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A Algoud Dictionnaire amoureux de Tintin
Objectif Lune

 

Le diptyque Objectif Lune-On a marché sur la Lune est sans doute, en dépit des nombreux gags qui le ponctuent, l'épisode le plus mélancolique de la saga. Du début à la fin, l'expédition lunaire se déroule dans une atmosphère angoissante, presque lugubre. Lancés dans la nuit cosmique, jamais nos héros n'eurent à affronter à ce point l'inconnu. La fusée fonce d'abord vers la Lune à la vitesse de 13 kilomètres par seconde, puis à 45 kilomètres par seconde. Par comparaison, rappelons que le vaisseau Apollo 11, dix-neuf ans plus tard, atteindra la vitesse maximum de 40 000 kilomètres par heure, soit 11 kilomètres par seconde! Mais, ô paradoxe, alors que le voyage de la fusée à damier ne dure que quatre heures (quatre jours pour Apollo), le lecteur a l'impression d'une durée beaucoup plus longue. Un effet du suspense que sut créer Hergé en plaçant ses cosmonautes à la merci de défaillances qui pourraient se révéler fatales pour l'équipage.

Quand je repense à cette équipée spatiale, me revient à l'esprit le palindrome crépusculaire attribué à Virgile et repris par Guy Debord, qui, en 1978, en fit le titre d'un de ses films : « In girum imus nocte et consumimur igni » ( « Nous errons dans la nuit et nous voilà consumés par le feu » ). Et j'imagine volontiers Nestor, resté seul à Moulinsart et qui, pour accompagner ses maîtres en pensée, se plonge dans celles de Pascal, un de ses livres de chevet. Au chapitre « Transition de la connaissance de l'homme à Dieu », une phrase qui aurait pu être placée en exergue de cette aventure le plonge dans une méditation cosmique : « Le silence éternel de ces espaces infinis m'effraie. »

Une inquiétude mêlée d'étonnement nimbe toute cette expédition, depuis les préparatifs jusqu'au dénouement. J'emprunterai à de jeunes lecteurs, des élèves de la classe de première SI du lycée Hector-Berlioz de Vincennes, qui ont étudié les deux albums lunaires, le commentaire que, sur le site « Voyager de la Terre à la Lune » (2012-2013), ils donnèrent du départ de la fusée ... « Hergé rend merveilleusement bien l'émotion du départ de la fusée. Toute personne ayant eu l'occasion de vivre un tel moment dans les coulisses d'un lancement se replonge dans l'ambiance d'Objectif Lune; c'est toujours d'actualité avec les navettes spatiales. S'approcher de l'aire de lancement de nuit, avec la vision de la navette étincelante sous les projecteurs sur sa rampe de lancement procure une émotion inoubliable qui rappelle celle ressentie par Tintin et le capitaine en page 56 d'Objectif Lune : "C'est féerique", s'émerveille Tintin. »

L'obscurité ajoute à l'inquiétude, et c'est dans la nuit cosmique que se déroule presque entièrement le second volet de l'aventure lunaire. Seules les quatre dernières pages de cette saga sont éclairées par la lumière du jour. Alors que le départ, lourd d'angoisse, s'est fait de nuit, le retour, en un happy- end libérateur, s'effectue enfin dans la clarté. Après le terrible suspense de l'atterrissage, Haddock, dont le coeur a failli lâcher, se réveille du coma où il était plongé. Mais au moment où il s'exclame : « De toute cette histoire, je vous dis, moi, il y a une seule chose à retenir: ON N'EST VRAIMENT BIEN ... », voici qu'en un gag final dont Hergé agrémente tous ses récits, Haddock, trébuchant sur son brancard, s'étale de tout son long, nous offrant, au sens propre comme au sens figuré, une chute bien paradoxale puisqu' il complète ainsi sa phrase : « ... QUE SUR NOTRE BONNE VIEILLE TERRE! » Juste avant , alors que Tournesol envisageait de retourner sur la Lune, Haddock passant soudain de la joie à la colère, s'est emporté, allant jusqu'à traiter le professeur de « zouave interplanétaire», oubliant que peu de temps avant le départ pour la Lune le mot « zouave » avait mis Tournesol dans une rage à jamais mémorable (Objectif, 39-45).