palimpseste Chroniques

Libération, Fabius et la rumeur
E Plenel 8 avril 2013 Médiapart

 

Certains médias perdraient-ils tout repère ? Après ne pas avoir accordé suffisamment de crédit aux informations documentées et recoupées de Mediapart sur le compte suisse de Jérôme Cahuzac, voici qu’ils officialisent et relayent une rumeur concernant Laurent Fabius, pour les mêmes faits.

Dans le sillage des travaux pionniers d’Edgar Morin sur la rumeur d’Orléans (1969), tous les sociologues de la rumeur le savent : la rendre publique, fût-elle accompagnée d’un ferme démenti, c’est la propager et lui donner consistance. C’est donc bien ce qu’a fait le quotidien Libération, lundi 8 avril, avec cette Une sidérante mettant en scène comme s’il s’agissait d’une information une rumeur qui agite Paris depuis trois jours.

Nous ne l’évoquerions même pas si cette mise en scène, éloignée des règles les plus élémentaires du journalisme, ne s’abritait derrière la mention de Mediapart. Libération prétend en effet savoir ce qu’il en est des enquêtes en cours de notre rédaction, au point de dévoiler les supposés rendez-vous honorés par tel ou tel d’entre nous. Nous n’aurions jamais imaginé qu’un journal se voulant sérieux puisse ainsi violer le secret professionnel qui protège sources et investigations d’autres confrères.

Nous ne doutons pas qu’au sein de la rédaction de Libération, nombreux sont celles et ceux qui partagent notre stupeur. Car cette faute est un avertissement : rien ne serait pire, dans le moment troublé que traverse notre démocratie, qu’une presse sortie de ses gonds, sans repères professionnels ni rigueur déontologique. Le discrédit du journalisme serait encore aggravé si, à la trop grande indifférence qui a entouré ces derniers mois les informations de Mediapart, s’ajoutait aujourd’hui un zèle dévastateur d’ouvriers de la onzième heure, faisant feu de tout bois, y compris de n’importe quoi.

Nous le savons d’expérience à Mediapart, tant nos enquêtes ont dévoilé des réalités insoupçonnées : le vrai est parfois invraisemblable. Mais encore faut-il l’avoir documenté, sourcé, recoupé, bref vérifié. Nous ne répondons donc que de ce que nous rendons public, en l’assumant et en le revendiquant. Ce que nous faisons en amont ne regarde personne d’autre que nous, nos sources, nos interlocuteurs, bref l’artisanat d’un métier au service du droit de savoir du public.