palimpseste Chroniques

Presse ? Non ! Rumeurs ? Assurément !
Caniveaux ? A tout coup !

 

Superbe cas d'école de communication de crise 1 où tout le monde s'affole et y va de sa petite rengaine mais où chacun, en même temps, surtout du côté des échotiers cherche à donner le change et se refaire une virginité pour le désaveu implicite que suppose le fait de n'avoir rien vu, et dit tout et son contraire.

Derrière l'affaire Cahuzac, et la mise en évidence par la presse internationale du système parfaitement organisé de l'évasion fiscale 2 qui dit parfaitement ce que peut avoir de tartufferie l'incantation libérale de l'autorégulation et de la dérégulation, derrière la gestion empressée de la crise par la présidence de la République (deux interventions à huit jours de distance) qui signale combien la crise est d'importance, il y a, aussi, une cruelle mise en évidence des défaillances de la presse..

Il y a ce reproche si ancien déjà, adressé à la presse française d'être au mieux une presse d'opinion, au pire une presse servile, trop proche du pouvoir avec lequel elle entretiendrait sinon des intérêts communs en tout cas des connivences avérées ; mais en tout cas pas une presse d'investigation.

Il faut avouer que quand éclata le scandale Cahuzac, après les premières révélations de Médiapart, il s'en fallut de peu que la presse sérieuse ne s'indignât - elle servit en tout cas servilement la soupe à la version officielle. Certes on n'entendit pas les déchaînements connus au temps de l'affaire Woerth, on n'accusa pas Médiapart de fascisme ou de pratiques inquisitoriales mais quand même. Las ! il s'est avéré qu'il avait raison ! on eût sans doute préféré qu'il eût tort !

Tout à l'air de se passer désormais comme si, retour tragique du refoulé, une certaine presse prise les pieds dans le tapis avait voulu mettre les bouchées doubles ... et vouloir découvrir sous le premier scandale, un second.

1e erreur

Il faudra bien un jour en revenir aux fondamentaux : le rôle de la presse est de diffuser une information qu'elle aura préalablement contrôlée et vérifiée. Toute information non contrôlée est une rumeur voire un piège. Que tout dans une société ne soit que bruit et fuite, que la parole soit la matière première 3de la presse comme du pouvoir d'ailleurs est une chose : oui ça bruisse, brame et colporte ... mais c'est précisément pour cela que la presse existe. En histoire comme en journalisme, une donnée n'est une information, une preuve, un indice que lorsqu'on en a vérifié l'origine, la source, l'a recoupée avec d'autres. En sciences comme en presse, il n'est pas tant question de vérité que de vérification : la vérité est un matériau qui se construit et se confronte constamment. Qu'il ne faille pas prendre des allures indignées devant la rumeur parce qu'elle est le signe même de la liberté ; qu'il n'y ait pas de corps vivant qui ne fuie de toute part et que ce soit dans cette porosité que se joue sa relation avec l'environnement est une chose - qu'il ne faut d'ailleurs ni oublier ni sous-estimer ; pour autant, éviter le brouhaha mais aussi l'entropie maximale où tous, ne parlant que d'une voix, tueraient l'échange et le collectif, pour éviter le tapage autant que Babel, il faut bien qu'ici, là, on fasse le tri. C'est le rôle de la presse ; des sciences - notamment.

Or, la ligne ici a bien été franchie. Que le pouvoir dans l'intervalle des deux interventions de Hollande fût inquiet en tout cas morose est vraisemblable. Que ce fût une onformation sûrement pas. Tout s'est joué sur le registre de la psychologie ici. Non pas de l'événement mais de la manière dont il a été vécu, par les uns et les autres. Et l'on glisse subrepticement du ressenti au réel, sans coup férir, quitte à extrapoler une enquête du concurrent et à en supputer les effets délétères sur le pouvoir.

2e erreur

Cette presse est en crise - de survie. Tous les modèles économiques sont par terre ! Médiapart est assurément un exemple intéressant d'un organe d'information, indépendant, sur le Web qui a l'air de réussir et de trouver peu à peu son équilibre grâce, certes, à des frais de production et de distribution de l'information bien moindres que ses concurrents papier, radio ou TV, mais sans doute aussi grâce au changement de comportement du lectorat qui aura versé plus rapidement qu'on ne l'imaginait sur une lecture digitale que l'invention des tablettes aura amplifié. Plenel se trompe néanmoins en excipant de la vertu du contre-pouvoir. Certes, il aura gagné amplement la réputation du scandale déniché - et ce dès sa période au Monde - le Rainbow Warrior c'était déjà lui - mais l'information que l'on attend de la presse ne se réduit pas aux remugles de caniveaux. Il y a quelque chose de lassant, au risque demain d'y perdre des abonnés, de n'avoir à lire itérativement que des scandales, des corruptions, des forfaitures fussent-ils avérés. Le risque est grand demain de réduire le rôle de la presse à ce jeu de massacre systématique quand on attend d'elle aussi qu'elle aide à penser, à confronter ... à réfléchir.

3e erreur

Institutionnel cette fois ! Plenel se targue de la vertu du contre-pouvoir. Mais la presse, si elle est indispensable à la bonne marche de la démocratie ne fait pas partie du dispositif institutionnel. Il se trompe quand il se met en devoir de dénoncer la corruption et d'y voir la source de tous les maux rpublicains. La corruption est elle-même déjà un effet d'un régime politique à bout de souffle qui aura tellement concentré le pouvoir entre quelques mains, qu'il ne peut plus exacerber que des effets de courtisanerie et d'aveuglements réverbérés. Le mal est ici ! pas ailleurs. Dans cette république qui ne sait plus représenter la diversité du corps électoral ; dans cette classe politique qui; ivre de technicité et obsédée d'expertise, en oublie le politique et n'imagine même plus qu'il puisse y avoir d'autre voie que celle précosinée par les bien-pensants.

Ce n'est pas le rôle de la presse de jouer les Torquemada d'arrière-boutique ; pas non plus le sien d'être un acteur de plain-pied de la vie politique.

Je n'aime pas beaucoup les épurateurs non plus que les tenants trop abrupts de la vertu : ils terminent toujours peu ou prou dans la peau d'un Robespierre :

le principe du mal réside dans la tension de la volonté, dans l'inaptitude au quiétisme, dans la mégalomanie prométhéenne d'une race qui crève d'idéal, qui éclate sous ses convictions et qui, pour s'être complu à bafouer le doute et la paresse - vices plus nobles que toutes ses vertus - s'est engagée dans une voie de perdition, dans l'histoire, dans ce mélange indécent de banalité et d'apocalypse... Les certitudes y abondent : supprimez-les, supprimez surtout leurs conséquences : vous reconstituez le Paradis. 4

 

 


1) lire

2) tous les articles du Monde sur la question (Offshore Leaks)

3) relire ce passage de Kapferer

4) Cioran Précis de décomposition

5) cet article de Médiapart sur la question des paradis fiscaux