Titre d'un docu diffusé sur la 3 : Jacques Brel, fou de vivre

Il fait toujours partie de mon paysage : intérieur parce qu'il accompagna mes années de formation ; actuel parce que je continue, ça et là, de l'écouter moins pour me souvenir que parce qu'il offre une voie de passage vers l'universel. Je crois bien que c'est à ceci qu'on reconnaît une œuvre : si singulière soit-elle, si ancrée qu'elle puisse demeurer dans les affres, rêves ou souvenirs de l'artiste ou de son public, elle laisse fuser l'humain ; simplement.

Il était, et il n'y en eut pas tant que cela, de ceux qui nous réunirent, mon père et moi. Il y avait Bach, bien sûr ; Mozart, assurément ! mais dans ces choses modernes, dans ces petites choses que l'on appelait la chanson française, oui il en fut deux dont nous partagions le goût : Brel en fut ; Barbara aussi. Je voguais déjà vers d'autres cieux : les Beatles un peu ; Dylan beaucoup - qui lui restèrent éloignés. Tout comme Brassens d'ailleurs, qui le faisait sourire ; mais pas vibrer. Jusqu'au bout, quand je l 'allais visiter, alors que j'avais tant de choses à lui dire et lui tant à taire, nous ne manquions pas de sacrifier au rituel d'au moins une fois écouter Brel : comme si avec lui nous nous assurions de retrouver le sel qui nous réunissait ; que nous gagions de ne pas nous perdre.

J'ai toujours pensé que l'on était moins d'une époque que d'un instant : celui qui vous a fait parce que vous aura bouleversé, propulsé hors de l'enfance parfois, étreint de souffrance ou bien aveuglé d'espérances, subitement, subtilement mais toujours inopinément, marqué ! ce sceau c'est un paysage où l'on se perd, un visage qui vous intime mais toujours quoiqu'on en ait, s'accompagne d'une musique. C'aurait pu être Ne me quitte pas - j'étais assez sentimental et timide pour cela - ce ne le fut pourtant pas. Mais le plat pays !