palimpseste Chroniques

A nos lecteurs
NICOLAS DEMORAND
8 Avril

 

Revenons aux faits. Pendant 72 heures, une rumeur tétanise une partie de l’exécutif et court les rédactions. Le service Politique de Libération en suit le parcours fulgurant dans les différents ministères et palais de la République, son effet pétrifiant auprès d’interlocuteurs soudain infiniment difficiles à joindre, le silence radio généralisé.

En débobinant toujours un peu plus le fil, apparaissent également deux éléments : un journaliste s’est bien entretenu samedi avec le ministre dont le nom est sur toutes les lèvres, cette rencontre ayant fait l’objet de communications tous azimuts au sein de l’exécutif et semé la zizanie dans les esprits.

Pour reconstituer la cartographie de ce qui ressemble à un mouvement de très grande nervosité au creux d’un week-end anodin, les journalistes de Libération ont travaillé collectivement. Constat partagé : l’affaire Cahuzac continue à distiller son poison qui prend désormais la forme, au sein du gouvernement et des cabinets ministériels, d’un «à qui le tour ?» paniqué.

Cette panique, fondée sur une rumeur, est un fait politique en soi. Inquiétant. Une preuve que l’exécutif est très loin d’avoir retrouvé la sérénité qu’il cherche pourtant à afficher devant les caméras, par exemple en Corrèze. Il y a fort à parier que, dans de nombreuses rédactions, le travail sur le parcours de ladite rumeur ait été fait. Que le nom du ministre en question ait été connu de tous les journalistes s’intéressant de près ou de loin à ces sujets. Ce qui, par capillarité, commence à faire tellement de monde que Twitter, parfois décrit comme une «métarédaction», où dialoguent tous les journalistes qui s’y retrouvent, quel que soit le média pour lequel ils travaillent, prend le relais et, sous des formes détournées, allusives, parodiques, par le jeu des mots-clés, commence à faire circuler le nom.

Voilà comment nous aurions pu raconter l’histoire et écrire l’article en question : sans jamais citer le nom ayant occupé tous les esprits pendant le week-end, le nom cité par tous dans les milieux politique et médiatique. Nous aurions pu trouver des périphrases, brouiller les pistes en parlant d’un «poids lourd du gouvernement», adressant par là un clin d’œil aux «initiés», qui eux seuls auraient pu comprendre. Nous aurions pu aussi renvoyer hypocritement vers Internet ceux qui voulaient en savoir plus et connaissent de toutes façons déjà le chemin.

Si Libération a donc fait le choix de publier le nom de Laurent Fabius et donné la parole à son avocat, c’est tout simplement pour partager avec ses lecteurs les informations en notre possession à l’instant où le journal part à l’imprimerie. Comment une rumeur a pu devenir, l’espace d’un week-end, un motif d’affolement pour l’exécutif et, à ce titre, un fait politique majeur ? C’est la seule question à laquelle Libération entendait répondre dans son édition d’hier. De l’incompréhension a pourtant accueilli notre travail, que ce soit à l’intérieur du journal ou à l’extérieur. Nous en prenons évidemment notre part : un message mal reçu pose à son émetteur des questions auxquelles il se doit de répondre, afin de lever doutes et ambigüités sur sa démarche. C’est chose faite.