral, enfermé dans « le ressentiment » et « la vengeance », incapable de mener les (vrais) combats. La première donne à sa déploration la forme d’une rageuse anaphore, déroulant « ce mortel ennui » que lui procure « une certaine jeunesse sans désir mais pleine de colère ». La seconde déroule les faits (affaires Darmanin et Girard) pour rappeler que « faire de la politique », ce n’est pas « se contenter du rôle de la victime enivrée de colère ». On leur reconnaîtra d’avoir repéré l’intensité de ce sentiment qui, loin d’être une « passion triste », constitue le moteur puissant des luttes féministes actuelles.

Plutôt que d’entrer dans le détail d’arguments oscillant entre aigreur et anathème, je préfère déduire de ces réactions ce qu’elles nous disent de l’inédit et de l’irrésistible du moment féministe où nous sommes. Dans le collimateur de ces inquisitrices inactives, il y a d’abord l’intense dynamique de dénonciation des violences sexuelles déployée depuis #metoo. En la qualifiant de « morale adossée à la haine », Mazarine Pingeot grossit le flux des réactions outrées de celles et ceux qui refusent de voir disparaître l’ancien monde de la domination masculine où s’enracinent leurs privilèges. En réduisant le féminisme à un combat pour l’égalité des droits et des chances, elle reste aveugle à ce scandale qui voit les corps des femmes demeurer des corps « à disposition » au sein même de nos sociétés de l’émancipation. C’est précisément cela que les « néoféministes » ont décidé de révéler : par-delà les avancées sociales et les conquêtes politiques, les femmes continuent de subir des agressions physiques et sexuelles sans qu’on les entende, ou si peu, et sans obtenir jamais, ou quasiment, réparation.

Ni indignation ni vindicte

Mais ce que les croisées de la vertu universaliste refusent surtout d’admettre, c’est le fait certain que, derrière chaque victime de violences, il y a un agresseur, un homme donc. La mise au jour de cette évidence massive (selon une récente enquête NousToutes, sept femmes sur dix ont subi des faits assimilables à un viol ou une agression sexuelle) s’accompagne de la volonté tout aussi massive d’en terminer avec la tolérance tacite d’un tel état de fait. Cela implique de qualifier et de désigner, non pas ceux qui « osent un compliment » que « certaines appellent viol », mais bien ceux qui frappent et qui dévastent, pour réclamer justice.

Alice Coffin a reçu des tombereaux d’injures pour avoir rappelé qu’il s’agit en effet d’hommes, c’était tellement facile de fustiger une lesbienne pour sa prétendue détestation des mâles. Sachez que, parmi les « néoféministes », nous sommes très nombreuses, hétérosexuelles, parfois même mariées et mères de famille, à dénoncer le scandale de la perpétuation de la prise masculine sur les corps féminins. Apprenez surtout qu’il n’y a là ni indignation morale ni vindicte haineuse, mais la volonté de mener à bien le projet féministe de démolition des fondements patriarcaux de notre société. Ce projet est non seulement éminemment politique, il est aussi foncièrement démocratique puisqu’il s’agit de garantir aux femmes les droits qui leur sont encore déniés et de parachever ainsi l’ambition égalitaire définissant notre monde commun.

Faisceau croisé de discriminations

Cette aspiration anime également celles et ceux qui défendent la cause féministe au prisme de l’intersectionnalité ; c’est le second aspect visé par ces tribunes dénonçant les « nouveaux maccarthystes ». Ainsi que la crise sanitaire l’a cruellement montré, des millions de femmes endurent un faisceau croisé de discriminations, où le genre se superpose à la classe sociale et à la condition racisée pour produire des modalités d’existence insupportables et indignes. C’est ce que mettent au jour les analyses intersectionnelles. Il a fallu quelques décennies pour que les féministes françaises se débarrassent de leur solipsisme blanc et les intègrent. Nous sommes dans le moment de cette prise de conscience où le féminisme croise le chemin de l’antiracisme, et cela génère quelques remous, comme à chaque fois qu’il faut accepter de remettre en cause des privilèges aussi prégnants qu’impensés.

Mais les voix puissantes qui s’élèvent n’exercent en rien une « police des mœurs » et prétendent encore moins « substituer une domination à une autre ». Elles portent des revendications politiques placées sous le double signe de la justice et de l’égalité. N’en déplaise à Mazarine Pingeot, cette dynamique ne concerne pas « une poignée de militantes », elle entraîne la société tout entière, contempteurs et détractrices compris, comme en témoigne sa verve paniquée. Elle prétend pourtant en mourir d’ennui ? Sa morgue ne nous tuera pas, elle rend plus fortes les vivantes et survivantes que nous sommes.

Camille Froidevaux-Metterie est philosophe et professeure de science politique à l’université de Reims Champagne-Ardenne.



« Gisèle Halimi vient de mourir et Mazarine Pingeot souffre d’un mortel ennui »

TRIBUNE

Collectif

Dans une tribune collective au « Monde », treize militantes féministes de tous âges répliquent à un texte de Mazarine Pingeot où la romancière déclare son « mortel ennui » face à un nouveau féminisme substituant la morale à la politique. Elles estiment que mener un combat pour les droits des femmes est un combat éminemment politique.

Publié le 04 août 2020 à 16h53 - Mis à jour le 13 août 2020 à 12h28    Temps deLecture 3 min.

Tribune. Gisèle Halimi vient de mourir et Mazarine Pingeot souffre d’un « mortel ennui »… Pourquoi rapprocher ces deux événements dont l’un est d’une importance capitale et l’autre ne vaut que par l’intérêt que lui a accordé Le Monde ? Parce que c’est au nom du combat des mères et des grands-mères que Mazarine Pingeot, dans l’édition du 29 juillet du quotidien (« Ce mortel ennui qui me vient… »), s’érige en « dormeuse » de leçons.

Sachez pour commencer, Madame Pingeot, que des mères et des grands-mères sont présentes dans ce que vous qualifiez de « nouveaux combats féministes ». Et elles se réjouissent de voir de nouvelles générations combatives se lever pour reprendre le flambeau.

Sachez aussi que la lutte contre les violences faites aux femmes et aux enfants est un combat qui a commencé dès les années 1970 avec le Mouvement de libération des femmes (MLF) qui a aujourd’hui, heureuse coïncidence, 50 ans. Et c’est bien ce combat que nous continuons à mener.

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Et si vous pensez que les jeunes générations dans leur globalité appréhendent la prostitution comme un travail, vous vous trompez lourdement. Beaucoup pensent que c’est une violence et se félicitent, malgré certaines carences, du vote de la loi du 13 avril 2016 qui prend en charge la sortie de la prostitution et pénalise enfin les clients au lieu de fustiger, comme auparavant, les personnes prostituées.

Torrents de haine

Oui, nous nous réclamons ensemble de la morale et nous avons encore la naïveté de croire, erreur de jeunesse ou de… vieillesse, que la politique devrait être morale. Vous pas, visiblement. Et nous considérons que mener un combat féministe pour les droits des femmes est un combat éminemment politique. Oui, nous faisons donc de la politique !

Sans jamais les citer, vous faites sans doute référence à Gérald Darmanin, Eric Dupond-Moretti et… Christophe Girard. Nous avions aussi la faiblesse de croire que, depuis #metoo, la lutte contre les violences faites aux femmes et aux enfants avait franchi un pas décisif et qu’être ministre de l’intérieur et accusé de viol était incompatible. De même qu’être ministre de la justice et auteur incessant de propos sexistes, avocat très offensif contre les victimes de viol.

Mais le pire, pour vous, c’est sans doute Christophe Girard, encarté au Parti socialiste, qui n’est accusé de rien sauf de connaître visiblement un peu trop un dénommé Gabriel Matzneff, accusé de pédocriminalité, avec qui il dînait au restaurant aux frais de la Mairie de Paris et donc du contribuable. De la morale encore, que vous transformez en un tour de passe-passe en « ordre moral » et « livrets de vertu ».

Nous ne nous appesantirons pas sur les torrents de haine lesbophobe reçus par Alice Coffin, élue du Conseil de Paris, qui a dénoncé cette situation avec Raphaëlle Rémy-Leleu, autre élue. Haine que votre politique ne semble pas condamner. Notre morale, si !

De nombreuses universalistes

Sachez aussi que parmi toutes ces jeunes féministes, il y a de nombreuses universalistes. Ce qui les mène à lutter contre la domination masculine, le racisme, le colonialisme, pour la régularisation des sans-papiers, le soutien aux « gilets jaunes », pour un monde égalitaire et non pour « substituer une domination à une autre ».

Et elles portent aussi un internationalisme féministe contre l’excision, en soutien au mouvement social algérien, aux féministes latino-américaines luttant pour obtenir l’avortement ou aux Polonaises qui sont sans cesse menacées d’être privées de droit.

Elles s’élèvent aussi contre le temps partiel, la précarité, militent pour l’égalité salariale et professionnelle, pour la grève féministe.

Bref, nous vous saurions gré dorénavant de ne plus donner de leçons sur une réalité que vous n’appréhendez pas du tout. Cela vous évitera de vous ennuyer mortellement et nous, de perdre un temps précieux que nous n’avons pas à vous consacrer.

Les signataires : Zahra Agsous, militante féministe, 49 ans ; Marie-Noëlle Bas, présidente des Chiennes de garde, 66 ans ; Josie Céret, militante de la coordination des associations pour le droit à l’avortement et la contraception, 82 ans ; Marilou Clair, militante féministe, 27 ans ; Manuela Dufour, militante féministe, 30 ans ; Marie-Paule Grossetete, militante féministe, 66 ans ; Gwenn Herbin, militante féministe, 31 ans ; Anne Leclerc, militante féministe et syndicaliste, 63 ans ; Céline Piques, porte-parole d’Osez le féminisme !, 44 ans ; Karine Plassard, militante féministe, 47 ans ; Lorraine Questiaux, militante féministe, 33 ans ; Suzy Rojtman, porte parole du Collectif national pour les droits des femmes, 67 ans ; Neila Sayah, militante féministe, 22 ans.