palimpseste Chroniques

Quand Hollande se définira
ANTOINE PERRAUD
Médiapart
le 01 SEPTEMBRE 2012

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Pile ou face, bon sang ?! L’insaisissable président Hollande échauffe notre bile politique, tant il repousse l’heure de vérité : se découvrira-t-il côté Herriot, ou bien côté Roosevelt ?

Édouard Herriot (1872-1957), radical-socialiste grand teint, galéjait volontiers au sujet de sa tactique : « À gauche toute, mais pas plus loin ! » Cette science du surplace agrémenté de moulinets culmine en 1924, lors du Cartel des gauches. La victoire électorale de mai est alors vite gâchée, dans la plus parfaite véhémence attentiste. Rodomontades fiscales non suivies d’effet (impôt sur le capital). Incapacité à forger une politique audacieuse ensuite exposée sans détour aux citoyens. Mésintelligence d'un pacte à bâtir sur son flanc gauche : le socialiste Blum pratique en 1924 le « soutien sans participation », que lui servira le communiste Thorez en 1936. Du coup, la prétendue majorité d'Herriot, à mesure qu’elle se délite, tente de débaucher sur sa droite des renforts individuels.

Les gouvernements de Pierre Mauroy en 1981, puis de Lionel Jospin en 1997, établiront un contrat avec les communistes, tirant les enseignements d'un passé aux plaies encore vives.

Malgré quelques morceaux de bravoure symboliques (transfert de la dépouille de Jaurès au Panthéon dix ans après l'assassinat), le bilan du Cartel de 1924 s’avère aux antipodes des espérances : crise monétaire, déficit budgétaire, panique financière. Avec en embuscade les régents de la banque de France : Édouard de Rothschild et François de Wendel. Aux commandes, « le parti du mouvement » n'offre qu'impuissance et désillusion, par défaut de lucidité, de courage, de franchise. Poincaré, chassé du pouvoir, revient en juillet 1926, rappelé par ses triomphateurs échinés.

Herriot prend sa rondeur pour du rayonnement, sa chaleur pour du charisme, ses petits arrangements pour de grandes perspectives. Investi d’une mission, il offre son doigté. L'esbroufe rhétorique accompagne la chute de son cabinet, en avril 1925 : il stigmatise « le mur d’argent ». Cet échec marque l’esprit public : la gauche au pouvoir ne sera-t-elle jamais qu’un vol de grillons exclusivement aptes à vider les caisses ?

Durer pour gérer, gérer pour durer. Tel est, depuis, le rêve des responsables socialistes, histoire de faire pièce à ce conservatisme français ayant convaincu le pays, jusqu’en 1981, que la moindre embardée progressiste tiendrait toujours de « l’expérience » hasardeuse…

En 1924, Édouard Herriot désigne au ministère de l’agriculture un élu de Corrèze, Henri Queuille (1884-1970), futur président du Conseil sous la IVe République, dont les aphorismes allaient devenir légendaires en notre étrange pays : « Les promesses n’engagent que ceux qui les entendent. » – Jacques Chirac le reprit à son compte. Ou encore : « Il n’est pas de problème assez urgent en politique qu’une absence de décision ne puisse résoudre. » C’est dans un tel sillage que le journaliste Éric Dupin situe François Hollande, en conclusion de son livre paru au lendemain de l'élection présidentielle, La Victoire empoisonnée (Seuil). Dupin décèle « une forme de projection » entre les deux hommes, au nom d'une certaine idée de la “normalité”, ou d'un usage subtil de la poigne et de la conciliation. Ajoutons, à ce rapprochement, une fascination commune pour la presse : Henri Queuille, doté d'un excellent coup de crayon, se délectait à... caricaturer les caricaturistes !

Le septième président de la Ve République, en guise de septième ciel programmatique, nous servira-t-il l'équivalent de ce précepte que le petit père Queuille griffonnait sur les notes de ses fébriles conseillers : « On peut aussi ne rien faire » ?...

L’Histoire, fort heureusement, n’est pas avare de plans B. Nous avons connu l’anti-Queuille en la personne de Pierre Mendès France (« gouverner c’est choisir »). Et à la politique du chien crevé au fil de l’eau que symbolise le Cartel des gauches en 1924, s’oppose, à partir de 1933, le volontarisme du New Deal propre à Franklin Roosevelt (1882-1945).

 


Ouvrage en forme de leçon de choses politique publié en 1977, un an avant des législatives que la gauche semblait devoir gagner.