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Eco-anxiété, dépression verte ou « solastalgie » : les Français gagnés par l’angoisse climatique
  Audrey Garric et  Pascale Krémer 

Le Monde juin 19

Difficile de se projeter dans l’avenir quand la planète se dégrade sous nos yeux. « Effondrement », « extinction »… Ces mots qui éveillent les consciences réactivent chez certains des angoisses profondes de mort et de fin du monde.

 

 

 

C’est un banal sondage qui l’a fait plonger. En novembre 2018, Clémence Bertolini apprenait que les deux tiers, environ, de ses compatriotes accordaient plus d’importance au pouvoir d’achat qu’à la transition écologique.

« La goutte d’eau, trois mois après la démission de Nicolas Hulot du gouvernement… J’ai réalisé que rien ne changerait. C’était foutu. » Lyonnaise, tout juste quadragénaire, Clémence a abandonné son sourire de battante et ses illusions de pionnière de la couche lavable pour se claquemurer durant huit mois chez elle.

« J’étais dévastée, tellement déçue par l’être humain, sa propension à ­l’égoïsme… Je ressentais une colère profonde. Et la culpabilité dévastatrice d’avoir donné vie à deux enfants qui allaient connaître des guerres et des rationnements de nourriture », poursuit celle qui fut directrice commerciale avant de tout lâcher. « J’ai fait une dépression. »

Comme l’icône suédoise de la jeunesse en rébellion écologique, Greta Thunberg, qui, à 11 ans, a sombré après avoir vu un documentaire sur les ours polaires.

Ou encore la romancière préférée des Français, Aurélie Valognes, 36 ans, depuis peu « consciente que la planète commence à exploser ». « En juillet, je me suis pris une énorme claque, j’étais vraiment au fond du gouffre », confiait-elle, le 13 juin, sur France Inter. Au point de ne plus pouvoir écrire une autre histoire que celle d’une conversion écologique (La Cerise sur le ­gâteau, Fayard/Mazarine, 414 p., 18,90 €).

« Cette angoisse a toujours existé dans le militantisme écologique, mais elle s’est récemment aggravée sous l’effet d’une réduction des horizons temporels. » Luc Semal, maître de conférences au Museum national d’histoire naturelle

De fait, entre la hausse du thermomètre, la disparition des animaux, la fonte des glaciers, la pollution due au plastique ou l’acidification des océans, les preuves du dérèglement climatique et de l’effondrement de la biodiversité s’accumulent et dégradent tant la planète que notre santé mentale. Avec la canicule estivale de 2018, la peur est montée d’un cran. Nicolas Hulot a avoué son impuissance, tandis que le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) ­limitaient à onze le nombre d’années restant avant des bouleversements sans précédent.Pour certains, le péril apparaît à la fois imminent et inéluctable.

« Cette angoisse a toujours existé dans le militantisme écologique, mais elle s’est récemment aggravée sous l’effet d’une réduction des horizons temporels. Le dérèglement climatique ne va plus ­affecter les générations futures mais celles d’aujourd’hui, analyse Luc Semal, maître de conférences en sciences politiques au Muséum national d’histoire naturelle. Ce sujet est tellement écrasant, d’un point de vue émotionnel, qu’il peut phagocyter la vie personnelle. »

Dépression « verte » et « solastalgie »

Eco-anxiété, angoisse climatique, burn-out écologique, dépression verte, « solastalgie » ? Aucun terme ne s’est encore imposé en France pour décrire ce mal-être qui monte aussi sûrement que le niveau des mers. Mais les sondages l’attestent déjà : l’IFOP évaluait, en octobre 2018, à 85 % la proportion des Français inquiets du réchauffement climatique, 8 points de plus qu’en 2015. Chez les 18-24 ans, ce taux culmine à 93 %.

Mes études, mon travail ont-ils encore du sens ? A quoi ressemblera le monde en 2050 ? Vais-je survivre, mes enfants vont-ils survivre ? Autant de questions qui taraudent un nombre croissant d’individus, à des degrés divers, de l’anxiété latente à l’angoisse tenace, et jusqu’à la dépression caractérisée.

« Il est presque impossible d’accepter toute la vérité sur ce que nous avons fait subir à la Terre, déclarait, en novembre 2018, au Monde le philosophe australien Clive HamiltonJ’ai vu des gens vivre avec cette idée au quotidien, ils ont développé une forme de folie. »

« Si rien n’est fait, quand j’aurai 15 ans, je serai peut-être morte », a pensé Céleste, élève de 5e en Bretagne, au lendemain de la démission de M. Hulot

S’il n’en est pas là, le vidéaste écolo Vincent Verzat, dont la casquette ­affiche le nom de sa chaîne YouTube, Partager, c’est sympa, confie malgré tout « avoir du mal à dormir une nuit sur trois »« En décembre 2018, mon récit personnel a volé en éclats : je me suis rendu compte que, depuis huit ans, mes vidéos satisfaisaient un besoin de sens et de communauté mais n’allaient pas changer la donne », lâche tristement le jeune homme de 29 ans, davantage coutumier des blagues et des grands sourires.

Clément Sénéchal, chargé de campagne chez Greenpeace France, le confirme, travailler sur le sujet est « usant »« Cela crée un rapport au monde en tension permanente », assure-t-il. Un trajet en voiture ? « La dégradation des conditions de survie de l’humanité. » Une balade dans un square ? « La préservation du vivant. » Forcément se pose la question de la paternité « car mettre au monde des enfants accroît l’empreinte carbone dans un monde dont on ne sait pas s’il va durer ».

Les plus jeunes ne sont pas épargnés. « Si rien n’est fait, quand j’aurai 15 ans, je serai peut-être morte », a pensé Céleste, élève de 5e en Bretagne, au lendemain de la démission de Nicolas Hulot. Aujourd’hui, l’adolescente se dit plus « optimiste », les manifestations de collégiens et de lycéens pour le climat lui ont redonné « courage ». Mais elle craint toujours que « [s]es enfants ne sachent pas à quoi ressemble un léopard et que la forêt amazonienne soit totalement détruite ».

Se « préparer » au pire

Après la lecture du best-seller de Pablo Servigne et Raphaël Stevens ­Comment tout peut s’effondrer (Seuil, 2015), qui prévoit l’issue de notre civilisation thermo-industrielle, de nombreux lecteurs du Monde ont témoigné sur le site de leur « abattement complet », d’une « sidération », du « coup de massue » reçu…

Institutrice à Creil (Oise), Joëlle Lefort, 44 ans, a choisi de se « préparer » tant qu’elle « dispose encore d’Internet pour ­accumuler connaissances et savoir-faire ». A ses élèves de CM2, elle enseigne aujourd’hui comment « s’organiser, partager ». Les cours de jardinage, de cuisine, d’entretien physique, de nutrition en ont évincé d’autres, plus théoriques.

« Effondrement », « extinction », « collapse »… Ces mots qui éveillent les consciences réactivent également des ­angoisses profondes de mort et de fin du monde. Dans les cabinets des psys, les ­patients finissent souvent par aborder « cette peur omniprésente qui ne remplace pas les autres mais s’y ajoute », note le psychiatre Antoine Pelissolo, chef de service à l’hôpital Henri-Mondor, à Créteil. « La crise environnementale est un parfait sujet d’anxiété. Il est potentiellement très grave, nous n’avons pas de prise directe, nous sentons le danger approcher… Il peut donc devenir envahissant, alimenter une sensibilité à la dépression, et priver les soignants de leviers pour remobiliser la personne, comme la projection dans l’avenir. » 

« Les ­problèmes écologiques, ajoutés aux attentats, créent une menace diffuse, un bain d’insécurité. » Marion Robin, psychiatre à l’Institut mutualiste Montsouris

Les adolescents que reçoit Marion Robin, psychiatre à l’Institut mutualiste Montsouris, à Paris, ne se privent pas de faire savoir aux adultes qu’ils ont « bousillé la planète ». « Les problèmes écologiques, ajoutés aux attentats, créent une menace diffuse, un bain d’insécurité, perçoit-elle. Le contenant qu’est la société s’effrite. L’humanité en péril vient rencontrer leur prise de conscience de la finitude. »

Spécialiste du burn-out, qui aujourd’hui se décline donc en version « bio », Pierre-Eric Sutter, psychologue et psychothérapeute, met sur pied un ­Observatoire de la collapsologie pour évaluer l’impact mental du sombre avenir annoncé. « Le collapseréactive les ­angoisses eschatologiques. Il nous ramène à notre humanité, à sa fragilité. » Un retour douloureux à la réalité. « Beaucoup de gens ne vont pas bien. » Lui-même n’a pas fait le fier le jour où une amie l’a averti qu’elle ne lui offrirait plus de miel. Dix de ses douze ruches étaient mortes. « La compréhension ­intellectuelle est devenue émotionnelle. C’était comme un élargissement soudain de la conscience. Un choc. »

Se soigner par l’action

Aider à encaisser ce choc, voilà un nouvel enjeu de santé publique. Il mobilise déjà les académies des sciences de tous les pays de l’Union européenne, de même que l’Association des psychiatres américains qui, en mars 2017, rendait un rapport sur l’impact du changement climatique. Conclusion : il « peut accroître les ­pathologies liées au stress comme les addictions, les troubles anxieux et la dépression ». Certains blogs américains traitant de l’environnement fournissent désormais, en fin de lecture, des liens interactifs vers un soutien psychologique.

Je plombe l’ambiance des dîners, en Cassandre des temps pollués, j’alpague le poissonnier qui distribue les sacs plastique à tout-va, je n’ai pas pu apprécier l’exceptionnelle douceur de la fin mars… Dites docteur, comment je me soigne ?

« Pour toutes les formes d’anxiété, c’est par l’action que l’on s’apaise, explique le professeur Pelissolo, puisque l’anxiété est une montée d’hormones de stress qui prépare à se battre contre une menace. » Sur ordonnance, donc : engagement militant et activité physique.

Mouvements de désobéissance civile

Martial Breton, étudiant à AgroParisTech, noie ainsi « peur, tristesse et ­colère » dans une « boulimie d’actions et de rencontres », notamment en organisant les grèves scolaires pour le climat à Paris. Le vidéaste Vincent Verzat a choisi la ­« sobriété heureuse » et rassemble mensuellement des amis pour « digérer les ­infos »« sentir un réseau d’entraide », « se projeter dans un monde sans argent ». Emma, 19 ans, a trouvé son sas de décompression en rejoignant Extinction Rebellion, ce mouvement de désobéissance ­civile né en octobre 2018 au Royaume-Uni. D’autres s’attaquent aux ennemis d’un quotidien plus vert : viande, plastiques, produits ménagers, déchets ou grandes surfaces. Changement de vie, changement d’idées.

Sur Facebook a émergé, en décembre 2017, le groupe La collapso heureuse (14 000 membres). Derrière l’oxymore, il y a l’objectif d’affronter collectivement les peurs en partageant les initiatives, résume l’un des fondateurs, Loïc Steffan, professeur d’économie-gestion à l’Institut universitaire Champollion d’Albi.

« J’avais eu une conversation avec un homme prêt à tuer lui-même toute sa famille tellement il était perturbé. J’ai réalisé les conséquences psychiques de ce discours, qui est également propice aux gourous supposés indiquer la voie de la survie. » Adhérer au groupe a permis à Clémence Bertolini de sortir de sa claustration. « J’ai découvert la collapsologie et le mot solastalgie, ce sentiment d’être en deuil du monde qu’on imaginait pour nos enfants. Je n’étais plus seule, je pouvais identifier mes émotions. » Depuis, elle ­milite pour le troc, le vrac et les repair ­cafés. « Je suis toujours dégoûtée mais je n’ai plus peur. » Echanger sur l’effondrement l’a requinquée.

Bonne nuit les petits

Il n’est jamais trop tôt pour transmettre ses angoisses à ses enfants. Quantité de livres jeunesse proposent de sensibiliser notre progéniture aux enjeux écologiques : on peut ainsi apprendre, en s’amusant, à trier ses déchets, voire à cesser d’en produire, à respecter la nature, à cuisiner végan en famille… Mais on peut aussi remplacer l’histoire du soir par un conte à visée pédagogique. Attention, cauchemars en vue.

Au placard, Le Petit Poucet : voici venu Polaire, l’ours solitaire (éditions Nui Nui, 2016, 6-8 ans), dont le destin n’est guère plus réjouissant puisqu’il cherche sa maman, peut-être victime de la fonte des glaces, et joue sa survie face au ­réchauffement climatique. Remisé, Tchoupi prend son bain : ce soir, Le manchot a rudement chaud (Belin, 2009, 3-5 ans). Malgré tous ses efforts, il cuit sur la banquise et compte sur l’humanité et ses petits lecteurs pour le sauver. Envolé, Le Merveilleux Voyage de Niels Holgersson : dans Le Grand Voyage de Lena (Amiver, 2009, 4-7 ans), la petite fille s’envole sur le dos d’un albatros mazouté ­découvrir les horreurs que lui réserve la Terre. Baleines qui mangent du plastique, abeilles décimées par les pesticides, coraux agonisants… Bonne nuit les petits !

Votre pré-ado a fini Divergente (Nathan) ? Au rayon dystopie, il lui reste Céleste, ma planète (« Folio Junior », 2009, à partir de 10 ans), l’histoire d’une jeune fille dont le corps se couvre des blessures faites à mère Nature. Sur son front, une tache de la même forme que le dernier hectare de forêt amazonienne ; sur son épaule, une autre aux contours de ce qu’il reste de banquise arctique. Pour la sauver, une seule solution : sauver la planète. Une mission qui incombe au jeune narrateur… et à tous ceux qui le liront.

 

 

« Le climat suscite une peur inédite, car elle est planétaire »
Entretien avec Frédéric Le Blay, maître de ­conférences à l’université de Nantes et coordinateur scientifique du programme de recherche interdisciplinaire Atlantys, « Penser la fin du monde : imaginaire et expérience de la catastrophe »

 

L’anxiété que suscite chez certaines personnes le réchauffement climatique ressemble-t-elle, selon vous, à d’autres grandes peurs qui ont pu s’emparer de l’humanité par le passé ?

Le climat suscite à mon sens une peur inédite : elle est la première à prendre une dimension planétaire. On peut certes faire une analogie avec l’angoisse suscitée par l’apocalypse nucléaire, engendrée par les bombardements d’Hiroshima et de Nagasaki, en août 1945. L’essayiste autrichien Günther Anders (1902-1992) a été l’un de ceux qui ont ­théorisé ce risque et il était clair pour lui que cette menace était la première qui pesait sur l’ensemble de l’humanité. Mais si on regarde de plus près, cette peur a surtout touché le monde occidental. En ­revanche, aujourd’hui, la peur du ­réchauffement climatique est beaucoup plus largement partagée.

Les « grandes peurs » constituent un phénomène fréquent dans l’histoire de l’humanité. Même si son importance n’est pas aussi grande qu’on l’a cru, le millénarisme a bien existé. Autre exemple, au cours des dernières années, on a vu une fraction de la population croire que la fin des temps surviendrait le 21 décembre 2012, date à laquelle le calendrier maya devait se terminer. On ne peut pas dire que c’était une hystérie ­collective, elle était plutôt limitée à une communauté bien précise, mais il y a bien eu une forme d’emballement médiatique.

Autre manifestation récente, qui a connu pour sa part une application institutionnelle et politique forte, c’était la peur du bug de l’an 2000. L’Etat américain avait mis en place une cellule de suivi pour informer le public et inciter les entreprises à prendre les mesures nécessaires. Finalement, l’apocalypse technologique n’a pas eu lieu.

Qu’est-ce qui caractérise ­généralement ces « grandes peurs » ? Dans quel contexte les voit-on surgir ?

Les peurs apocalyptiques sont une manifestation d’une crise que vit une communauté particulière. Elles sont le fait d’un contexte culturel, ­religieux, spirituel précis. Elles procèdent de causes factuelles qui font surgir l’angoisse et cet imaginaire. Par exemple, les grandes pandémies, telles que les grandes pestes du Moyen Age, ont préparé le retour du spectre de la fin du monde.

Des variations climatiques peuvent aussi être à l’origine d’un tel trouble, car elles ont parfois été suffisamment importantes pour provoquer des situations de crise, voire de ­profonds bouleversements, au sein de certaines sociétés. On sait que l’éruption de super volcans au Japon et en Indonésie au XVIIIe siècle a provoqué un hiver volcanique qui a perturbé le climat. Conséquemment, les récoltes ont été moins bonnes. Pour cette raison, certains historiens considèrent que ces perturbations ont pu jouer un rôle dans le déclenchement de la Révolution française. Sans que ces explosions génèrent de grande peur, cet exemple montre que l’environnement peut être un acteur de l’histoire.

Le climat a-t-il déjà provoqué la crainte d’un effondrement du monde ?

Pour le moment, les exemples ne sont pas faciles à mettre en évidence, mais nous pouvons formuler certaines hypothèses. La fin des périodes glaciaires s’est étalée sur plusieurs dizaines de milliers d’années et a été marquée par des phases de réchauffement et de refroidissement successives, avec une grande variation du niveau des mers. On peut imaginer à quel point les hommes préhistoriques ont pu être perturbés par ces bouleversements.

Les alignements de menhirs de Carnac, en Bretagne, nous en donnent peut-être un aperçu. C’est ce que pense Serge Cassen, spécialiste des sociétés du néolithique, et ­notamment des structures symboliques. Il estime que les hommes qui ont dressé ces pierres pourraient avoir cherché à créer une barrière symbolique pour empêcher la montée des eaux. Peut-être ont-ils craint l’effondrement de leur monde. En d’autres endroits du littoral atlantique européen, des archéologues ont retrouvé des restes immergés de villages de ­pêcheurs. Il y a donc eu un abandon de lieux d’habitation. Cette montée des eaux est sans doute à l’origine des mythes du déluge qui existent dans plusieurs parties du monde ­depuis très longtemps. Ce mythe se termine généralement par un retour à la normale.

La fin d’un monde n’est donc pas forcément synonyme de fin du monde ?

Au cours de l’Antiquité, l’idée d’une fin du monde radicale est rare. On croit plutôt à un cycle entre effondrement et renaissance. L’humanité pouvait ainsi se purifier de la corruption qui s’emparait inévitablement d’elle. Dans ses Météorologiques, Aristote se fait l’écho de la théorie de la « grande année ». Ce mythe d’origine orientale était très populaire chez les Grecs. Un cycle lié au mouvement des astres devait se terminer par une fin du monde puis une renaissance. Aristote réfute cette croyance. Mais elle a pu se répandre notamment parce que, à cette époque certaines régions du monde grec étaient en cours de désertification.

La peur de la fin du monde peut-elle permettre à l’humanité d’avancer ?

Elle peut être utilisée à des fins idéologiques ou politiques, et avoir de ce fait un profond impact sur notre monde, ce qui n’est pas forcément rassurant. Chez certaines communautés évangéliques contemporaines, l’attente de l’apocalypse est un élément du discours religieux employé pour expliquer notamment les catastrophes qui s’abattent sur les hommes, comme la tempête Katrina qui a frappé La Nouvelle-Orléans en 2005 ; ou pour promouvoir le retour à un ordre moral rigoriste. Dans des mondes religieux encore plus extrêmes, comme celui de l’organisation Etat islamique, l’apocalypse sert à justifier l’action terroriste.

Quant au progrès, il est induit non par la peur, mais par nos capacités de résilience. Face au réchauffement climatique, les sociétés pensent aujourd’hui à se réorganiser, ce qu’il faut saluer. Et on pourrait croire que l’angoisse peut servir d’aiguillon. Mais la nécessité de l’adaptation, si on ne se contente pas de la subir, est le fruit d’une réflexion collective, d’une volonté partagée de s’engager dans la transformation profonde des structures sociales, politiques, culturelles, etc. Il faut donc plutôt parler d’une prise de conscience ou de lucidité collective. Les peurs ont tendance à paralyser, ou à faire sombrer dans des postures irrationnelles. J’en donne un exemple : les survivalistes, qui craignaient l’apocalypse nucléaire dans les années 1950-1960, ont adopté une attitude de repli et n’ont pensé qu’à organiser leur propre survie après la fin du monde. Certains adeptes de la théorie de l’effondrement ont aujourd’hui le même réflexe, ils ne songent pas à s’engager dans une transformation sociale majeure qui permettrait d’éviter la catastrophe.