Pierre Vidal-Naquet:
Thèses sur le révisionnisme
in Les assassins de la mémoire
Points Seuil, 1995 © La Découverte 1987

 

 

D'un révisionnisme l'autre

Des mythes de guerre et du cheminement de la vérité

Qu'il est plusieurs demeures...

D'un mélange explosif

Des nations et d'Israël

L'histoire après Auschwitz

1. D'un révisionnisme l'autre

J'appelerai ici « révisionnisme » la doctrine selon laquelle le génocide pratiqué par l'Allemagne nazie à l'encontre des Juifs et des Tsiganes n'a pas existé mais relève du mythe, de la fabulation, de l'escroquerie[1]. Je parle ici du « révisionnisme » au sens absolu du terme, mais il existe aussi des révisionnismes relatifs dont je dirai quelques mots.

Le mot lui-même a une histoire qui est étrange et qui mériterait d'être développée. Les premiers
« révisionnistes » modernes ont été, en France, les partisans de la « révision » du procès d'Alfred Dreyfus (1894), mais le mot a été très rapidement retourné par leurs adversaires[2] et ce renversement doit être considéré comme symptomatique. Le mot a pris par la suite un sens tantôt positif, tantôt négatif, impliquant toujours la critique d'une orthodoxie dominante. Révisionnistes, Bernstein et ses amis face aux marxistes orthodoxes, et le terme s'est transmis aux maoïstes qui qualifient ainsi leurs ennemis soviétiques. Révisionnistes aussi, par rapport au sionisme traditionnel, les disciples de Vladimir Jabotinsky, actuellement au pouvoir en Israël, révisionnistes les historiens américains qui contestent la version, officiellement et traditionnellement reçue, des origines de la guerre froide.

Les révisionnistes du génocide hitlérien se réclament cependant, en partie à bon droit, d'une autre école historique américaine, celle que l'on peut symboliser par le nom de H. E. Barnes (1889-1968) [3]. Historien et sociologue, « radical » au sens américain du terme, au moins au début de sa carrière, anti-impérialiste et anticolonialiste [4], Barnes s'insurgea contre l'orthodoxie historienne qui attribuait aux seuls empires centraux la responsabilité de la Première Guerre mondiale. Pour n'être pas totalitaire, cette orthodoxie n'en était pas moins réelle, en France, en Angleterre, comme aux États-Unis. Le « livre jaune » français de 1914 gommait les épisodes les plus gênants et se livrait parfois à un pur et simple truquage, par exemple en présentant la mobilisation générale russe (30 juillet 1914) comme postérieure à la mobilisation austro-hongroise (31 juillet). Pendant la guerre, la propagande avait, pour la première fois, agi d'une façon massive[5]. Les historiens étaient, dans les deux camps, entrés en jeu. Un historien américain, par exemple, publia en 1919 un recueil qui s'intitulait, paradoxalement et significativement, Salves d'un non-combattant[6]. L'orthodoxie, dans le monde libéral, n'était certes pas imposée comme elle l'était et devait l'être dans le monde totalitaire, elle n'en existait pas moins. L'historien français Jules Isaac, auteur de manuels bien connus pour les élèves des lycées, voulut, en 1935, déposer à la Sorbonne un sujet de thèse sur le ministère Poincaré (janvier 1912-janvier 1913), ce qui posait, dans le contexte historiographique de l'époque, le problème de la responsabilité de Poincaré aux origines de la guerre. La Sorbonne demanda que, « par raison de convenance », le nom de Poincaré ne figurât pas dans le libellé du sujet. Isaac refusa ce compromis et écrivit au doyen de la Faculté des lettres : « Si, "par raison de convenance", la Faculté m'interdit de faire figurer dans le titre le nom de Poincaré, "par raison de convenance" également la Faculté pourra me demander de ne pas mettre en pleine lumière dans le cours de l'ouvrage le rôle personnel de Poincaré[7]. » Ce qui est vrai après la Première Guerre mondiale le demeura après la seconde. Aux Etat-Unis, le président Truman s'adressa le 22 décembre 1950 au congrès de l'American Historical Association et lui demanda de l'aider à mettre en oeuvre un programme historique fédéral de lutte contre le communisme[8]. Il s'agissait, bien sûr, d'opposer la vérité au mensonge, mais la vérité peut-elle être aisément fédérale ?

H. E. Barnes ne se contenta malheureusement pas de détruire l'orthodoxie de l'Entente et de leur allié américain, il l'inversa. Son livre sur La Genèse de la Guerre mondiale[9] découvre, ou plutôt invente, un « complot franco-russe qui causa la guerre ». Il n'hésite pas à
« révéler », par exemple que Jaurès fut assassiné « sur l'instigation d'lswolski et de la police secrète russe [10] ».

Jules Isaac pourra dire, avec modération, qu'il est « téméraire, et d'une extrême fantaisie dans l'application de la méthode historique[11] ».

Ce livre de Barnes a encore un enseignement à nous apporter. S'adressant au public français, le patriarche du révisionnisme américain invoque l'affaire Dreyfus ; c'est aussi en rappelant l'exemple de l'Affaire qu'il aboutit à blanchir entièrement l'Allemagne de toute responsabilité dans la genèse du conflit mondial - ce qui est aussi absurde que la thèse inverse[12]. L'Affaire est donc une référence, et aussi paradoxal que cela puisse paraître, elle le demeurera pour nombre de révisionnistes du génocide hitlérien[13].

Référence, elle l'est en vérité, mais dans un tout autre sens. C'est à bon droit que Hannah Arendt a vu en elle un des premiers temps de la genèse du totalitarisme modeme [14]. Mutatis mutandis, l'évidence de la culpabilité de Dreyfus, en dépit des « preuves » qui déferlent et que l'on s'acharne à retourner est, pour le noyau antidreyfusard, un dogme aussi incontournable que l'innocence de Hitler, accusé de génocide, pour le révisionniste d'aujourd'hui. Innocenter Hitler au nom des valeurs dreyfusardes, et avec l'obstination des nationalistes les plus bornés, c'est là un raffinement moderne particulièrement digne d'intérêt.

Affaire Dreyfus, lutte contre les versions nationalistes de la guerre de 1914-1918[15], lutte contre les« mensonges » de la Seconde Guerre mondiale, et contre le plus gros de tous les « mensonges », le génocide hitlérien, cette « escroquerie du xxe siède[16] », voilà les trois éléments qui permettent de rendre compte de la « bonne conscience » des révisionnistes et tout particulièrement des révisionnistes« radicaux » ou « gauchistes », de Paul Rassinier à Jean-Gabriel Cohn-Bendit[17]. Le cas de Rassinier est particulièrement remarquable : socialiste, pacifiste et cependant résistant, déporté, il est le vrai père du révisionnisme contemporain. « Rassinier, dans un mouvement d'obstination dont on ne peut tout à fait débrouiller l'énigme, reste fidèle jusqu'au sein de cette nouveauté absolue, le monde concentrationnaire, à la leçon de 14. S'il décrit son expérience dans tous ses détails, s'il travaille à la conceptualiser, à la thématiser, ce n'est pas pour la transmettre, mais bien pour la supprimer en tant qu'expérience, pour la nettoyer de tout ce qui en elle échappe au répétitif. Il ne magnifie pas les SS par fascination ou bien en vertu de je ne sais quel masochisme, il les banalise dans le seul dessein de faire entrer une guerre dans l'autre, et de mettre tous les comportements - ceux de la victime et ceux du bourreau, ceux des soldats allemands et ceux de leurs adversaires - sur le compte de la même "abjection déraisonnable"[18]. » Niant, longtemps en solitaire, le génocide hitlérien, Rassinier pense être à la fois Romain Rolland « au-dessus de la mêlée » en 1914, et Bernard Lazare, combattant solitaire pour la vérité et la justice en 1896. Son exemple influencera H. E. Barnes et contribuera à la transition entre le révisionnisme ancien et le révisionnisme moderne[19]. Il fallait reconstituer cet ensemble et on essaiera de le dessiner de façon plus précise. Faut-il pourtant réfuter les thèses « révisionnistes » et notamment la plus caractéristique d'entre elles, la négation du génocide hitlérien et de son instrument privélégié, la chambre à gaz ? Il a paru parfois nécessaire de le faire[20]. Telle ne sera certainement pas mon intention dans ces pages. A la limite, on ne réfute pas un système clos, un mensonge total qui n'est pas de l'ordre du réfutable, puisque la conclusion y est antérieure aux preuves [21]. Il a jadis été nécessaire de prouver que les Protocoles des Sages de Sion étaient un faux. Mais, comme le disait H. Arendt, si tant de gens croient ce document authentique, « le travail de l'historien n'est plus [seulement] de découvrir l'imposture. Sa tâche n'est pas non plus d'inventer des explications qui dissimulent le fait historique et politique essentiel : on a cru à un faux. Ce fait est plus important que la circonstance (historiquement parlant, secondaire) qu'il s'agit d'un faux[22] ».

2. Des mythes de guerre et du cheminement de la vérité

Propagande, ou, comme on le disait, « bourrage de crâne », pendant la guerre de 1914-1918 ; propagande et « bourrage de crâne » pendant la guerre de 1939-1945. Le grand massacre hitlérien est mis sur le même plan que les « enfants aux mains coupées » de 1914, il s'agirait tout simplement d'une opération de guerre psychologique. Cette théorie centrale du « révisionnisme » a le mérite de nous rappeler deux données de base du conflit mondial. La propagande alliée a dans l'ensemble fort peu utilisé le grand massacre dans sa guerre psychologique contre l'Allemagne nazie. Les informations sur le génocide, lorsqu'elles ont commencé à filtrer, et elles l'ont fait très tôt, se sont dans l'ensemble heurtées à des obstacles gigantesques, dont le moindre n'était pas, précisément, le précédent de 1914-1918. En un sens, on peut dire que les premiers « révisionnistes », et parmi eux nombre de Juifs, se sont recrutés pendant la guerre, dans l'appareil d'information des puissances alliées. Tout cela a été par exemple établi de façon irréfutable dans un travail récent de Walter Laqueur[23].

Dans le flot d'informations qui provenait des territoires occupés, il y avait du vrai, du moins vrai, et du faux. Le sens général de ce qui était en train de se produire ne faisait aucun doute, mais, sur les modalités, il y avait souvent lieu d'hésiter entre telle ou telle version. S'agissant, par exemple, du camp d'Auschwitz, ce n'est qu'en avril 1944 que put être établie, à la suite d'évasions, une description de première main, et qui s'avéra remarquablement exacte, du processus d'extermination. Ces « protocoles d'Auschwitz » devaient être rendus publics par le War Refugee Board américain seulement en novembre 1944[24]. La déportation et le massacre des Juifs hongrois, à partir de mai 1944, furent des événements annoncés par la presse neutre et alliée pour ainsi dire au jour le jour[25].

J'ai parlé de « vrai » et de « faux ». Cette opposition simple rend assez mal compte de ce qui s'est passé. Depuis les erreurs sur les formes architecturales jusqu'aux confusions sur les distances ou sur les nombres, toutes les formes d'inexactitudes ont existé, et ont existé aussi les fantasmes et les mythes. Mais ils n'existaient pas en soi, comme une création sui generis, comme une « rumeur » ou comme une escroquerie inventée par un millieu déterminé, les sionistes de New York par exemple [26]. Ils ont existé comme une ombre portée de la réalité, comme un prolongement de la réalité [27]. Ajoutons à cela que les informations les plus directes et les plus authentiques, lorsqu'elles parvenaient aux services des renseignements alliés, avaient besoin d'être décryptées, parce que écrites dans le langage codé des systèmes totalitaires, langage qui n'a pu, le plus souvent, être pleinement interprété qu'après la fin de la guerre.

Donnons un exemple de chacun de ces deux phénomènes en commençant par le second. Les services secrets britanniques avaient déchiffré les codes utilisés par les AIlemands, pour leurs émissions internes. Parmi les documents de source policière ainsi connus figuraient des données numériques : entrées et sorties du matériel humain pour un certain nombre de camps dont Auschwitz, et ceci entre le printemps de 1942 et février 1943. Une des colonnes indiquant les « départs par tous les moyens » fut interprétée comme signifiant la mort. Mais il n'est pas question dans ces textes de gazage[28]. Grâce à une publication officielle polonaise, nous connaissons parfaitement ce type de documents. Ainsi cette statistique établie le 18 octobre 1944 au camp des femmes de Birkenau et qui additionne comme autant de
« départs » diminuant les effectifs du camp : mort naturelle, transit et « traitement spécial », ce qui fut déchiffré ensuite comme signifiant le gazage[29].

Un des documents capitaux discutés dans le livre de Laqueur [30] est un télégramme adressé de Berne à Londres, le 10 août 1942, par G. Riegner, secrétaire du Congrès juif mondial. Ce télégramme, rédigé sur la base d'informations communiquées par un industriel allemand, annonce que l'on envisage au quartier général du Führer de faire rassembler tous les Juifs européens « pour être exterminés d'un seul
coup » (« be at one blow exterminated »). Parmi les moyens étudiés : l'acide prussique. La part de l'erreur et du mythe dans ce document est remarquable. La décision de procéder à des exterminations avait été prise bien des mois auparavant ; l'emploi de l'acide prussique (Zyklon B), inauguré en septembre 1941 sur des prisonniers de guerre soviétiques, était courant à Auschwitz depuis le début de 1942, et l'utilisation du gaz est évidemment contradictoire avec une extermination opérée d'un seul coup qui supposerait l'arme atomique alors inexistante.

En termes freudiens, on dira qu'il y a condensation et déplacement de l'information.

Mais condensation de quoi ? Un des plus remarquable débats qu'ait provoqués parmi les historiens la politique hitlérienne d'extermination est celui qui a opposé Martin Broszat et Christopher Browning dans une même revue scientifique allemande [31].

Réfutant un livre semi-révisionniste de l'historien anglais David Irving[32], qui avait exonéré Hitler au bénéfice de Himmler de la responsabilité du grand massacre, M. Broszat voit dans la « solution finale », qui est bien l'extermination, quelque chose d'en partie improvisé, qui se développa en quelque sorte au coup par coup. A quoi Browning répond qu'il faut prendre tout à fait au sérieux les informations données par Höss et par Eichmann, le premier d'après Himmler, le second d'après Heydrich[33] : c'est pendant l'été 1941 que Hitler a pris la décision d'exterminer les Juifs. Qu'un tel ordre, transmis à quelques-uns, ayant reçu rapidement un commencement d'exécution, soit devenu par condensation le « coup unique » du télégramme de Riegner, voilà qui n'est pas du tout invraisemblable.

Mais comment ne pas insister aussi sur le rôle capital des étapes dans un processus qui se déroule selon l'ordre du temps, étapes sur lesquelles le travail de Broszat apporte des précisions importantes ? Étapes : le ghetto modèle de Theresienstadt et le « camp des familles » à Auschwitz, étapes aussi les ghettos avec leurs couches sociales privilégiées et qui croyaient par ces privilèges échapper à un processus commun qu'elles contribuaient à mettre en oeuvre, étapes sur les lieux mêmes de l'extermination pour celles et ceux qui n'étaient pas sélectionnés pour la chambre à gaz. Seules les étapes de toutes natures ont permis à la politique d'extermination de se dérouler en somme en douceur.

Tous ces moments d'un processus, ces étapes d'un meurtre servent d'arguments aux révisionnistes. Parce que des noces juives ont pu être célébrées à Maïdanek près de Lublin, on feindra de croire que les camps étaient, au besoin, des lieux de réjouissance [34]. Qui ne voit au contraire que les étapes sont les conditions temporelles et sociales nécessaires de la bonne marche de la tuerie ?

3. Qu'il est plusieurs demeures...

Tracts, livres « savants », livres de propagande banale, brochures ronéotypées, revues d'allure distinguée, vidéo-cassettes, le révisionnisme se présente sous des formes multiples et variées. A examiner un ensemble de ces documents dans les rayons d'une bibliothèque[35], à constater la multiplicité des traductions d'un seul et même texte[36], à lire ces multiples références savantes à des journaux ou à des livres obscurs, on a le sentiment d'une seule et vaste entreprise internationale. Conclusion excessive, peut-être, encore qu'il existe indiscutablement, en Californie, le centre d'une Internationale révisionniste qui accueille et redistribue toute cette littérature[37]. Il n'y a rien là de surprenant ; c'est simplement une conséquence de la planétarisation de l'information et de la position dominante qu'occupent les États-Unis dans le marché mondial[38]. En fait, l'« information » est répandue, à des niveaux très divers, souvent par les mêmes personnes. Citons par exemple le cas de Dietlieb Felderer, né à Innsbruck en 1942, installé en Suède, témoin de Jéhovah, appartenant donc, par conversion, à un groupe qui fut persécuté, mais non exterminé, à l'époque hitlérienne[39]. Collaborateur du Journal of Historical Review, c'est-à-dire d'une revue à prétentions scientifiques[40], il édite aussi, à Täby, en Suède, un périodique antisémite ronéotypé proprement immonde, Jewish Information[41], diffuse de nombreux tracts, et organise, en principe chaque été, des voyages
« révisionnistes » en Pologne. Conduire ces touristes d'un nouveau genre à Auschwitz ou sur les traces de Treblinka en leur expliquant qu'il ne s'y est rien passé de bien grave, voilà tout de même de l'inédit, riche en sensations d'une exceptionnelle saveur. Le révisionnisme se trouve au carrefour d'idéologies très diverses et parfois contradictoires : l'antisémitisme de type nazi, l'anticommunisme d'extrême-droite, l'antisionisme, le nationalisme allemand, les divers nationalismes des pays de l'Est européen, le pacifisme libertaire, le marxisme de l'ultra-gauche. Comme il est aisé de le prévoir, ces doctrines apparaissent tantôt à l'état pur, tantôt, et même le plus souvent, sous formes de combinaisons variées. Donnons quelques exemples peu connus. Une maison d'édition hongroise de Londres a publié, outre une traduction anglaise des Protocoles des Sages de Sion, un livre intitulé The World Conquerors, où il est expliqué par une remarquable inversion que, pendant la Seconde Guerre mondiale, les vrais criminels de guerre ont été les Juifs[42]. Le livre est aussi d'un anticommunisme violent, accusant tous les communistes hongrois et même tous les communistes espagnols d'être des Juifs. L'inversion est caractéristique de cette idéologie. Dans Le Juif Süss (1940), c'étaient les Juifs qui étaient tortionnaires.

Alors que l'antisémitisme français traditionnel - maurrassien - est volontiers pro-israélien, tous les révisionnistes sont des antisionistes déterminés. Les uns glissent de l'antisionisme à l'antisémitisme, ce qui est le cas d'une certaine ultra-gauche[43]. D'autres accomplissent le chemin inverse. Cette nécessité absolue du discours antisioniste dans le révisionnisme s'explique fort bien. Il s'agit d'anticiper sur la création de l'État d'Israël. Israël est un État qui emploie les moyens de la violence et de la domination. On peut ainsi, en faisant comme si une telle entité existait déjà en 1943, faire oublier que les communautés juives étaient des communautés désarmées. On pourra même ainsi, à la limite, expliquer que le nazisme est une création, sans doute fantasmatique, du sionisme[44].

Cela étant dit, le nationalisme allemand peut parfaitement se combiner avec la défense des thèses arabes[45]. Il existe un palestino-révisionnisme qui a du reste des adversaires décidés[46]. Il existe aussi, même en Israël, quelques judéo-révisionnistes, en très petit nombre, semble-t-il[47].

D'une façon générale, la thématique de ces ouvrages, tout particulièrement de ceux qui s'inspirent du national-socialisme allemand, ancien ou renouvelé[48], est d'une grande pauvreté, au point qu'on peut dire que tous ces livres sont programmés, que leurs pages se succèdent sans jamais apporter d'imprévu. Le lecteur réapprendra régulièrement les mêmes faits : que les Juifs ont déclaré la guerre à l'Allemagne hitlérienne dès 1933, comme l'établissent de façon infaillible des citations tirées de tel ou tel journal obscur du Middle West[49], que les pertes qu'ils ont pu encourir pendant la guerre et qui sont du reste d'une extrême modération sont uniquement dues aux aléas de la guerre de partisans, qu'il n'a pas existé d'installations d'extermination, que les morts dans les camps sont dues à peu près exclusivement au typhus. Je me bornerai ici à noter un point de méthode et à relever quelques écarts.

C'est une pratique révisionniste fondamentale que de se refuser à distinguer entre les mots et la réalité. Il ya eu pendant la guerre mondiale des déclarations de chefs alliés à l'intention des Allemands qui ont été terribles, et des actes qui ne l'ont pas été moins et qui constituent des crimes de guerre dans tous les sens de ce terme. Mais il est remarquable de constater que les révisionnistes, tout en mentionnant ces faits (bombardements de Dresde, évacuation dramatique des Allemands des régions devenues polonaises ou redevenues tchécoslovaques, etc.), mettent volontiers l'accent sur des textes délirants, relevant d'un racisme de guerre élémentaire et qui n'ont pas reçu le plus petit commencement d'application. C'est ainsi qu'un certain Théodore Kaufmann, baptisé pour la circonstance conseiller personnel de Roosevelt, ayant publié pendant la guerre un pamphlet intitulé Germany must perish, et qui prévoyait la stérilisation des Allemands, ce pamphlet est placé sur le même plan que les discours de Hitler ou de Himmler qui avaient, eux, la possibilité de passer à la pratique[50].

Nadine Fresco a opportunément rapproché la méthode révisionniste d'un Witz freudien bien connu, celui du chaudron[51] : «A a emprunté à B un chaudron de cuivre. Lorsqu'il le rend, B se plaint de ce que le chaudron a un grand trou qui le met hors d'usage. Voici la défense de A : "1, je n'ai jamais emprunté de chaudron à B. 2, le chaudron avait un trou lorsque je l'ai emprunté à B. 3, j'ai rendu le chaudron intact." » Les exemples sont multiples. Du « Protocole de Wannsee » (20 janvier 1942), qui montre un certain nombre de fonctionnaires à l'oeuvre autour de la « solution finale », on dira à la fois - ou on suggérera - qu'il est un document peu fiable, parce que non signé, et qu'il ne comporte rien de bien dramatique[52]. Une sorte de record est atteint à propos des Discours secrets de Himmler, dans lesquels la théorie et la pratique du meurtre collectif sont exposées avec relativement peu de dissimulation[53]. On dira à la fois que ces textes, publiés sous un titre non prévu par leur auteur, ont été trafiqués, qu'on y a introduit des mots qui ne figuraient pas dans l'original, le mot « tuer » (umbringen) par exemple, qui est sans doute là pour autre chose, évacuer, peut-être, et que leur sens est en vérité bénin : l'extermination du judaïsme (Ausrottung des Judentums) n'est pas l'extermination des Juifs[54].

Mais au-delà de Freud, on peut prolonger le Witz du chaudron. Pourquoi A ne dirait-il pas : c'est moi qui ai prêté un chaudron à B, et il était intact. Il existe toute une littérature pour prouver que les vrais meurtriers et des Juifs et surtout des Allemands sont des Juifs : Juifs kapos, Juifs partisans, etc. Le meurtre collectif, qui n'a pas existé, est pourtant amplement justifiable et justifié[55].

On a là un dépassement par excès de la norme révisionniste. Il existe aussi des dépassements par défaut. L'historien anglais David Irving estime que la solution finale a été élaborée par Himmler en cachette de Hitler, et malgré un ordre formel, donné par le chancelier allemand en novembre 1941, de ne pas exterminer les Juifs[56].

4. D'un mélange explosif

Revenons sur la géographie du révisionnisme et interrogeons-nous sur sa portée politique et intellectuelle. Je ne dispose certes pas de tous les éléments d'appréciation nécessaires et les quelques hypothèses que je vais formuler sont fatalement provisoires et sommaires. On peut cependant poser quelques jalons. Deux pays dominent et de très loin la production révisionniste : l'Allemagne et les États-Unis. Dans le premier pays, les livres sont extrêmement nombreux, et connaissent un certain succès à en juger par le nombre de rééditions qu'ont connues nombre d'entre eux. Ils sont cependant liés étroitement à un milieu donné : une extrême droite héritière du nazisme et rêvant de réhabiliter celui-ci.

Le révisionnisme proprement dit n'a pas fait d'adeptes à l'extrême-gauche et à l'ultra-gauche, ou extrêmement peu. De petits groupes terroristes ont certes glissé de l'antisionisme, de l'aide apportée au mouvement palestinien de libération nationale à l'antisémitisme pur et simple, mais sans utiliser l'argument révisionniste[57]. On cite souvent une déclaration de la terroriste allemande Ulrike Meinhof : « Six millions de Juifs furent tués et jetés au fumier de l'Europe parce qu'ils étaient des Juifs d'argent » (Geldjuden) [58]. A lire ce texte dans son contexte, on s'aperçoit qu'il ne s'agit que d'une variation sur le thème de la formule de Bebel : « L'antisémitisme est le socialisme des imbéciles. » Reste qu'un glissement est possible et s'est parfois produit.

Aux États-Unis, le révisionnisme est surtout le fait d'un lobby californien, le Liberty Lobby de W. A. Carto, de vieille et solide tradition antisémite, antisioniste et antinoir qui s'appuie aussi ou tente de s'appuyer sur le nationalisme des Américains d'origine germanique[59]. Il ne semble pas que les efforts accomplis en direction du monde libertaire aient, en dépit du patronage de H . E. Barnes, eu beaucoup de succès[60]. Dans le milieu intellectuel et universitaire, une oeuvre comme celle d'Arthur Butz est à peu près entièrement ignorée[61].

Dans quelques pays, au contraire, le révisionnisme est le fait non seulement d'une extrême droite raciste et antisémite, mais de quelques groupes ou personnalités de l'ultra-gauche. Il en a été ainsi en Suède, à la suite de l'intervention, en défense du Français Robert Faurisson, du sociologue d'extrême gauche J. Myrdal qui n'est pas intervenu uniquement pour l'homme, mais, en partie, pour ses idées[62], en Australie, à la suite de l'action de l'ancien secrétaire du Victorian Council for Civil Liberties, John Bennett[63], voire en Italie où un petit groupe libertaire et marxiste se réclame de Paul Rassinier[64].

C'est cependant le cas français qui semble le plus intéressant et le plus complexe. Constatons d'abord ce fait curieux : dans la mesure où le problème révisionniste a été traité par la presse internationale, il l'a été, au cours de ces trois dernières années, autour du cas de Robert Faurisson. C'est pour lui que Noam Chomsky a écrit un texte qui servit de préface à un de ses livres[65], c'est à partir de ses « thèses » que la presse du monde entier, en Allemagne comme en Amérique, a publié les mises au point les plus fouillées[66]. Remarque d'autant plus surprenante que dans ces deux pays il y avait, il y a toujours, des révisionnistes d'une envergure supérieure à celle de Faurisson.

Ce n'est pourtant pas qu'il s'agisse d'un révisionniste particulièrement redoutable. Son originalité a consisté à poser le problème sur un plan essentiellement technique. Encore, même dans ce domaine, doit-il beaucoup à Butz. Telle de ses formules qui fit scandale est en réalité une simple adaptation-traduction d'un texte allemand[67].

Naturellement, le rang social de Faurisson, professeur d'université dans une grande ville, dans un pays où un tel titre donne plus facilement qu'ailleurs accès aux médias, son talent naturel pour le scandale qui est ancien, les procès dont on a voulu l'accabler[68], la présentation qui a été faite de ses travaux par un anthropologue honorable, Serge Thion[69], tout cela a certainement joué. Fait également remarquable, alors qu'en Angleterre, pays qui a inventé la liberté de la presse, les révisionnistes n'ont pas eu accès à la grande presse[70], en France, il y a eu dans certains journaux libéraux ou libertaires (Le MondeLibération) des esquisses de discussion, avec parfois le sentiment pour le lecteur qu'il y avait deux thèses équivalentes entre lesquelles il était permis d'hésiter[71].

La France avait connu comme d'autres pays, elle connaît toujours un courant néo-nazi symbolisé par Maurice Bardèche et sa revue Défense de l'Occident, et renouvelé depuis quelque peu par la Nouvelle Droite. Les thèmes révisionnistes y apparaissent très tôt[72]. Avec Paul Rassinier (1906-1967), communiste puis socialiste, déporté à Buchenwald et à Dora, anticolonialiste de toujours, mais ami de Bardèche et collaborateur de Rivarol, il s'agit d'autre chose, d'une alliance entre une extrême-gauche pacifiste et libertaire et une extrême-droite très directement hitlérienne[73]. L'antisémitisme, ici encore très mêlé à l'antisionisme, fait la jonction entre les deux. Cette alliance allait être renouvelée, à la génération suivante, par la diffusion accordée aux thèses révisionnistes, et à celles de Faurisson en particulier, par le groupe marxiste de La Vieille Taupe et quelques groupes voisins (La Guerre sociale, La Jeune Taupe, etc.) [74].

Quelle est la visée politique de ce groupe, visée largement facilitée par plusieurs dizaines d'années de sacralisation du peuple juif, par les remords tardifs qui ont saisi l'Occident après la découverte du grand massacre, et, en voie de conséquence, par la protection dont a bénéficié l'aventure israélienne même dans ce qu'elle avait de plus contestable ? Le thème central est parfaitement clair : il s'agit de briser le consensus antifasciste issu de la Seconde Guerre mondiale et scellé par la révélation de l'extermination des Juifs. Dans l'esprit de l'ultra-gauche, il faut diminuer l'importance des crimes nazis, augmenter en revanche la culpabilité du monde occidental et du monde communiste de façon à faire apparaître l'oppression commune[75].

Il faut en quelque sorte changer d'ennemis. Est-ce absolument nouveau ? De telles idéologies ont en réalité en France des racines. A la fin du XIXe siècle, le consensus libéral réunissait paysans, ouvriers et bourgeois républicains autour d'une même hostilité à l'aristocratie foncière et « féodale ». L'auteur de La France juive (1886), qui était un grand homme et un sociologue important aux yeux de plus d'un socialiste[76], proposait lui aussi de changer d'ennemi : non pas le château du seigneur, avec ses lieux de supplice, mais le repaire mystérieux où le Juif élabore sa richesse avec le sang du chrétien. Et de s'en prendre à l'histoire officielle : « L'École historique française, écrivait Drumont, encore une fois, a passé à côté de tout cela sans le voir, en dépit des méthodes nouvelles d'investigation qu'elle prétend avoir inventées. Elle s'est arrêtée niaisement devant des oubliettes qui, selon Viollet-le-Duc lui-même, étaient des latrines, devant des in-pace qui étaient des celliers, elle n'est pas entrée dans ce sacrificarium mystérieux, dans ce cabinet plus sanglant que celui de Barbe-Bleue, où dorment exsangues et les veines taries les enfantines victimes de la superstition sémitique[77]. » Etrange alliance en vérité...

5. Des nations et d'Israël

De même que les cités antiques élevaient à Delphes et à Olympie des « trésors » exprimant leurs rivalités dans le culte d'Apollon et de Zeus, les nations victimes de Hitler - ou du moins certaines d'entre elles - ont élevé à Auschwitz des pavillons rappelant le malheur qui a frappé leurs ressortissants. Les malheurs eux aussi sont rivaux. Parmi ces pavillons, incongru, le pavillon juif. Faute d'une autorité pour en prendre la responsabilité, il a été érigé par le gouvernement polonais, et proclame surtout le martyrologe de la Pologne[78].

Il faut dire un mot, maintenant, de ces « pratiques », plus particulièrement de ces nations de l'Est dont provenait l'immense majorité des Juifs assassinés et qui constituent actuellement l'Europe « socialiste ». Il va sans dire que le « révisionnisme » y est absolument banni. Mais l'histoire ? Disons simplement quelques mots - après une enquête fatalement très rapide - de l'historiographie de trois pays
socialistes : l'URSS, à cause du rôle dirigeant qui est le sien dans le système et parce que ce sont ses armées qui ont libéré Auschwitz, la République démocratique allemande, en tant qu'héritière d'une partie du territoire et de la population de l'État national-socialiste, la Pologne enfin parce que c'est sur son sol que la majeure partie des exterminations ont eu lieu[79].

A ma connaissance, il n'existe pas à proprement parler d'historiographie soviétique du génocide des Juifs. Quelques livres ou livrets de reportage ou de propagande ont été publiés au moment de la victoire[80]. L'étude des camps de concentration allemande semble avoir été tout à fait rudimentaire - les raisons de cette carence semblent assez évidentes - et le seul livre en russe sur Auschwitz que j'aie pu identifier est traduit du polonais et publié à Varsovie[81].

L'Histoire de la grande guerre patriotique (1914-1945) de Boris Telpuchowski, qui passe pour représentative de l'historiographie soviétique post-stalinienne, mentionne certes les chambres à gaz et l'extermination telle qu'elle se pratiquait à Auschwitz, Maïdanek et Treblinka, mais les peuples victimes ne comprennent pas les Juifs - on mentionne, en revanche, six millions de citoyens polonais assassinés. Deux lignes précisent que, sur le sol soviétique occupé, toute la population juive a été exterminée[82]. La nationalité juive existe en Union soviétique, mais elle est en quelque sorte une nationalité négative. C'est cette situation qui est reflétée dans l'historiographie soviétique.

Le cas de la RDA est assez différent. Dans l'idéologie officielle, il existe une coupure absolue avec la période capitaliste et nazie. L'antisémitisme et les exterminations sont un héritage qu'il n'y a pas à assumer de quelque façon que ce soit, ni en payant des indemnités à Israël, ni en envoyant un chef de gouvernement s'agenouiller sur l'emplacement du ghetto de Varsovie. On estime à Berlin-Est que la RFA, au contraire, doit assumer l'héritage de l'Allemagne hitlérienne, et pendant longtemps on a feint de croire qu'elle en était le prolongement. Il en résulte que les études sur l'extermination, sans être inexistantes comme on le dit parfois à tort[83], sont très largement instrumentales, et réagissent moins directement à la sollicitation de la connaissance et de la réflexion historiques qu'à la nécessité de compléter, corriger ce qui s'écrit ou ce qui se fait en République fédérale, ou de polémiquer contre ses dirigeants[84].

Les révisionnistes ne semblent pas avoir commenté ce petit fait pourtant significatif : alors que la Pologne a subi depuis la fin de la guerre plusieurs tremblements de terre politiques qui ont entraîné notamment une émigration considérable, y compris une émigration de nationalistes militants qui ne nourrissent généralement pas de tendresse excessive pour les Juifs ni pour les communistes qui, dans l'idéologie révisionniste, ont été parmi les grands fabricateurs du « mensonge » de l'extermination, il ne s'est pas trouvé un seul Polonais pour apporter de l'eau au moulin révisionniste.

En fait, l'histoire des camps d'extermination repose très largement sur des travaux publiés en Pologne, qu'il s'agisse des documents reproduits dans les séries du musée d'Auschwitz, des travaux de la Commission polonaise des crimes de guerre ou des volumes de l'Institut historique juif de Varsovie.

Qu'il faille introduire des correctifs dans l'étude de cette littérature est l'évidence même. Le nationalisme polonais, de tradition violemment antisémite, doublé de la censure communiste, est intervenu à maintes reprises. Il est fréquent que les travaux publiés attachent plus d'importance à la répression antipolonaise, qui fut féroce, qu'à l'extermination des Juifs. Fréquente aussi est la naturalisation polonaise des Juifs morts, naturalisation qui ne se traduisit que rarement dans les faits, pendant la période en question[85].

Un nationalisme repère assez aisément les déformations dues à un autre nationalisme. L'historiographie polonaise du génocide, et, en général, de la période de l'occupation, est prise au sérieux par l'historiographie israélienne, discutée, éventuellement condamnée, et cet affrontement est un reflet du grand drame judéo-polonais[86].

Il n'y a certainement pas une historiographie israélienne. Un simple coup d'oeil sur la collection des Yad Vashem Studies, par exemple, montre qu'elle est traversée de tensions, capable d'intégrer des travaux venus de l'extérieur. Non sans résistance, parfois. Les grandes synthèses venues de la Diaspora, celle de G. Reitlinger ou de R. Hilberg, des réflexions fondamentales comme celles de Hannah Arendt se sont heurtées à des tirs de barrage d'une extrême violence. Parmi les points les plus délicats : la question de la « passivité » juive, celle de la collaboration juive (collaboration de la corde et du pendu), celle du caractère national des victimes juives de Hitler, celle du caractère unique du Massacre, celle de la « banalité du mal » enfin que H. Arendt oppposait à la diabolisation d'Eichmann et de ses maîtres[87]. Ce sont là de vrais problèmes soulevés par l'écriture de l'histoire. Entre une historiographie qui insiste, jusqu'à l'absolu, sur le spécifique, et celle qui s'efforce de réintégrer le grand massacre dans les courants de l'histoire universelle, ce qui ne va pas toujours de soi, le heurt ne peut être que violent[88]. Mais, s'agissant d'Israël, peut-on s'en tenir à l'histoire ? La Shoah déborde celle-ci, d'abord par le rôle dramatique qu'elle a joué aux origines mêmes de l'État, ensuite par ce qu'il faut bien appeler l'instrumentalisation quotidienne du grand massacre par la classe politique israélienne[89]. Du coup, le génocide des Juifs cesse d'être une réalité historique vécue de façon existentielle, pour devenir un instrument banal de légitimation politique, invoqué aussi bien pour obtenir telle ou telle adhésion politique à l'intérieur du pays que pour faire pression sur la Diaspora et faire en sorte qu'elle suive inconditionnellement les inflexions de la politique israélienne. Paradoxe d'une utilisation qui fait du génocide à la fois un moment sacré de l'histoire, un argument très profane, voire une occasion de tourisme et de commerce[90].

Est-il besoin d'ajouter que, parmi les effets pervers de cette instrumentalisation du génocide, il y a la confusion constante et savamment entretenue entre la haine des nazis et celle des Arabes ?

Personne ne peut s'attendre à ce que les années 1939-1945 s'inscrivent immédiatement dans le royaume serein (pas toujours) des chartes médiévales et des inscriptions grecques, mais leur manipulation permanente à des fins très pragmatiques les prive de leur épaisseur historique, les déréalise et par conséquent apporte à la folie et au mensonge révisionnistes la plus redoutable et la plus efficace des collaborations.

6. L'histoire après Auschwitz

Peut-on, pour conclure, essayer de dire à quelles épreuves le révisionnisme soumet l'historien ? Réfléchissant, après la guerre, sur le thème de la « dialectique négative », Adorno se demandait dans quelle mesure il était possible de « penser » après Auschwitz. Ce qu'avait été, pour Voltaire, le tremblement de terre de Lisbonne, le tombeau de la théodicité de Leibniz, le génocide l'est, au centuple, pour la génération qui l'a vécu : « Avec le massacre par l'administration de millions de personnes, la mort est devenue quelque chose qu'on n'avait encore jamais eu à redouter sous cette forme [...]. Le génocide est l'intégration absolue qui se prépare partout où les hommes sont nivelés, dressés comme on le dit à l'armée jusqu'à ce que, enlacés au concept de leur complète inanité, on les extermine littéralement [...]. La négativité absolue est prévisible, elle n'étonne plus personne[91]. » Négativité absolue ? Ce concept a-t-il un sens pour un historien ? Auschwitz est devenu un symbole qu'il n'était pas au lendemain de la guerre[92], symbole d'un énorme silence. Mais même ce symbole peut être contesté. Auschwitz juxtaposait un camp d'extermination (Birkenau), un camp de travail (Auschwitz I), et un camp-usine de caoutchouc synthétique (Auschwitz III Monowitz). Le lieu de la négativité absolue, ce serait plutôt Treblinka ou Belzec, mais on peut toujours concevoir un crime plus absolu qu'un autre[93]. L'historien, par définition, vit dans le relatif et c'est bien ce qui lui rend si difficile l'appréhension du discours révisionniste. Le mot lui-même n'a rien qui choque l' historien : d'instinct il fait sien cet adjectif. Si on lui démontre qu'il n'y a pas eu de chambre à gaz en fonctionnement à Dachau, que le journal d'Anne Frank, tel qu'il a été édité dans diverses langues, pose des problèmes de cohérence sinon d'authenticité, ou que le Krema I, celui du camp d'Auschwitz proprement dit, a été reconstruit après la guerre par les Polonais[94], il est prêt à s'incliner.

Les événements ne sont pas des choses, même s'il existe une opacité irréductible du réel. Un discours historique est un réseau d'explications qui peut céder la place à une « autre explication[95] » dont on jugera qu'elle rend mieux compte du divers. Un marxiste, par exemple, essaiera de raisonner en termes de rentabilité capitaliste, et se demandera si la destruction pure dans les chambres à gaz s'inscrit ou non aisément dans ce système interprétatif. Suivant le cas, il adaptera les chambres à gaz au marxisme ou les supprimera au nom de la même doctrine [96]. L'entreprise révisionniste, dans son essence, ne me paraît pourtant pas relever de cette recherche d'une « autre explication ». Il faut plutôt chercher en elle cette négativité absolue dont parle Adorno et c'est précisément cela que l'historien a tant de mal à comprendre. Il s'agit d'un effort gigantesque non pas même pour créer un monde de fiction, mais pour rayer de l'histoire un immense événement.

Dans cet ordre d'idée, il faut admettre que deux livres révisionnistes, The Hoax of the 20th Century d'Arthur Butz et Der Auschwitz Mythos de Wilhelm Stäglich représentent une réussite assez remarquable : celle de l'apparence d'un récit historique, mieux, d'une enquête critique avec tous les traits extérieurs qui définissent le livre d'histoire, sauf ce qui en fait précisément le prix : la vérité.

On peut naturellement chercher et trouver des précédents au révisionnisme dans l'histoire des mouvements idéologiques. Sous la Restauration, le RP Loriquet n'avait-il pas à des fins éducatives rayé la Révolution et l'Empire de l'histoire qu'il enseignait à ses jeunes élèves ? Mais il ne s'agissait que de la « légitime » tromperie, dont on sait depuis Platon qu'elle est inséparable de l'Éducation - jeu innocent par rapport aux révisionnistes modernes.

Naturellement, si je puis ici parler d'absolu, c'est que nous sommes sur le plan du discours pur, non sur celui du réel. Le révisionnisme est chose ancienne, mais la crise révisionniste ne s'est produite qu'après la diffusion massive d'Holocauste, c'est-à-dire après la spectacularisation du génocide, sa transformation en pur langage et en objet de consommation de masses[97]. Il y a là, me semble-t-il, le point de départ d'une réflexion qui, je l'espère, sera prolongée par d'autres que par moi.

 

 

 


 

  1. Je remercie tous ceux qui m'ont apporté leur aide pour la préparation et la publication de ce rapport, notamment P. Moreau, bon connaisseur de l'extrême-droite allemande, J. Tarnero, P.A. Taguieff, D. Fourgous, J. Svenbro, S. Krakowski, A.J. Mayer ainsi que R. Halevi. Ce texte ayant été inséré dans le volume de la collection « Hautes Études », L'Alllemagne nazie et le génocide juif (Gallimard et Seuil, Paris, 1985), je renverrai aux autres rapports publiés dans ce volume par la simple mention : Allemagne nazie...

  2. Cf. H. DUTRAIT-CROZON, Joseph Reinach historien. Révision de l'histoire de l'affaire Dreyfus, préface de Ch. Maurras, A. Savaète, Paris, 1905.

  3. Voir la place qui lui est accordée dans K. STIMLEY, 1981 Revisionist Bibliography. A Select Bibliography of Revisionist Books dealing with the Two Wars and their Aftermaths, Institute for Historical Review, Torrance, Californie, 1980. Voir aussi, de H. E. BARNES, Revisionism : A Key to Peace and Other Essays, préface de J. J. Martin, Cato Institute, San Francisco, 1980. On trouvera de nombreuses informations sur le révisionnisme américain et quelques autres dans le livre de Deborah LIPSTAD, Denying the Holocaust. The Growing Assault on Truth and Memory, New York, Free Press, 1993.

  4. Voir par exemple sa préface à L. Hamilton JENKS, Our Cuban Colony, Vanguard Press, New York, 1928.

  5. Voir l'ouvrage classique de Lord A. PONSONBY, Les Faussaires à l'oeuvre en termps de guerre, Maison internationale d'édition, s.d., Bruxelles (1929 ?).

  6. W. ROSCOE THAYER, Volleys from a non-combattant, Doubleday, New York, 1919.

  7. Lettre reproduite par le Mouvement social, janvier-mars 1982, p 101-102 ; je remercie Madeleine Rebérioux de m'avoir signalé ce texte.

  8. Texte reproduit dans l'American Historical Review, avril 1951, p. 711-712 ; Cf. H. E. BARNES, Revisionism, op. cit., p. 131.

  9. The Genesis of the World War, Knopf, New York, 1929, trad. L. Laurent, avec un avant-propos de G. Demartial, Marcel Rivière, Paris, 1931.

  10. Genèse..., ibid., p. 306

  11. Un débat historique :1914. Le problème des origines de la guerre, Rieder, Paris 1933, p. 224.

  12. Genèse..., p. XI-XIII, 103, 333-335.

  13. On pourrait multiplier les références ; voir par exemple la réédition par les soins du groupe de La Vieille Taupe, principal organe du révisionnisme français, du livre de Bernard LAZARE, L'Antisémitisme, son histoire et ses causes, Éditions de la Différence, Paris, 1982, ou encore la brochure de J. G. BURG (Juif allemand révisionniste) intitulée, le plus tranquillement du monde, J'accuse (Ich klage an), 2e éd., Ederer, Munich, 1982, et du même auteur, Zionnazi Zensur in der B.R.D., Ederer, Munich, 1980, p. 48-49.

  14. Voir Sur l'antisémitisme, trad. M. Pouteau, Calmann-Lévy, coll. « Diaspora », Paris, 1973, p. 195-260.

  15. En Amérique et en France ; il va sans dire que les révisionnistes allemands qui se recrutent principalement dans les milieux d'extrême-droite néo-nazie ne cherchent nullement à
    « réviser » la version nationaliste allemande de la Première Guerre mondiale !

  16. C'est le titre du livre de Butz, une des bibles des révisionnistes, The Hoax of the 20th Century, Institute for Historical Review, Torrance, Californie. 4e éd., 1979.

  17. Sur Rassinier, voir « Un Eichmann de papier », supra, p. 49-57 ; J.-G. Cohn-Bendit et quelques-uns de ses amis s'expriment dans Intolérable intolérance, Editions de la Différence, Paris, 1982.

  18. A. FINKIELKRAUT, L'Avenir d'une négation. Réflexion sur la question du génocide, Editions du Seuil, Paris, 1982, p. 121 ; dans le révisionnisme américain contemporain, la référence à la guerre de 1914-1918 est un masque commode dont s'affuble parfois une propagande essentiellement antisémite : voir par exemple dans le Journal of Historical Review, I, 2 (1980) la reproduction d'un chapitre du livre d'A. PONSONBY, cité ci-dessus, n. 5. Je rappelle qu'il s'agit là de l'organe périodique de la secte révisionniste américaine.

  19. Cf. H. E. BARNES, Revisionism, op. cit., p. 16, où Rassinier est cité en compagnie de A. J. P. Taylor, Maurice Bardèche, Alfred Fabre-Luce et quelques autres. Mais lui seul a droit à l'epithète de « courageux ».

  20. Voir « Un Eichmann de papier », supra, p. 11-84, et le livre de G. WELLERS, Les Chambres à gaz ont existé, Gallimard, coll. « Témoins », Paris, 1981 ; la publication récente, par les soins de R. FAURISSON, d'une brochure intitulée Réponse à Pierre Vidal-Naquet, diffusion La Vieille Taupe, Paris, 1982, n'appelle de ma part aucune discussion nouvelle ; je signale simplement que le texte qui m'est attribué par le préfacier, P. Guillaume, au bas de la page 4, n'est pas de moi. Cette erreur a été rectifiée dans une édition ultérieure et remplacée par d'autres mensonges.

  21. « La conclusion précède les preuves » ; j'emprunte cette expression à un texte inédit de J.C. Milner. Que cela soit par ailleurs rappelé : en parlant de « mensonge total », je n'entends pas affirmer, par une invention totalitaire, que tout ce qu'écrivent les « révisionnistes » est faux dans les moindres détails. C'est l'ensemble qui constitue un système mensonger.

  22. Sur l'antisémitisme, op. cit., p. 31.

  23. The Terrible Secret, Weidenfeld and Nicolson, Londres, 1980, en français : Le Terrifiant Secret. La « solution finale » et l'information étouffée, trad. A. Roubichou-Stretz, Gallimard, Paris, 1981 ; voir aussi, plus détaillé et plus étendu chronologiquement, mais moins aigu, l'exposé de Martin GILBERT, Auschwitz and the Allies, Holt, Rinehart and Winston, Londres et New York, 1981 ; pour un témoignage concret parmi beaucoup d'autres, voir E. YOUNG-BRUEHL, Hannah Arendt, trad. J. Roman et E. Tassin, Anthropos, Paris, 1986, p. 224. Il va sans dire que le livre de Laqueur a été aussitôt exploité dans un sens révisionniste : si les alliés eux- mêmes n'ont pas cru, c'est qu'il n'y avait rien à croire ; voir les articles de R. FAURISSON et de P. GUILLAUME, dans Jeune Nation solidariste, déc. 1981.

  24. M. GILBERT, Auschwitz, p. 190 sq., et surtout R. BRAHAM, The Politics of Genocide. The Holocaust in Hungary, 2 vol., Columbia University Press, New York, 1981, II, p. 708-724 et p. 1109-1112.

  25. R. BRAHAM, op. cit., II, p. 1095-1120.

  26. L'une et l'autre expression, parfois les deux à la fois, se trouvent dans la littérature révisionniste. Cf. par exemple BUTZ, The Hoax, notamment p. 53-100 ; R. FAURISSON, Le Monde, 29-12-1978 (repris in S. THION, Vérité historique ou Vérité politique ?, La Vieille Taupe, Paris, 1980, P. 104-105) ; W. STÄGLICH, Der Auschwitz Mythos. Legende oder Wirklichkeit ? Grabert, Tübingen, 1979, p. 146-151 ; ce livre existe désormais en français sous une forme « adaptée », Le Mythe d 'Auschwitz, La Vieille Taupe, Paris, 1986. J'ai maintenu les références que j'y fais à l'édition allemande.

  27. Il en est des mythes qui ont accompagné le grand massacre comme des phénomènes religieux qui l'ont suivi et qui n'en suppriment pas l'existence. Cette vérité élémentaire a entièrement échappé à l'anthropologue J.-L. TRISTANI; voir sa
    « Supplique à MM. Les magistrats de la cour d'appel de Paris », dans Intolérable intolérance, op. cit., p. 161-172, texte au demeurant nullement antisémite, mais intellectuellement peu élaboré.

  28. F. H. HINSLEY (éd.), British Intelligence in the Second World War, II, Her Majesty's Stationery Office, Londres, 1981, p. 673.

  29. N. BLUMENTAL, Dokumenty Malerialy z Czasow Okupacji Niemieckiej w Polsce, i Obozy, Lodz, 1946, p. 118.

  30. Le Terrifiant Secret, op. cit., p. 97-98, il est discuté par les auteurs révisionistes, ainsi R. BUTZ, The Hoax, op. cit., p. 60-62.

  31. M. BROSZAT, « Hitler und die Genesis der Endlosung », Vierteljahrshelfe für Zeitgeschichte, XXV, 1977, p. 729-775 (traduit en anglais in Yad Vashem Studies, XIII, 1979, p. 73-125) ; Ch. BROWNING, « Eine Antwort auf Martin Broszats Thesen zur Genesis der Endlösung », ibid, XXIX, 1981, p. 97-109 ; voir, du même auteur, « La décision concernant la solution finale », Allemagne nazie..., p. 190-216 ; il s'agit, à mon sens, de l'étude la plus serrée qui existe sur ce sujet.

  32. D. IRVING, Hitler's war, Viking Press, New York, 1977.

  33. On trouvera les références supra (note 67, chapitre 1) ; ajouter, en ce qui conceme Eichmann, un document capital, le manuscrit écrit par lui en Argentine et publié par un révisionniste néo-nazi, le Dr R. Aschenauer, Ich Adolf Eichmann. Ein historischer Zeugenbericht, Druffel Verlag, Leoni am Starnbergersee, 1980, p. 178. En dépit de cette affirmation catégorique, antérieure à la capture d'Eichmann, son éditeur n'en écrit pas moins le plus tranquillement du monde qu'Eichmann fait allusion à un ordre non existant (ibid., p. 178, note). Je noterai une légère différence entre le manuscrit d'Eichmann et le récit fait à Jérusalem : l'entretien avec Heydrich se situe vers la fin de 1941 dans le premier cas, à la fin de l'eté dans le second (Eichmann par Eichmann, Grasset, Paris, 1970, p. 110).

  34. Voir, par ex., H. HARTLE, Freispruch für Deutschland, Verlag K. W. Schütz, Göttingen, 1968, p. 201-204 ; J. G. BURG, Zionnazi Zensur in der BRD, op. cit., p. 173-176, utilise l'existence, dans les ghettos de Lodz et de Theresienstadt, d'institutions monétaires et postales pour démontrer que tout était normal.

  35. C'est ce que j'ai pu faire au début du mois d'avril 1982 à la bibliothèque de Yad Vashem, à Jérusalem.

  36. Le record semble atteint par la célèbre brochure de R. E. HARWOOD (pseudonyme du néo-nazi anglais R. Verrall), Did Six Millions really die ?, Richmond, 1979, petit monument d'érudition imaginaire. On trouvera quelques indications sur l'écho de ce livre en Angleterre dans le livre de Gill SEIDEL, The Holocaust Denial, Beyond the Pale Collective, Leeds, 1986.

  37. Il s'agit de l'lnstitute for Historical Review, sis à Torrance (Californie), et qui publie, outre le Journal du même nom, toute une collection d'ouvrages.

  38. Une des études les plus précises sur cette Internationale est celle de P. A. TAGUIEFF,
    « L'héritage nazi », Nouveaux Cahiers, 64, printemps 1981, p. 3-22.

  39. J'emprunte ces renseignements et quelques autres à la biographie du personnage publiée dans le Journal of Historical Review, I, 2, 1980, p. 187 ; j'ai aussi utilisé des indications données par J. JAKUBOWSKI, dans l'Expressen (Stockholm) du 17 juillet 1981.

  40. Son no. 1 a fait l'objet, en 1979, d'une campagne d'abonnements auprès de tous les membres de l'American Historical Association.

  41. J'ai sous les yeux un de ces numéros publié en 1981. Sur la première page sont collés quelques cheveux, avec ce titre :
    « Please accept this hair of a gassed victim. »

  42. L. MARSCHALKO, The World Conquerors. The Real War Criminals, trad. du hongrois par A. Suranyi, Joseph Sueli, Londres, 1958, rééd Christian book club, New York, 1978. J'ai connu ce remarquable ouvrage par J.-C. Milner. Un exemple de sa typique érudition : le journal nationaliste juif Shem, publié clandestinement en France, aurait expliqué, le 8 juillet 1944, que les conditions dans les camps étaient en somme bonnes et que les enfants de 2 à 5 ans fréquentaient les jardins d'enfants de Berlin (p. 115). Une des sources françaises est l'oeuvre de Maurice Bardèche.

  43. Ainsi La Vieille Taupe a publié dans Intolérable intolérance, à côté de textes ineptes mais nullement antisémites, une étude parfaitement antisémite (par antisionisme) de Vincent Monteil.

  44. Cf. Le Monde du 2 juin 1982, citant d'après L'Opinion de Rabat, organe de l'Istiqlal, M. Bougenaa Amara : « Le nazisme est une création du sionisme. La réalité historique des camps de concentration est à authentifier. Des doutes subsistent quant à leur existence même. »

  45. Le livre le plus singulier que je connaisse sur ce thème est celui de Hussein AHMAD, Palästina meine Heimat. Zionismus - Weltfeind der Völker, E. Bierbaum Verlag, Francfort, 1975. Toutes les formes de l'antisémitisme et du révisionnisme y sont rassemblées.

  46. Voir, par exemple, dans la Revue d'études palestiniennes, no1 (automne 1981), M. RODINSON, « Quelques idées simples sur l'antisémitisme », p. 5-21, avec dénonciation, p. 17, de l'utilisation arabe de classiques antisémites ; ces analyses me paraissent beaucoup plus pertinentes que celles, maximalistes, de B. LEWIS, Sémites et Antisémites, trad. J. Carnaud et J. Lahana, Fayard, Paris, 1987.

  47. Le cas le mieux connu est celui de J. G. BURG (Ginzburg) qui a connu l'Europe hitlérienne et soviétique, puis Israël, avant de s'installer en Allemagne. Son autobiographie, Schuld und Schicksal (1962), 6e éd, K. W. Schütz ver. K. G. Preuss, Oldendorf, 1979, est du reste intéressante et seulement à la marge du révisionnisme. Le sous-titre se traduit ainsi : « Les Juifs d'Europe entre les bourreaux et les hypocrites ». Il a glissé depuis au révisionnisme et au nationalisme allemand ; voir, outre les livres que j'ai déja cités, Maidanek in alle Ewigkeit ?, Ederer, Munich, 1979 (saisi) ; Sündenböcke, Grossangriffe des Zionismus auf Papst Pius XII und auf die deutschen Regierungen, Ederer, Munich, 4e ed. 1980, tous livres publiés par une maison spécialisée. BURG a publié aussi (Ederer, Munich, 1970) un recueil d'histoires juives, Jüdische Anekdotiade.

  48. L'auteur le plus fécond dans ce domaine est Erich KERN dont je mentionnerai deux ouvrages, Meineid gegen Deutschland (2e éd. 1911) et Die Tragödie der Juden (1979), l'un et l'autre publiés chez Schütz, maison spécialisée de Preussich Oldendorf. Le lecteur français notera avec intérêt, dans ce dernier livre, p. 289-299, ce qui est dit à la gloire de Robert Faurisson. Un recueil a l'intérêt de présenter dix auteurs (dont l'anglais D. Irving) avec leurs biographies : Verrat und Widerstand im Dritten Reich, Nation Europa, Coburg, 1978. A signaler enfin les travaux de U. WALENDY, spécialiste notamment des photos retouchées et réutilisées à fin de propagande - il y en eut - comme on le voit dans le no 1 du Journal of Historical Review, 1, 1, 1980, p. 59-68. Je mentionnerai ici ses livres, Wahrheit für Deutschland (1965), Verlag für Volkstum und Zeitgeschichtsforschung, 3e éd., Vlotho-sur-la-Weser, 1976 ; et Auschwitz im I.G.Farben Prozess, même éditeur, 1981. Depuis la chute du mur de Berlin, les manifestations révisionnistes et antisémites se sont multipliées, principalement dans l'ex-RDA. On trouvera un bilan dans un ouvrage collectif Drahtzieher im braunen Netz. Der Wiederaufbau der NSDAP, IDA Archiv, Berlin et Amsterdam, 1992.

  49. Voir par exemple E. KERN, Die Tragödie der Juden, p. 83 ; W. STÄGLICH, Der Auschwitz Mythos, p. 82-85 avec référence, par exemple p. 83, à l'American Hebrew (New York) du 24 mai 1934 et au Youngstown Jewish Times (Ohio) du 16 avril 1936. Ils auraient pu ajouter le Daily Express du 24 mars 1933.

  50. Voir, par exemple, W. STÄGLICH, Der Auschwitz Mythos, p. 82, qui renvoie, p. 395 n. 103, à tous les auteurs révisionnistes, dont le premier a été le Français Rassinier, qui ont utilisé ce même document.

  51. « Les redresseurs de morts », Les Temps modernes, juin 1980, p. 2150-2211 ; S. FREUD, Le Mot d'esprit et ses rapports avec l'inconscient, trad. M. Bonaparte et M. Nathan, Gallimard, coll. « Idées », Paris, 1974, p 99.

  52. Par exemple W. STÄGLICH, Der Auschwitz Mythos, p. 38-65 ; E. KERN Die Tragödie der Juden, p. 122-133 ; BUTZ, The Hoax, p. 211-214, ne retient que la seconde interprétation.

  53. J'ai donné les principales références dans « Un Eichmann de papier », supra, p. 37-38 et 60-62.

  54. W. STÄGLICH op. cit., p. 94, citant et commentant le discours de Posen (Poznan) du 6 octobre 1943. Mais c'est toute la « démonstration » de l'auteur, p. 89-103, qui serait à citer. On pourrait mentionner aussi une page d'anthologie sur le « fanfaron » Himmler dans une brochure de l'ultra-gauche parisienne, « De l'exploitation dans les camps à l'exploitation des camps », supplément au no 3 de la Guerre sociale, Paris, mai 1981, p. 27-28 ; ajouter R. FAURISSON, Réponse..., op. cit., p. 14-17.

  55. On pourrait ici renvoyer à nombre de travaux de RASSINIER, par exemple, Le Drame des Juifs européens, Sept Couleurs, Paris, 1964, p; 79-91, et j'ai déjà cité l'étonnant livre de L. Marschalko, mais le chef- d oeuvre en la matière est l'ouvrage de H. HARTLE, Freispruch für Deutschland, op. cit., voir surtout p. 204-274.

  56. Hitler's war, op. cit., p. 332 et 393. Ce prétendu ordre est en realité le résultat d'une petite escroquerie intellectuelle, qui a été dénoncée à la fois par M. BROSZAT, « Hitler und die Genesis... », op. cit., p. 760 et par G. SERENY et L. CHESTER, Sunday Times du 10 juillet 1977. Il s'agit d'un coup de téléphone donné par Himmler à Heydrich le 30 novembre 1941 depuis le QG du Führer, à propos d'un convoi déterminé de Juifs de Berlin, et l'ordre était de ne pas exterminer (keine Liquidierung) ce convoi précis.

  57. Voir le témoignage capital de H. J. KLEIN, La Mort mercenaire, préface de D. Cohn-Bendit, Éditions du Seuil, Paris, 1980.

  58. J'avais eu le tort de citer ce texte (Frankfurter Allgemeine Zeitung, 15 décembre 1972) d'après l'interprétation qu'en donnaient J. TARNERO (Nouveaux Cahiers, 64, printemps 1981, p. 28) et beaucoup d'autres avec lui. Mon ami et critique italien D. Lanza a attiré l'attention sur cette erreur ; voir ma « Mise au point » dans Quaderni di Storia, 25 (janvier-juin 1987), p. 159-160.

  59. On trouvera des indications précises et vérifiables sur ce lobby, (qui édite notamment l'hebdomadaire Spotlight (assez proche de la formule de Minute, mais plus directement raciste encore), dans Facts (organe du B'nai B'rith), 26, no 5, 1 et 2 (juin 1980) ; voir aussi sur certains épisodes récents de la vie de l'lnstitute for Historical Review, R. CHANDLER, dans le San Francisco Chronicle du 5 mai 1981. W. A. Carto a présidé la conférence révisionniste de 1981 ; voir sa contribution, « On the Uses of History », Journal of Historical Review, III, 1, 1982, p. 27-30.

  60. Il y a quelques discussions aux États-Unis sur le caractère plus ou moins « libertaire » des révisionnistes et notamment de H. E. Barnes et de ses héritiers : voir les correspondances publiées dans le Village Voice du 1er juillet 1981.

  61. Voir, par exemple A. RABINBACH « Anti-Semitism Reconsidered » New German Critique, 21, automne 1980, p. 129-141, notamment p. 141, n. 21.

  62. Toute une polémique a été publiée dans la presse en 1981 : voir par exemple ses articles dans la Svenska Dagbladet du 5 mars 1981 et l' Expressen du 13 avril 1981, articles auxquels j'ai moi-même repondu (Expressen des 16 et 17 juillet 1981), ce qui entraîna de nouveaux articles de Myrdal (Expressen des 28 et 29 juillet 1981) ; un des textes de Myrdal, une attaque contre les intellectuels français et leur rôle dans l' affaire Faurisson, a été recueilli dans son livre Dussinet fullt Skrifställining, 12, Stockholm, Norstedts, 1982, p. 221-229 ; dans ce texte, J. Myrdal ne se prononce cependant pas sur le fond ; dossier favorable à Faurisson in Tidskrift för Folkets Rättigheter, I, 1982.

  63. Quelques indications in « Un Eichmann de papier », supra, p. 79-80, et surtout ce que dit Bennett lui-même sur son action et les polémiques qu'elle a suscitées, Journal of Historical Review, I, 2, 1980, p. 115-120, « In the matter of Robert Faurisson ».

  64. R. Faurisson avait donné une interview à Storia Illustrata, 261, août 1979, republiée et corrigée in S. THION, Vérité historique ou Vérité politique ?, op. cit., p. 171-212 ; le révisionnisme italien s'est developpé depuis autour de deux personnages : un disciple de Rassinier, Cesare Saletta, membre ou sympathisant du Gruppo communista internationalista autonoma, auteur notamment d'une brochure intitulée Il Caso Rassinier, 1981, et deux autres dirigées contre l'auteur de ces pages, L'onestà polemica del Signor Vidal-Naquet et In margine ad una recensione, chez l'auteur, 1985 et 1986, et un fasciste avoué, Carlo Mattogno, dont les principaux ouvrages ont été publiés aux éditions de la Sentinella d'ltalia. Les deux auteurs développent du reste les mêmes thèmes, et c'est l'écrivain fasciste dont La Vieille Taupe a décidé de publier une oeuvre dans le no 1 des Annales d'histoire révisionniste (printemps 1987), « Le mythe de l'extermination des Juifs. Introduction historico-bibliographigue à l'historiographie révisionniste » p. 15-107.

  65. Mémoire en défense contre ceux qui m 'accusent de falsifer l'histoire. La question des chambres à gaz, La Vieille Taupe, Paris, 1980.

  66. Lothar BAIER, « Die Weisswäscher von Auschwitz. Robert Faurisson und seine Genossen », Transatlantik, juillet 1981, p. 14-26 ; Paul L. BERMAN, « Gas Chamber Games. Crackpot History and the Right to lie », Village Voice, 10 juin 1981 ; l'article de L. DAWIDOWICZ, « Lies about the Holocaust » Commentary, dec. 1980, p. 31-37, est plus international mais se termine lui aussi par des références françaises.

  67. « Jamais Hitler n'a ordonné ni admis que quiconque fût tué en raison de sa race ni de sa religion » : cette formule a rendu Faurisson célèbre et a éte diffusée, à partir, semble-t-il, de 1978. Le révisionniste (néo-nazi) W. D. ROTHE, en 1974, terminait son livre, Die Endlösung der Judenfrage (E. Bierbaum, Francfort), en affirmant : « dass es nicht einen einzigen Juden gegehen hat, der mit Wissen und Billigung der Regierung des Dritten Reiches, des damaligen Führers Adolf Hitler oder gar des Deutschen Volkes, umgebracht worden wäre, weil er Jude war ».

  68. Encore que de tels procès aient lieu aux États-Unis (sans faire beaucoup de bruit) voir infra, p. 183. Pendant plusieurs années, un procès contre un nazi installé au Canada s'est déroulé à Toronto, pour aboutir à un acquittement, l'article de loi sur lequel se fondait l'accusation ayant été déclaré inconstitutionnel. Robert Faurisson s'est fait un plaisir de préfacer le compte-rendu énorme, mais haché menu, quant aux témoins de l'accusation, de ce procès ; voir B. KULASZKA, Did Six Millions Really Die ? Report on the Evidence in the Canadian False News Trial of Ernst Zündel, Toronto, Samisdat Press, 1992.

  69. Dans le volume déjà cité, Vérité historique ou Vérité politique ?

  70. Voir par exemple dans le Journal of Historical Review, I, 2, 1980, p. 153-162, la correspondance échangée entre divers révisionnistes et la direction du New Statesman de Londres. Je tiens de G. Sereny que la plus haute autorité morale et juridique de la presse anglaise a débattu la question et a tranché par un refus de droit de réponse.

  71. L'affaire Faurisson a véritablement commencé par la publication dans Le Monde du 29 décembre 1978 d'un article de Faurisson suivi d'une réponse de G. Wellers. Certes, Le Monde a pris nettement parti contre Faurisson, mais on put lire, par exemple (no du 30 juin 1981), à propos d'un procès, un article de Ch. COLOMBANI intitulé : « Des universitaires s'affrontent sur le cas Faurisson ». La discussion fut plus intense dans Libération (j'y ai participé par un entretien avec D. Eribon, 24-25 janvier 1981) ; elle a paru se clore dans le numéro des 11-12 juillet 1981 par un article de F. PAUL-BONCOUR intitulé « Pour en finir avec l'affaire Faurisson », mais a connu plusieurs rebondissements, en dernier lieu le 28 mai 1987 lorsque fut publié un courrier des lecteurs où se combinaient les deux thèmes majeurs du révisionnisme, « technique » et « tiers-mondisme », ce qui entraîna le lendemain une violente mise au point de Serge July et la mise à pied du rédacteur responsable.

  72. Par exemple, outre les livres de Bardèche et de Rassinier, dans l'ouvrage de G. A. AMAUDRUZ (un nazi suisse) : Ubu justicier au premier procès de Nuremberg, Ch. de Jonquière, Paris, 1949.

  73. Voir « Un Eichmann de papier », supra, p. 50-5I.

  74. Je donne quelques précisions en ce qui concerne La Vieille Taupe dans la seconde section de mon étude : « Un Eichmann de papier » ; c'est notamment sur ce qu'il savait, ou croyait savoir, de Rassinier que Noam Chomsky s'est rapproché du groupe français de La Vieille Taupe, sans toutefois adhérer lui-même aux thèses révisionnistes ; voir aussi infra p. 155-160.

  75. Ces thèmes apparaissent avec une absolue clarté dans un tract diffusé par ces groupes en octobre 1980 et intitulé « Notre royaume est une prison ». On le trouvera reproduit dans la brochure déjà citee (supra, n. 54), De I'exploitation dans les camps...

  76. Sur Drumont et l'influence qu'il a exercée, voir Z. STERNHELL, La Droite révolutionnaire, 1885-1914. Les origines françaises du fascisme, Éditions du Seuil, Paris, 1978, et le recueil de M WINOCK, Drumont et Cie, Éditions du Seuil, Paris, 1982.

  77. E. DRUMONT, La France Juive, Marpont-Flammarion, Paris, 1886, t. II, p. 408-409.

  78. Voir mon texte « Des musées et des hommes », préface à R. MARIENSTRAS, Être un peuple en diaspora, Maspéro, Paris, 1975, repris dans Les Juifs..., op. cit., p. 110-125.

  79. Un ouvrage de base sur ces pratiques historiographiques, et en général sur toute l'historiographie du grand massacre, est le livre de L. S. DAWIDOWICZ, The Holocaust and the Historians, Harvard University Press, 1981, ouvrage qui malheureusement cède trop souvent à l'excès inverse de celui qu'il dénonce avec raison, la banalisation du grand massacre, et tombe dans le judéo-centrisme ; sur l'Union Soviétique et sur la Pologne, ce livre n'en apporte pas moins des informations capitales, et il faudrait le citer à chacune des notes qui suivent ; un autre travail est annoncé comme de parution prochaine, dû à R. BRAHAM.

  80. Essentiellement C. SIMONOV, Maïdanek, un camp d'extermination, suivi du compte rendu de la Commission d'enquête polono-soviétique, Éditions sociales, Paris, 1945, et V. GROSSMANN, L'Enfer de Treblinka, Arthaud, Paris, 1945, rééd. 1966, ouvrages sans valeur documentaire réelle ; voir, outre les indications de L. S. DAWIDOWICZ, op. cit., p. 69-79, la brève étude de E. GOLDHAGEN, « Der Holocaust in der Sowjetischen Propaganda und
    Geschichtsschreibung », Vierteljahrshefte für Zeitgeschichte, 28, 1980, p. 502-507.

  81. Pour toute la période antérieure à 1962, il existe un bon guide documentaire polonais, qui ne traite pas des camps de pure extermination, tels que Treblinka, mais qui comprend Auschwitz : Wanda KIEDRZYNSKA, Materialy do Bibliografii Hitlerowskich obosow koncentracyjnych, Panstwowe Wydawnictwo Naukowe 1934-1962, Varsovie, 1964. 21 langues ont été dépouillées dont le russe. On verra facilement que la place des travaux dans cette langue est insignifiante. La traduction russe du livre classique du Polonais Jean Sehn sur Auschwitz porte le no 1382 et a été publiée à Varsovie en 1961.

  82. Je cite la traduction allemande présentée et commentée par A. Hillgruber et H. A.. Jacobsen : B. S. TELPUCHOWSKI, Die Sowjetische Geschichte des Grossen Vaterländischen Krieges (1941-1945), Bernard et Graefe, Francfort, 1961 ; sur les Juifs, cf. p. 272, sur les camps, voir p. 422-424. Les éditeurs allemands ne relèvent pas la discrétion de l'auteur sur le génocide des Juifs, alors que leur introduction et leurs notes sont très critiques. Quelques années plus tard était publié un récit de la campagne 1944-1945 : I. KONEV et alii, La Grande Campagne libératrice de l'armée soviétique, Editions du Progrès, Moscou, s.d. (1975) ; il y est question, p. 71, de « l'usine d'extermination géante » d'Auschwitz, avec des chiffres absurdes, mais aucune mention des Juifs. Pour plus de détails, voir S. FRIEDLÄNDER,
    « De l'antisémitisme à l'extermination. Esquisse historiographique et essai d'interprétation », L'Allemagne nazie..., p. 13-38.

  83. M. BROSZAT écrit in « Holocaust und die Geschichtswissenschaft », Vierteljahrshefte für Zeitgeschichte, 27, 1979, p. 285-298 (voir p. 294-295), que la Zeitschrift für Geschichtswissenschaft de Berlin-Est a en tout et pour tout, entre 1953 et 1972, publié un article sur ce sujet, en 1961, p. 1681, et qu'il ne s'agissait que d'un compte rendu d'ouvrages publiés à l'Ouest. Ce n'est pas exact : voir par exemple, en 1962, p. 954-957, le compte-rendu d'un livre polonais, en 1963, p. 794-796, le compte-rendu de la série Hefte von Auschwitz, en 1964, p. 5-27, l'article de L. BERTHOLD, sur la terreur fasciste en Allemagne et ses victimes, etc. Mais il est vrai que les articles de fond sont rares - sans commune mesure en qualité et en quantité avec ceux qui sont publiés à Munich - et que l'accent polémique contre l'Allemagne de l'Ouest est très caractéristique ; une étude d'ensemble traite de façon approfondie de l'historiographie est-allemande sur ce sujet, et a le grand mérite de distinguer les diverses séquences chronologiques ; K. KWIST, « Historians of the German Democratic Republic on Antisemitism and Persecution », Leo Baeck Institute Yearbook, XXI, 1976, p. 173-198 ; je dois cette référence à S. Friedlander.

  84. Voir, par exemple, F. K. KAUL et J. NOACK, Angeklagter Nr 6. Eine Auschwitz-Dokumentation, Akad. Verlag, Berlin, 1966. Il s'agit d'une documentation complémentaire sur l'un des accusés du procès d'Auschwitz à Francfort, Pery Broad.

  85. J'ai donné quelques exemples de ces qualités et de ces défauts de l'historiographie polonaise in « Un Eichmann de
    papier », supra, p. 37,

  86. Pour des sidelights sur les travaux polonais (des historiens K. Iranek- Osmecki, de Londres, et C. Luczak, de Poznan, notamment), voir les articles de S. KRAKOWSKI : « The Slaughter of Polish Jewry - A Polish Reassessment », The Wiener Literary Bulletin, XXVI, 3-4, 1972-1973, p. 13-20 ; « Le combat juif contre les nazis, en Pologne, selon les littératures juives et polonaises » (en hébreu), VIIe Congrès mondial des sciences du judaïsme. Recherches sur l'histoire de l'holocauste, Jérusalem, 1980, p. 45-49 ; « La Shoah des Juifs polonais, dans le livre du chercheur polonais C. Luczak », Yalkout Morechet (Recueil de l'héritage historique), Jérusalem, 1980, p. 183-198. Il m'est difficile de donner un jugement personnel sur une historiographie dont j'ignore la langue ; un ami dans le jugement duquel j'ai confiance et à qui j'ai communiqué les articles de S. Krakowski a tendance à renvoyer ces adversaires dos à dos, chacun percevant aisément le chauvinisme de l'autre ; il reste vrai pourtant que la symétrie ne peut, en l'espèce, être absolue.

  87. Voir par exemple M. TEICH « New Editions and Old Mistakes » (à propos de Reitlinger), Yad Vashem Studies, Vl, 1967, p. 375-384 ; N. ECK, « Historical Research or Slander ? » (sur B. Bettelheim, H. Arendt et R. Hilberg), ibid., p. 385-430, et surtout, à propos de H. Arendt, l'épais ouvrage de J. ROBINSON, La Tragédie juive sous la croix gammée à la lumière du procès de Jérusalem (le récit de Hannah Arendt et la réalité des faits), Paris, CDJC, 1969, trad. L. Steinberg. L'historiographie israélienne a depuis évolué, certes pas tout entière et pas sur un même rythme ; mais voir dans L'Allemagne nazie... les contributions d'A. FUNKENSTEIN et de S. VOLKOV, par exemple.

  88. On s'en aperçut lors du colloque dont ce rapport fit partie, et tout particulièrement pendant le débat qui suivit l'exposé d'Arno J. MAYER, devenu maintenant un livre encore inédit : The Final Solution in History.

  89. Voir l'article courageux du journaliste israélien Boaz EVRON, « Les interprétations de l'holocauste, un danger pour le peuple juif », trad. in Revue d'études palestiniennes 2, hiver 1982, p. 36-52. L'original est paru en hébreu in Yiton 77, mai-juin 1980.

  90. L'institut Yad Vashem est à la fois un institut scientifique, un musée et un lieu de recueillement, les uns et les autres admirables, mais on trouve aussi à Jérusalem dans les agences de l'Office du tourisme des tracts invitant à visiter une
    « grotte de l'holocauste » sur le mont Sion qu'il vaut mieux ne pas qualifier.

  91. Th. W. ADORNO, Dialectique négative, Payot, coll. « Critique de la Politique », Paris, 1978, p. 283-286, je cite les p. 283-284 ; sur le contexte intellectuel de l'analyse d'Adorno, voir J. P. BIER, Auschwitz et les nouvelles littératures allemandes, Éd. de l'Université de Bruxelles, 1979.

  92. Il faut aujourd'hui faire un effort pour s'en souvenir, mais dans les années qui ont suivi la guerre, le symbole de l'univers concentrationnaire n'était pas Auschwitz mais Buchenwald. En se référant à la bibliographie polonaise citée ci-dessus, no 81, on constatera que, en 1962, le nombre de livres publiés sur Buchenwald dépassait nettement celui des ouvrages consacrés au grand abattoir silésien.

  93. La notion de crime absolu est hélas opérationnelle, en Israël, et même ailleurs, pour justifier les crimes relatifs.

  94. A propos de Dachau, cf. la lettre de M. BROSZAT, Die Zeit, 19 août 1960, abondamment reproduite depuis et souvent déformée dans la presse et la littérature révisionniste. Cela dit, il ne faut pas pousser trop loin l'opposition entre camps de concentration et camps d'extermination. Dans le cas de Dachau, précisément, le personnel formé sur place a ensuite été largement utilisé à Auschwitz et dans d'autres lieux de meurtre. Voir la toute récente mise au point de H. G. RICHARDI, Schule der Gewalt. Die Anfänge des Konzentrationslager Dachau 1933-1934. Ein dokumentarischer Bericht, Beck, Munich, 1983, p. 241-248 ; sur le Krema I d'Auschwitz, voir W. STÄGLICH Der Auschwitz Mythos, p. 77 et 137. I1 m'a été communiqué sur ce point une documentation photographique en provenance du musée d'Auschwitz qui ne laisse aucun doute sur la réfection. C'est au sujet du Journal d'Anne Frank que l'offensive a eté menée avec le maximum d'efficacité ; voir par exemple R. FAURISSON in S. THION, Vérité historique ou Vérité politique ?, p. 213-300, étude reprise en anglais dans le Journal of Historical Review, III, 2, p. 147-209 ; le Journal d'Anne Frank a fait, depuis, I'objet d'une édition critique qui semble bien avoir réglé le problème de son authenticité ; voir H. PAAPE, G. VAN DER STROOM et D. BARNOUW, De Dagboeken van Anne Frank, Staatsuigeverij, La Haye, et Uigeverij Bert Bakker, Amsterdam, 1986 ; pour quelques détails, voir l'exposé de H. PAAPE, Bulletin Trimestriel de l'lnstitut d'histoire du temps présent, 25 (septembre 1986), p. 9-10.

  95. J'emprunte cette expression à J.-C. MILNER, Ordre et Raisons de la langue, Editions du Seuil, Paris, 1982, p. 323-325.

  96. Voir « Un Eichmann de papier », section II.

  97. Il s'agit d'un domaine peu étudié en France. En Allemagne, la litterature révisionniste récente est souvent partie d'Holocauste (1979) de même aux Etats-Unis. Voir les articles de J. HERF, de A. S. MARKOVITS et R. S. HAYDEN et de S. ZIELINSKI, New German Critique, 19, hiver 1980, p. 30-96, qui donnent un tableau très complet de la réception de la série en Allemagne. Un exemple de réaction révisionniste : H. HARTLE, Was Holocaust verschweigt. Deutsche Verteidigung gegen Kollektiv-Schuld- Lügen, Leoni am Starnbergersee, 1979.