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Jean Richepin
Les oiseaux de passage 

 

 

Ô vie heureuse des bourgeois 
Qu'avril bourgeonne 
Ou que décembre gèle, 
Ils sont fiers et contents 

Ce pigeon est aimé, 
Trois jours par sa pigeonne 
Ca lui suffit il sait 
Que l'amour n'a qu'un temps 

Ce dindon a toujours 
Béni sa destinée 
Et quand vient le moment 
De mourir il faut voir 

Cette jeune oie en pleurs 
C'est la que je suis née 
Je meurs près de ma mère 
Et je fais mon devoir 

Elle a fait son devoir 
C'est a dire que Onques 
Elle n'eut de souhait 
Impossible elle n'eut 

Aucun rêve de lune 
Aucun désir de jonque 
L'emportant sans rameurs 
Sur un fleuve inconnu 

Et tous sont ainsi faits 
Vivre la même vie 
Toujours pour ces gens là 
Cela n'est point hideux 

Ce canard n'a qu'un bec 
Et n'eut jamais envie 
Ou de n'en plus avoir 
Ou bien d'en avoir deux 

Ils n'ont aucun besoin 
De baiser sur les lèvres 
Et loin des songes vains 
Loin des soucis cuisants 

Possèdent pour tout cœur 
Un viscère sans fièvre 
Un coucou régulier 
Et garanti dix ans 

Ô les gens bien heureux 
Tout à coup dans l'espace 
Si haut qu'ils semblent aller 
Lentement en grand vol 

En forme de triangle 
Arrivent planent, et passent 
Où vont ils? ... qui sont-ils ? 
Comme ils sont loin du sol 

Regardez les passer, eux 
Ce sont les sauvages 
Ils vont où leur désir 
Le veut par dessus monts 

Et bois, et mers, et vents 
Et loin des esclavages 
L'air qu'ils boivent 
Ferait éclater vos poumons 

Regardez les avant 
D'atteindre sa chimère 
Plus d'un l'aile rompue 
Et du sang plein les yeux 

Mourra. Ces pauvres gens 
Ont aussi femme et mère 
Et savent les aimer 
Aussi bien que vous, mieux 

Pour choyer cette femme 
Et nourrir cette mère 
Ils pouvaient devenir 
Volailles comme vous 

Mais ils sont avant tout 
Des fils de la chimère 
Des assoiffés d'azur 
Des poètes des fous 

Regardez les vieux coqs 
Jeune oie édifiante 
Rien de vous ne pourra 
Monter aussi haut qu'eux 

Et le peu qui viendra 
D'eux à vous c'est leur fiente 
Les bourgeois sont troublés 
De voir passer les gueux