index précédent suivant

 

 

Devant les députés LRM, Macron invoque Maurras pour parler du régalien

Lors d’une rencontre à l’Elysée, le chef de l’Etat a évoqué le « pays légal » et le « pays réel », distinction théorisée par le dirigeant de l’Action française durant la première moitié du XXe siècle.

En septembre 2019, Emmanuel Macron réclamait aux députés de sa majorité de « regarder en face » le sujet de l’immigration. Mardi 11 février, il leur a demandé d’ajouter à leur panier les sujets de l’insécurité et du « séparatisme ». Des questions que l’Elysée estime prioritaires afin que le chef de l’Etat ne se retrouve pas submergé par le Rassemblement national (RN) en 2022. Pour convaincre ses troupes de l’urgence, le président de la République a usé d’une rhétorique pour le moins surprenante de la part du héraut revendiqué du progressisme.

« Le problème qu’on a politiquement, c’est qu’on a pu donner le sentiment à nos concitoyens qu’il y avait un pays légal et un pays réel, et que, nous, on savait s’occuper du pays légal – moi le premier –, et que le pays réel ne bougeait pas. Sur le sujet de la sécurité, en premier chef, il faut faire bouger le pays réel, a estimé Emmanuel Macron devant les députés de sa majorité, réunis à l’Elysée. L’insécurité, c’est le sentiment d’insécurité. Il faut y aller, s’investir sur le terrain, faire bouger les choses, faire aboutir ce Livre blanc [sur lequel travaille le ministère de l’intérieur]. Après, sur certains points, il faut faire bouger le droit. Sur le sujet immigration, sécurité du quotidien, lutte contre les séparatismes, je souhaite qu’on puisse [les] réinvestir, avec des initiatives parlementaires et avec une stratégie d’ensemble. »

« Plan de reconquête républicaine »

Charles Maurras, penseur nationaliste et dirigeant de l’Action française, avait théorisé durant la première moitié du XXe siècle cette distinction entre « pays légal » et « pays réel ». Une manière d’opposer des élites nécessairement déconnectées à un peuple en prise avec le « réel ». Aujourd’hui encore, cette notion de « pays réel » est régulièrement convoquée à l’extrême droite. En reprenant à son compte ce vocable, Emmanuel Macron entend montrer qu’il serait à l’écoute des catégories populaires – en partie séduites par le RN –, contrairement à l’image qui lui est accolée depuis le début du quinquennat. En septembre 2019, M. Macron avait utilisé le même argument pour justifier sa volonté de se saisir du sujet migratoire. « Les bourgeois n’ont pas de problème avec ce phénomène parce qu’ils ne les croisent pas. Les classes populaires vivent avec ça », avait-il justifié devant les parlementaires de la majorité.

La semaine prochaine, Emmanuel Macron devrait se rendre en région pour un déplacement sur le thème de la lutte contre le communautarisme. Un second, en banlieue parisienne, est en préparation pour la dernière semaine de février. C’est à cette occasion qu’il devrait dévoiler l’ensemble de son plan de lutte contre ce qu’il nomme désormais le « séparatisme »« Ce sera un plan de reconquête républicaine », promet un conseiller. La question de l’insécurité sera aussi au cœur de ses préoccupations des prochains mois, assure-t-on à la présidence. « Lorsqu’on s’assied dans le fauteuil présidentiel, on reçoit des notes d’alerte des services tous les jours, on envoie des soldats à la mort, on est d’un seul coup lesté. L’idéalisme et le progressisme d’Emmanuel Macron sont restés intacts mais ils sont aujourd’hui tempérés par l’exercice de la fonction présidentielle », reconnaît un membre du premier cercle.

« 2022 se jouera sur le sentiment de protection », ajoute un ministre. Une stratégie similaire à celle adoptée par Nicolas Sarkozy, en 2012, qui avait fait de la question des frontières le cœur de la campagne en vue de sa tentative (ratée) de réélection. Un choix affirmé et assumé en direction de la droite. « Notre électorat a changé, il faut le solidifier », justifie un membre du gouvernement.

 


La présidentielle de 2022 commence à inquiéter Emmanuel Macron et ses proches

Les stratèges n’hésitent pas à envisager une élimination dès le premier tour du chef de l’Etat, qui cristallise les mécontentements.

Emmanuel Macron lors de sa venue au Salon de l’agriculture, à Paris, le 22 février. JULIEN MUGUET POUR LE MONDE

Les journalistes ont fini de poser leurs questions. Emmanuel Macron donne maintenant la parole à de jeunes habitants du quartier de Bourtzwiller, cité sensible de Mulhouse (Haut-Rhin), où il est venu présenter, mardi 18 février, le premier volet de son plan de lutte contre le « séparatisme islamiste ».

« Est-ce que vous êtes candidat pour les prochaines élections de 2022 ? », demande l’un d’eux. Le chef de l’Etat, estomaqué, réfléchit quelques secondes. « Je ne vais pas vous dire ce que je vais faire en 2022, il y a beaucoup de choses qui peuvent arriver d’ici là, réplique-t-il. Au bon moment il faudra arriver à ces choses-là, si j’y arrive. Pour le moment, il faut continuer à travailler. » Une réponse classique pour qui veut ne pas se projeter trop tôt vers une échéance. La présidentielle, après tout, a lieu dans plus de deux ans. Mais la prudence du ton témoigne aussi d’une intuition, qui traverse la Macronie depuis quelques semaines : encore faudra-t-il y « arriver ».

Emmanuel Macron – encore lui – a posé des mots sur ce sentiment diffus. Devant les députés de la majorité qu’il a reçus à l’Elysée, le 11 février, le chef de l’Etat a reconnu vivre « un moment difficile du quinquennat ». La réforme des retraites, impopulaire, s’enlise à l’Assemblée nationale et dans la rue. Sa cote de confiance chute depuis la rentrée 2019, notamment auprès du peuple de droite.

Les élections municipales des 15 et 22 mars s’annoncent compliquées, et les opposants de tous bords, de La France insoumise (LFI) au Rassemblement national (RN), en passant par Les Républicains (LR), redonnent de la voix. « Toutes les difficultés sont là. Il n’y a plus la force de propulsion du départ, a souligné le président de la République face à ses troupes. Les oppositions sont plus fortes. La contrepartie du “en même temps”, c’est qu’il y a des oppositions des deux côtés, elles sont en stéréo. »

« Grande fragmentation » de l’électorat

Quant à la crise des « gilets jaunes » – qui a « décapsulé » un niveau de violences inédit dans le pays –, elle continue d’imprimer la rétine des Français. « Il y a toutes les frustrations, tous les ressentiments de la société qui sont en train de ressortir, ça tombe sur nous parce qu’on a agité la société », a jugé M. Macron.

Face à ce constat – cette « difficulté consubstantielle de ce moment du quinquennat », selon les mots du chef de l’Etat –, les stratèges de l’exécutif s’inquiètent : tout peut « arriver ». Y compris une élimination de leur champion au premier tour de l’élection présidentielle de 2022. Nombreux sont ceux, en effet, à ne pas croire au scénario écrit à l’avance d’un nouveau duel opposant, au second tour, Emmanuel Macron à la présidente du RN, Marine Le Pen. « L’enjeu de la prochaine présidentielle, c’est la qualification au second tour », estime un conseiller du pouvoir. « Je ne parierai pas que le match soit Macron-Le Pen. Je ne sens pas cette envie chez les gens », ajoute un ministre.

Une prescience confirmée par les sondages : selon une enquête Elabe pour BFM-TV diffusée le 12 février, 80 % des Français ne souhaitent pas revoir s’installer une telle confrontation. Le socle électoral mariniste apparaissant solide – au-delà des ennuis judiciaires qui pourraient entraver la députée du Pas-de-Calais –, la question se pose de savoir dans quel état sera celui du chef de l’Etat. « Au premier tour, en 2017, nous avions déjà quatre candidats extrêmement rapprochés [Emmanuel Macron, Marine Le Pen, François Fillon et Jean-Luc Mélenchon]. Là, nous avons affaire à une encore plus grande fragmentation… », note, préoccupée, une députée de La République en marche (LRM).

Le président de la République se prête au jeu des selfies avec des visiteurs du salon de l’agriculture, le 22 février. JULIEN MUGUET POUR LE MONDE

Il n’est pas étonnant, dans ce contexte, de voir Emmanuel Macron se lancer dans une sorte de précampagne présidentielle, autour de deux thèmes : l’écologie et le régalien. Le chef de l’Etat, qui a l’intention d’égrener le dévoilement de son plan de lutte contre le séparatisme, doit par ailleurs battre la campagne ces prochaines semaines pour incarner selon son entourage l’« écologie du quotidien », martingale censée l’aider à répondre aux procès en inaction dans ce domaine. « Il faut qu’on dessine très vite les arêtes du débat présidentiel, il nous reste un an pour les faire émerger. Au lendemain des régionales, en mars 2021, la campagne va démarrer immédiatement », prédit un stratège de la Macronie.

« Tension » et « détestation »

Ces deux thématiques, régalienne et écologique, répondent à des préoccupations de fond. Mais elles correspondent aussi aux deux principaux concurrents identifiés par les macronistes d’ici à 2022 : la droite et les écologistes.

Joindre ces deux bouts – cela s’appelle le « dépassement » – doit permettre de relever un défi, celui de la réélection du président de la République ; pas un prédécesseur de M. Macron, hormis François Mitterrand et Jacques Chirac au lendemain de périodes de cohabitation, n’y est parvenu. « Peut-être que le moyen de changer cette réalité historique, c’est de changer son électorat », anticipe un ministre. Vers la droite, donc. Un virage déjà abordé au moment des élections européennes de 2019. « Il faut solidifier cet électorat », estime un proche du chef de l’Etat. Raison pour laquelle il n’a pas été question, au cœur de l’hiver, de lâcher un pouce de terrain à la contestation contre la réforme des retraites.

L’autre enjeu identifié par la Macronie est celui de l’équation personnelle du locataire de l’Elysée, qui cristallise autour de sa personne « tension » et « détestation », de l’avis de beaucoup. « Le pays est à feu et à sang, alors que nous avions joué sur la bienveillance en 2017. C’est un échec », reconnaît un député de la majorité. « Les deux années qui viennent doivent être des années de pacification. Il faut qu’on se calme tous pour ne pas entrer dans la campagne présidentielle avec un tel niveau de tension, estime un autre. Le président a vocation à calmer le jeu. »

« La France en commun »

Emmanuel Macron entend donc, de son propre aveu, porter des « textes forts politiquement et de réconciliation », comme sur la dépendance ou le handicap. L’urgence, selon lui, serait de « communiquer » sur un nombre d’objets plus réduits, « des choses tangibles, qui changent la vie »« Le calme du pays se construira dans la capacité à donner du sens aux résultats », a-t-il estimé devant sa majorité.

Le 31 décembre 2019, lors de ses vœux, le chef de l’Etat a utilisé une expression qui a fait tilt dans l’esprit de certains proches : « La France en commun. » Un potentiel slogan de campagne ? L’expression, en tout cas, n’est pas sans rappeler « la France unie » promise par François Mitterrand au moment de sa large réélection, en 1988, face à Jacques Chirac. Le modèle de campagne absolu pour tout président sortant. François Hollande lui-même espérait l’enfourcher en 2017. Avant que l’imprévu ne frappe à sa porte.